Le cas de la Présidente du Parlement grec
8 septembre 2015 par Sonia Mitralias
Dans les conditions de la crise paroxystique qui secoue la Grèce, nous assistons au déchaînement d’un sexisme extrêmement violent contre les femmes ! Et en plus, ceci se passe sur la scène politique centrale au vu de tout le monde. Nous pensons que ce sexisme extrême et violent qui est en train de prendre les dimensions d’une vraie épidémie, diffère sensiblement du vieux sexisme quotidien qu’on a connu durant un passé récent plus pacifique, avant la présente crise de la dette.
Figure emblématique et aussi principale victime de cette campagne –car il s’agit d’une vraie campagne- sexiste ultra-violente est la Présidente du Parlement grec Zoé Konstantopoulou. Évidemment, ce n’est pas un hasard que cette campagne sexiste contre elle a redoublé de vulgarité et de violence depuis qu’elle a pris l’initiative de lancer la Commission pour la Vérité sur la Dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
Publique grecque et de devenir la figure de proue de l’opposition intransigeante à la soumission du gouvernement Tsipras aux diktats des créditeurs de la Grèce.
Mais, voyons de plus près de quoi il s’agit. Jour après jour depuis au moins 7 mois, toutes les déclarations de la Présidente du Parlement grec sont introduites dans pratiquement tous les grands médias du pays, journaux et chaînes de télévision inclues, par les mots/titres « Nouveau délire hier de Zoé ». Cette monotonie des « délires de Zoé » est fréquemment interrompue par des titres gigantesques de la presse dite « populaire » du genre « L’homme de Zoé ne peut-t-il pas la museler ? » ou « Zoé est du domaine du psychiatre ». En pleine campagne électorale pour les élections du 20 septembre, les principales chaînes (privées) de télévision ont inventé une « rubrique » spéciale de leurs JT qui, jour après jour, présentent ce qui circule dans le médias sociaux concernant Zoé. Évidemment, il s’agit toujours des caricatures, souvent obscènes, couplées d’images ou des dessins d’elle déformées à volonté, dont l’authenticité n’est pas –évidemment- du tout assurée…
Mais, il y a plus et pire que tout ça. Depuis de longs mois, même des députés n’hésitent pas à attaquer en public Zoé avec des phrases comme « Orang-outan mal baisée » tandis que d’autres font appel à son mari, qui est capitaine de la marine marchande, de « débarquer au plus vite pour la calmer ».
L’énumération de ces agressions verbales et sexistes dont est victime la Présidente du Parlement grec pourrait continuer encore pour longtemps, mais l’objectif de cet article est tout autre. En réalité, le cas de Zoe Konstantopoulou est important parce que emblématique de toute une offensive sexiste violente des divers pouvoirs (politiques, partidaires, médiatiques, mafieux...) contre des femmes insoumises qui persistent à revendiquer leurs droits et les droits des oppriméEs. [1] C’est ainsi, qu’à partir du moment où Zoé K. s’est imposée comme figure de proue de l’opposition aux Memoranda qui ont ruiné la Grèce, elle fut dénigrée, vilipendée, humiliée, calomniée… en somme, diabolisée par tous ceux qui se rangent derrière la Troïka. Et les attaques contre elle sont si persistantes, organisées, coordonnées et systématiques qu’elles s’apparentent à une véritable stratégie de guerre dont l’objectif est son élimination politique de la scène publique.
Ce serait une erreur d’attribuer cet « extrême phénomène sexiste » à des comportements phallocratiques individuels dus au hasard ou à des mentalités anachroniques. Il s’agit d’une chasse contemporaine aux sorcières. C’est plutôt ça et non pas ce que prétendait la section de politique féministe du (vieux) Syriza quand elle publiait un communique titré « L’attaque sexiste contre Konstantopoulou renvoie à des stéréotypes anachroniques ».
Il s’agit d’une chasse contemporaine aux sorcières.
Mais, qu’est ce qui unit la chasse aux sorcières à l’aube du capitalisme avec l’actuel phénomène de sexisme violent, lequel pourrait très bien évoluer vers une chasse aux sorcières contemporaine ?
La chasse aux sorcières apparaît en Europe entre la fin du 15e et le début du 16e siècle, quand le capitalisme fait son apparition [2] Elle se caractérise par la diabolisation systématique des femmes présentées comme sorcières à une période historique de crise -analogue à l’actuelle de l’explosion de la crise de la dette- marquée par des révoltes et des résistances qui voyaient les femmes être en première ligne.
Aujourd’hui comme alors, nous vivons au milieu d’une réorganisation des rapports de production et de reproduction aux dépens des femmes. C’est un fait totalement ignoré par ceux qui occupent les devants de la scène politique.
