Les comptes rendus des autres ateliers et plénières seront bientôt disponibles sur le site des rencontres de Genève : http://alterecosoc.org/
ENJEUX • Trois jours de débats ont esquissé des pistes de convergence entre les revendications sociales et la défense de l’écosystème. Un réseau écosocialiste européen est né.
« Cela fait du bien d’entendre des choses nouvelles ! » La remarque d’une militante espagnole, saisie au vol samedi à la Maison des associations, en dit long sur l’atmosphère qui a régné trois jours durant à Genève. La proposition des organisateurs de relire les valeurs socialistes à l’aune de l’impératif écologique a tenu en haleine près de cent cinquante militants lors de neuf d’ateliers et plusieurs séances plénières. Vendredi, un meeting plus classique avait déjà rassemblé la foule, quelque deux cents personnes envahissant Uni-Mail pour entendre notamment un excellent Daniel Tanuro exposer les bases du combat écosocialiste. Dimanche, les militants ont formalisé la naissance d’un réseau européen, dont la seconde rencontre se tiendra l’an prochain en Espagne.
Faire converger le combat pour la justice sociale et les préoccupations environnementales ? Le défi, visiblement, préoccupe des militants d’horizons divers, altermondialistes, libertaires, gauchistes, décroissants, activistes politiques, culturels, paysans, syndicalistes, jeunes et vieux, hommes et femmes, dans une relative parité... Ne s’attendant pas à une telle participation, les organisateurs avaient prévu que les travaux se dérouleraient dans seulement trois ateliers simultanés. Du coup, les plus courus tournèrent parfois plus au meeting qu’à la séance de travail.
En marge des ateliers, une visite ironique et militante de la Genève financière s’est déroulée samedi après-midi. L’occasion pour le militant andalou Juan Manuel Gordillo de pourfendre une banque privée genevoise, accusée d’héberger l’argent de la corruption et de la royauté espagnole.
BPZ
Le rôle des syndicats
Reste que la qualité fut aussi au rendez-vous. En témoigne le débat sur « le rôle des syndicats » dans le tournant écosocialiste : où comment opérer la jonction entre les intérêts des salariés et ceux de la planète.
Côté pragmatique, Louis-Marie Barnier, syndicaliste chez Air France et sociologue, et Dominique Malvaud, militant de Sud-Rail, second syndicat des cheminots français, qui voient dans la santé au travail le domaine qui fait le mieux se rejoindre soucis de l’environnement et intérêt immédiat du travailleur. L’affaire des convois nucléaires contaminés, éclatée en 1998 dans la presse, est emblématique. A l’époque, « la première réaction du syndicat a été d’exiger la protection des salariés tout en défendant le maintien de cette activité au sein de la SNCF par crainte de licenciements », raconte M. Malvaud.
Mais rapidement, Sud-Rail s’aperçoit que l’affaire dépasse quelques wagons contaminés et que de très nombreux matériaux transportés sont radioactifs. « On croyait travailler pour la SNCF et on se découvrait employés d’Areva ! » Décision est prise d’exiger le droit de retrait des cheminots concernés.
Cinq ans plus tard, de réflexions collectives en informations sollicitées à des ONG spécialisées, Sud devient un syndicat anti-nucléaire, ce qui en France est loin d’être anodin.
Mieux : la prise de conscience écologique s’est poursuivie, Sud-Rail fournissant désormais d’importants contingents de manifestants lors des mobilisations anti-OGM
OGM
Organisme génétiquement modifié
Organisme vivant (végétal ou animal) sur lequel on a procédé à une manipulation génétique afin de modifier ses qualités, en général afin de le rendre résistant à un herbicide ou un pesticide. En 2000, les OGM couvraient plus de 40 millions d’hectares, concernant pour les trois-quarts le soja et le maïs. Les principaux pays producteurs étaient les USA, l’Argentine et le Canada. Les plantes génétiquement modifiées sont en général produites intensivement pour l’alimentation du bétail des pays riches. Leur existence pose trois problèmes.
Problème sanitaire. Outre la présence de nouveaux gènes dont les effets ne sont pas toujours connus, la résistance à un herbicide implique que le producteur va multiplier son utilisation. Les produits OGM (notamment le soja américain) se retrouvent gorgés d’herbicide dont dont on ignore les effets sur la santé humaine. De plus, pour incorporer le gène nouveau, on l’associe à un gène de résistance à un antibiotique, on bombarde des cellules saines et on cultive le tout dans une solution en présence de cet antibiotique pour ne conserver que les cellules effectivement modifiées.
Problème juridique. Les OGM sont développés à l’initiative des seules transnationales de l’agrochimie comme Monsanto, pour toucher les royalties sur les brevets associés. Elles procèdent par coups de boutoir pour enfoncer une législation lacunaire devant ces objets nouveaux. Les agriculteurs deviennent alors dépendants de ces firmes. Les États se défendent comme ils peuvent, bien souvent complices, et ils sont fort démunis quand on découvre une présence malencontreuse d’OGM dans des semences que l’on croyait saines : destruction de colza transgénique dans le nord de la France en mai 2000 (Advanta Seeds), non destruction de maïs transgénique sur 2600 ha en Lot et Garonne en juin 2000 (Golden Harvest), retrait de la distribution de galettes de maïs Taco Bell aux USA en octobre 2000 (Aventis). En outre, lors du vote par le parlement européen de la recommandation du 12/4/2000, l’amendement définissant la responsabilité des producteurs a été rejeté.
