Grèce : Le parti néonazi L’Aube Dorée

Une surprise ? Un phénomène inattendu ?

26 novembre 2013 par Yannis Thanassekos


Le soir du 17 septembre 2013, le militant et chanteur antifasciste Pavlos Fyssas, fut lâchement abattu à coups de couteau, par un membre des sections d’assauts du parti néonazi grec « l’Aube Dorée ». Cela déclencha, le soir même, un vaste mouvement de protestation, d’indignation et de colère, poursuivi, jusqu’à aujourd’hui, par de vastes mobilisations antifascistes à l’échelle du pays tout entier. Pris de panique, contraint par les mobilisations antifascistes et les pressions de l’opinion publique internationale, le gouvernement grec s’est décidé enfin, en quelques heures, à arrêter les principaux dirigeants de l’Aube Dorée, quelques-uns de ses députés et de ses cadres et de les poursuivre en justice au titre de leur participation aux activités d’une organisation criminelle. Cependant, les poursuites judiciaires se compliquent d’autant plus que le parti néonazi s’avère disposer, de longue date, de solides complicités et de soutiens actifs aussi bien au sein même de l’appareil de l’Etat (Administration, Sécurité nationale, Forces spéciales de répression, Police, Armée) que dans le monde de l’économie et de la finance (des armateurs aux milieux mafieux de l’économie souterraine). Nous y reviendrons.



Une surprise ?

Ce qui est à la fois étrange et paradoxal, c’est qu’aussi bien le gouvernement grec que les médias à son service se sont ostensiblement montrés, au lendemain même de cet ignoble assassinat, comme « surpris » par l’événement, comme si, avec cet acte barbare, ils découvraient soudain, à la fois l’existence du parti néonazi, son idéologie et ses agissements criminels. Pourtant, il était de notoriété publique, au sens propre, que ce parti, qui depuis sa création officielle au début des années 1980, n’a jamais caché, ni son idéologie national-socialiste, ni ses références à Hitler, ni ses discours négationnistes, antisémites, racistes et xénophobes, n’avait cessé, depuis quatre ans déjà, de commettre, dans l’impunité la plus totale et avec la complicité de forces de police, nombre d’assassinats et d’agressions violentes contre des immigrés, des opposants politiques, des syndicalistes et des militants antifascistes. Nul n’ignorait en Grèce et même à l’étranger, que l’Aube Dorée, parti ouvertement néonazi, semait la terreur dans les rues d’Athènes et en province. Du reste, ses principaux dirigeants, comme son Secrétaire général, aujourd’hui sous les verrous, Nikos Michaloliakos, étaient déjà bien connus, dès les années 1970, à la fois sur le plan politique en tant que membres de groupuscules nazi aux appellations les plus diverses et sur le plan judiciaire, pour avoir été déjà poursuivis pour actes de violence envers des journalistes, démocrates et militants de gauche. En outre, tour à tour, questions parlementaires, dépôt de plaintes en justice, mobilisations et dénonciations publiques de tous ces crimes, n’avaient cessé, depuis trois ans, d’assiéger les autorités et le gouvernement, exigeant des mesures d’urgence pour mettre fin aux agissements des néonazis. Peine perdue, le gouvernement (cynique coalition du parti de la droite traditionnelle et du parti dit « socialiste ») et l’appareil judiciaire restaient imperturbables, faisant la sourde oreille. Il a fallu du « sang grec » (celui des immigrés Pakistanais ne suffisait apparemment pas), la mobilisation massive de la société et de l’opinion internationale pour que Gouvernement et Justice se décident enfin à sortir de leur mutisme et de leur coupable indifférence. D’un seul coup, ils « découvrent » alors, entassés dans les tiroirs du Ministère de l’intérieur, accumulés depuis 2011, nombre de dossiers et de plaintes contre le parti néonazi, documents accablants, que le ministre de l’Ordre public et de la protection du citoyen, n’avait même pas envoyés à son collègue de la Justice ! Nul doute : le gouvernement avait toléré tous ces agissements criminels dans la mesure où l’existence même du parti néonazi et ses forfaits, y compris au sein du parlement, créait un climat de tension extrême, d’intimidation, d’insécurité, d’instabilité et de peur, climat sur lequel il pouvait précisément prendre appui à la fois pour se légitimer et pour appliquer dans l’urgence le vaste programme de mesures d’austérité imposé au pays par le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la Banque Centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. Européenne et la Commission de Bruxelles (la fameuse « troïka »). Nous y reviendrons aussi.

