Le parlement grec a voté le 5 mai 2016 un projet de loi aux lourdes conséquences pour la population puisqu’il portait à la fois sur la réforme des retraites et de nouvelles mesures fiscales. La discussion à la Vouli (= parlement grec) étalée sur un week-end a duré moins de 48 heures. Cette hâte s’explique facilement : il s’agissait en effet de faire passer de nouvelles décisions anti populaires avant la réunion de l’eurogroupe du lundi 6 mai. Le vote de ces mesures dans les délais impartis figurait en première ligne des exigences posées par la Troïka pour valider l’examen (review) de la mise en œuvre des engagements contractés par le gouvernement grec lors de la signature du troisième mémorandum. Après tout, ce même mémorandum, signé par Alexis Tsipras en juillet 2015 (un document de plus de mille pages sans les annexes), qui impliquait l’ensemble des mesures que le parlement grec ne fait que valider depuis cette date, avait également été voté en moins de 48 heures, là encore pour se conformer aux ultimatums de la Troïka et parfaire le tableau de la vassalisation du pays et de ses institutions représentatives.
La réforme des retraites votée par la majorité Syriza et Anel de la Vouli est hautement symbolique. Elle est la troisième de ce genre depuis le premier Mémorandum de 2010. Les retraités grecs (27% de la population du pays) ont déjà vu leurs pensions diminuer de 30 à 50% au cours des six dernières années. La pension moyenne en Grèce, avant la mise en œuvre de cette troisième réforme, s’élevait à 882 euros, dans un pays où le coût de la vie hors logement est comparable à celui des pays européens les plus développés.
Fait d’une importance cruciale pour saisir la portée de cette destruction du système des retraites : dans un pays dévasté par la crise, où le taux de chômage officiel dépasse 23% et où plus de quatre cent mille personnes ont émigré depuis 2010, le budget de plus d’un ménage sur deux dépend majoritairement de la retraite des grands-parents. En effet, selon les chiffres communiqués par Savas Robolis, un universitaire expert de la question, proche par ailleurs du gouvernement, 350 000 familles ne disposent d’aucune source de revenu provenant de l’activité de leurs membres, 500 000 familles ne comptent qu’un seul actif et seuls 105 000 parmi les 1,35 million de chômeurs sont indemnisés [1].
Le caractère explosif de ce dossier explique pourquoi la non-diminution supplémentaire des retraites était l’une des « lignes rouges » du gouvernement Syriza lors de la première phase, celle de la « négociation conflictuelle » avec la Troïka, qui s’est achevée avec la capitulation de Tsipras en juillet 2015. C’était également l’une des principales exigences du « plan Juncker » qui avait été rejeté lors du référendum du 5 juillet 2015.
Pour couvrir leurs reniements, Tsipras et son gouvernement, tout particulièrement le ministre du travail Giorgos Katrougalos, ont multiplié les déclarations apaisantes, dont le caractère mensonger devenait de plus en plus évident une fois arrêtées les grandes lignes de la « réforme ». Ils ont persévérés dans cette ligne jusqu’au bout. Ainsi, lors de son allocution au parlement, Katrougalos déclarait « aucune retraite principale ne sera diminuée » tout en affirmant que « ce gouvernement n’enverra pas la facture aux générations suivantes » [2]. Alexis Tsipras, de son côté, n’a pas hésité à dire aux parlementaires que « nous protégeons les forces sociales qui pendant cinq ans, ont supporté le fardeau de la crise. Retraités, ouvriers, paysans, scientifiques, chômeurs. Ce sont les forces sociales que nous voulons représenter ... Avec le projet de loi que nous votons aujourd’hui, nous visons à créer un système de retraite durable qui garantit des pensions pour tous les citoyens et en même temps ce sera conforme avec la justice sociale, en tenant compte des difficultés économiques de la situation » [3].
La réalité des mesures votées, et une simple énumération de leurs conséquences, apporte un démenti cinglant à ces affirmations. Elle révèle en même temps un niveau de cynisme et de manipulation de l’opinion jamais atteint dans le pays après la chute de la dictature des colonels. Dans le texte qui suit Dimitris Stratoulis, ancien vice-ministre des affaires sociales du premier gouvernement Syriza, et l’un de meilleurs connaisseurs du dossier, démonte le mécanisme implacable qui ne fera qu’accélérer la mort sociale du retraité grec, et d’une bonne partie de la population de ce pays.
Des coups mortels portés au système des retraites
Dimitris Stratoulis, Unité Populaire, ancien vice-ministre des affaires sociales [4] [5]
Résumé par Stathis Kouvélakis
[1] http://www.efsyn.gr/arthro/apo-enan-ergazomeno-ana-oikogeneia-ston-syntaxioyho-poy-zei-tin-oikogeneia
[4] http://www.dikaiologitika.gr/eidhseis/asfalish/104634/stratoylis-19-thanatifora-xtypimata-stis-syntakseis-kai-stin-koinoniki-asfalisi
[5] Voir le communiqué qu’Eric Toussaint avait publié suite à la rencontre avec le ministre Dimitris Stratoulis qui a eu lieu en mai 2015 http://www.cadtm.org/Communique-d-Eric-Toussaint-suite
enseigne la philosophie politique au King’s College de l’université de Londres.
Membre de la rédaction de la revue Contretemps, il a dirigé l’ouvrage Y a t il une vie après le capitalisme ? (Le Temps des Cerises, 2008) et il est l’auteur de La France en révolte : Luttes sociales et cycles politiques (Textuel, 2007) et de Philosophie et révolution, De Kant à Marx (PUF, 2003). Il a été membre du comité central de SYRIZA jusqu’à l’été 2015 qu’il a quitté suite à la capitulation du gouvernement de Tsipras. Il a contribué à créer Unité Populaire.
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