Problème alimentaire. Les OGM sont inutiles au Nord où il y a surproduction et où il faudrait bien mieux promouvoir une agriculture paysanne et saine, inutiles au Sud qui ne pourra pas se payer ces semences chères et les pesticides qui vont avec, ou alors cela déséquilibrera toute la production traditionnelle. Il est clair selon la FAO que la faim dans le monde ne résulte pas d’une production insuffisante.
ou contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. « Il est clair que les questions de salaires et de conditions de travail pèsent beaucoup au sein d’un syndicat, mais cet exemple montre qu’une évolution est possible avec le temps », souligne Dominique Malvaud. Qui refuse de laisser l’écologie aux intellectuels. « Le rôle du militant écosocialiste est de saisir ce type d’opportunités, d’amener les ouvriers à se poser ces questions », dit-il.
Louis-Marie Barnier renchérit : les syndicats s’étant historiquement construits dans l’usine, autour des rapports de travail, leur évolution doit partir de ceux-ci. Et les questions de sécurité et de santé offrent l’axe idéal pour aborder le travailleur « là où il est ».
Reconversion industrielle
Pas d’accord ! réagit le décroissant Christian Sunt. Pour ce travailleur forestier, les syndicats sont d’abord nés de la lutte pour l’émancipation sociale, d’où la création de coopératives ouvrières de production mais aussi de consommation, d’habitat, de lieux de socialisation. « Nous devons rompre la division artificielle creusée entre l’ouvrier et le consommateur, qui ne font qu’un » et d’appeler à « nous interroger sur comment nous fabriquons mais aussi sur qu’est-ce que nous fabriquons ».
Une piste également suivie par ELA, premier syndicat basque, qui – partant d’une critique radicale du modèle capitaliste – a établi une liste d’activités économiques que le mouvement aimerait voir décroître et une de celles à encourager. Pour Ainhara Plazaola, ces emplois « socialement désirables et écologiquement acceptables » diffèrent des « emplois verts » chers au développement durable par le fait qu’ils ne devront pas seulement être créés à côté des activités humaines existantes mais les remplacer si nécessaire.
Transition écologique, transformation de l’appareil productif, reconversion industrielle, chacun est bien conscient de l’ampleur de la tâche pour un courant encore naissant comme l’écosocialisme. Pourtant, le débat doit impérativement être mené. Faut-il défendre une usine automobile au nom de l’emploi ou s’engager pour sa reconversion ? « La fermeture du site – avec les angoisses inhérentes – est le pire moment pour en débattre », explique Louis-Marie Barnier.
Christian Sunt abonde et appelle à s’inspirer des syndicats paysans, type Uniterre ou Confédération paysanne, dont l’activité quotidienne est imprégnée de la nécessité de changer de modèle et de quitter le productivisme.
Exemple à l’appui, le syndicaliste d’Air France plaide pour une politisation de ce débat qui dépasse les employés. « D’un commun accord, direction et syndicats avions voulu transférer la ligne Strasbourg-Paris vers le TGV, or 85% des usagers ont préféré changer de compagnie plutôt que prendre le train ! »
Outre la reconversion de la production, nombre de mesures phares de l’écosocialisme impliquent de passer à l’échelle politique. Ainsi la réduction du temps de travail, qui permettra de lutter contre l’exclusion et la surproduction, ou le renchérissement du pétrole, qui doit pénaliser les délocalisations, etc.
Pour Francis Taylor, de Climat et Justice sociale, les syndicats tiennent dans cette double crise, écologique et économique, une chance de renverser la tendance, après quarante ans de défaites. « Le salarié a une profonde conscience que le système est en crise, il faut mettre des mots et des luttes sur ce sentiment. »
Vers l’Espagne
Riche, passionné, l’atelier n’aura eu qu’un défaut : la quasi-absence des syndicalistes suisses. Partie remise ? L’éventuel rattrapage passera par l’Espagne, puisque c’est là que les participants ont choisi de poursuivre leurs débats. Grisés par la réussite du week-end, ils ont formalisé la naissance d’un réseau écosocialiste européen dont l’ambition première sera de créer un « pôle large » écologiste et anticapitaliste en marge de la Conférence climatique de Paris en novembre 2015. Au cœur du consensus, selon Gilles Godinat, l’un des organisateurs, « l’idée que la crise nous offrait une opportunité historique de repenser le modèle de production ». Avec une priorité absolue : la relocalisation et l’humanisation des activités économiques. Belle ambition.
Article original : http://www.lecourrier.ch/118051/l_ecosocialisme_europeen_a_pris_date
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