À l’époque de la chasse aux sorcières, les femmes avaient été exclues des métiers, de la connaissance, de la terre commune, elles ont été en–cloisonnées, enfermées dans la maison et la chambre à coucher. Aujourd’hui elles sont chassées de la vie publique et sont poussées à assumer gratis (!) à la maison, plusieurs des services publics assumés auparavant par l’État providence liquidé par les politiques néolibérales d’austérité. Et les énormes sommes ainsi économisées vont évidemment au paiement de la dette publique…
Ce n’est pas un hasard si c’est à l’époque de la chasse aux sorcières que sont apparus les stéréotypes bien connus du genre « les femmes à la cuisine ». Des femmes qui n’avaient pas peur de dire en public ce qu’elles pensaient, qui avaient confiance en elles-mêmes, étaient condamnées et définies comme « des femmes colériques et agaçantes qui perturbaient la paix publique et aiguisaient les disputes publiques ». Être une femme et s’occuper des affaires publiques était considéré comme un crime et la coupable méritait le bûcher.
Si tout ça vous rappelle un peu la quotidienneté de notre époque austéritaire et autoritaire vous ne vous trompez pas. Dans l’actuelle Grèce des ruines humaines et sociales, tous ceux qui défendent les bourreaux et leurs politiques inhumaines (médias, partis politiques néolibéraux, politiciens corrompus, centres des pouvoirs plus ou moins occultes, organisations patronales et même le crime organisé) utilisent à fond et comme jamais auparavant le sexisme le plus abject pour briser les femmes qui prennent la tête des luttes contre les politiques d’austérité ou le système-dette, qui osent défendre les migrants, les réfugiés, la nature, les innombrables victimes des politiques barbares en application.
Ici on a affaire à une stratégie semblable à celle utilisée par le crime organisé pour imposer sa « loi » -la loi du maître, du maquereau- sur le système d’exploitation des esclaves du sexe, le sex-trafficking. Elle consiste à utiliser la peur, la violence, les tortures et même la mise à mort pour briser toute résistance, pour anéantir l’âme et l’esprit, la dignité et l’estime de soi-même pour discipliner le corps des femmes afin qu’elles se soumettent sans conditions pour être sacrifiées sur l’autel de la maximisation des profits du système prostitutionnelle.
Ceci étant dit, on ne peut qu’être impressionné négativement par l’attitude d’une institution comme le Secrétariat Général pour l’Égalité des Genres du gouvernement Tsipras, supposé défendre toute femme victime d’attaques sexistes, qui est resté totalement impassible devant le véritable lynchage sexiste dont était victime la Présidente du Parlement grec. Cette impression négative devient encore plus grande quand on se souvient que la victime de ce lynchage était un personnage public de premier ordre et même une dirigeante du parti (Syriza) dont sont aussi membres… la Secrétaire Générale pour l’Égalite des Genres et le premier ministre Alexis Tsipras ! Mais les « surprises » édifiantes atteignent un summum quand on apprend que ce même Secrétariat Général s’est empressée de réagir et de condamner l’attaque sexiste d’un quotidien dont la victime était la Roumaine Delia Velculescu qui représente le Fonds monétaire international et est à la tête de l’actuelle version de la Troïka qui impose ses diktats a la Grèce.
On s’est arrêté un peu plus sur cette histoire parce qu’elle est emblématique de nos temps néolibéraux. Nous pensons que pour défendre effectivement nos droits en tant que genre, il nous faut faire (re)naître un courant féministe radical, qui émergera du combat des femmes contre la très dure réalité sociale de ce début du 21e siècle, contre le système dette et les fondamentalismes patriarcaux de tout genre. ll faut faire (re)naître un courant féministe qui rompt avec le courant féministe identitaire, qui s’intéresse uniquement aux politiques d’identité du genre et nie le rapport de la vie vécue par des millions de femmes en tant que genre avec la lutte de classes, ainsi qu’avec d’autres inégalités et discriminations.
Conclusion : Le sexisme qui se déchaîne actuellement en Grèce est redoutable car c’est une arme qui sert à diviser les luttes et à anéantir les résistances de toutes et de tous. Elle ne concerne donc pas seulement les femmes, mais nous tous, bien au-delà des frontières grecques…
[1] Voir l’article de Sonia Mitralia Violences contre les femmes : une arme stratégique aux mains du pouvoir et des possédants aux temps de la guerre sociale !
[2] Voir l’ouvrage majeur de Silvia Federici, « Caliban et la sorcière » aux éditions Entremonde. Silvia Federici est une théoricienne et une militante féministe marxiste.
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