Certes, bien que tardive, la décision de mettre sous les verrous les principaux responsables de l’organisation néonazie, de démanteler ses sections d’assauts et de poursuivre pénalement l’Aube Dorée, s’imposait dans l’urgence et elle rencontre incontestablement les attentes de toute la société grecque et tout particulièrement des mouvements antifascistes. Cependant, les poursuites judiciaires au pénal n’épuisent nullement la question et n’éliminent nullement les menaces qui pèsent toujours sur la démocratie et le système politique grecs. Car, en même temps qu’on feint de « découvrir » le caractère criminel du parti néonazi, on feint aussi de « découvrir » ses relations intimes avec les forces de l’ordre, la Police, l’Armée et, de façon générale, avec l’ensemble de l’appareil répressif de l’Etat – appareil judiciaire compris. Or, en Grèce, les multiples intrications et connivences entre, d’une part, l’appareil d’Etat et, de l’autre, toutes sortes d’organisations paraétatiques et paramilitaires (auxiliaires des basses besognes), constituent un très vieil héritage politique : un héritage que la guerre civile de 1946 à 1949, les régimes militaro-policiers qui lui ont fait suite dans le cadre de la guerre froide (1950-1963) et la dictature des colonels (1967-1974) avaient portés à son comble et installé durablement au cœur même du système coercitif de l’Etat grec moderne. Depuis le retour de la démocratie parlementaire en 1974 et en dépit de quelques timides avancées dans ce domaine, aucun gouvernement, toutes tendances politiques confondues, ne s’est donné les moyens de, ni n’a entrepris des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
pour liquider ce lourd et encombrant héritage qui pourrait, à tout moment, se réactiver et mettre en danger la démocratie et le fonctionnement normal des institutions politiques. Dans sa sinistre actualité, l’ « affaire Aube Dorée » atteste ainsi de l’actualité de cet héritage, de sa vitalité et de son caractère plus que jamais actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
au cœur même du système politique grec.

Compte tenu de ce qui précède, les poursuites pénales des cadres, des activistes et des membres de « l’Aube Dorée » pour leur participation à une organisation criminelle, ne sauraient suffire pour venir à bout de la pieuvre nazie. Il faut une lutte politique en profondeur pour imposer la transformation radicale des structures même de l’Etat grec, de l’organisation et du fonctionnement de ses appareils de répression qui échappent aujourd’hui encore, à tout contrôle politique démocratique. Opacité, arbitraire et corruption y règnent en maître. Jusqu’à cette même nuit fatidique de l’assassinat du jeune antifasciste, le gouvernement grec et ses fidèles médias semblaient ignorer aussi l’existence des relations intimes qu’entretenait l’Aube Dorée avec le monde de l’économie et de la finance ! Ils feignaient de n’en avoir pris connaissance, comme par miracle, que le lendemain de ces tragiques événements, à la suite de surprenantes révélations qu’ont généré en cascade, enquêtes journalistiques et instructions judiciaires. Pourtant, le gouvernement disposait de tous les moyens pour identifier les sources financières du parti nazi, mais il a préféré, ici aussi, rester muet et passif Passif Partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (capitaux propres apportés par les associés, provisions pour risques et charges, dettes). , jusqu’à la complicité. Quelle « découverte » du reste ! Il ne fallait pas être vraiment historien pour savoir que, comme dans le passé, toutes les formations politiques de l’extrême droite et singulièrement des partis fascistes et nazis, bénéficient de larges soutiens auprès des milieux d’affaires et de la pègre. La lutte politique contre les néonazis grecs doit donc aussi mettre en lumière le rôle et la responsabilité de tous ces milieux, officiels, officieux et mafieux, activement impliqués dans la formation, le développement et les actions criminelles de l’Aube Dorée. Rien n’indique toutefois, pour le moment en tout cas, que le gouvernement grec ait la volonté politique d’aller jusqu’au bout de cette tâche et d’en assumer les ultimes conséquences politiques. Il n’y a que le mouvement antifasciste, les mobilisations permanentes et la pression de toute la société qui peuvent, in fine, obliger le gouvernement d’aller aussi loin que possible dans le démantèlement de l’Aube Dorée et de tous ses réseaux complices à tous les niveaux – État, Administration, Forces de police, Armée, monde économique et financier.

Les racines et les raisons de la montée de l’Aube Dorée

Cette brève présentation n’épuise toutefois pas les vraies questions que soulève l’existence même de ce parti néonazi, non seulement au cœur du système politique grec mais aussi au sein de la société grecque. Comment expliquer en effet que, groupusculaire dans les années 1970, à audience très faible durant ses premières années d’existence, ce petit parti de nostalgiques du national-socialisme, s’est trouvé propulsé, en quelques années seulement, (en 2012 précisément), au rang de troisième parti du pays tout en faisant une entrée spectaculaire au parlement avec quelques dix-huit députés ? Telle est la question essentielle. Quatre raisons convergentes expliquent ce nouveau phénomène – qui doit, du reste, être mis en rapport avec le développement partout en Europe, d’autres partis de l’extrême droite, chacun avec ses spécificités nationales, régionales et locales.

La première raison se rapporte, bien évidemment, à la crise économique et financière qui frappe tout particulièrement la Grèce depuis le début de la crise internationale de 2008. Un grand nombre de publications ont déjà traité de la crise grecque en mettant en évidence, on ne peut plus cruellement, les conséquences catastrophiques de la politique d’austérité imposée au pays par la fameuse « troïka », politique docilement appliquée, tambour battant, par tous les gouvernements grecs successifs depuis 2010. La politique néolibérale dans toute sa splendeur, dans tout son cynisme : chute vertigineuse du niveau de vie pour la grande majorité de la population, chômage de masse, pauvreté et misère à grande échelle, récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. structurelle, démantèlement des services publics, coupes drastiques de dépenses qui ruinent la sécurité sociale, la santé publique, et l’éducation, privatisations en cascade de biens publics, y compris de secteurs stratégiques pour l’économie du pays, liquidation de toutes les conquêtes sociales, y compris en matière de droit de travail (entre autres : suppression de conventions collectives, autorisation de licenciements collectifs, salaire minimum de mendicité imposé par le patronat...), enfin, mise au pas de toute protestation sociale, par la force brutale si nécessaire. Au vu du désastre social provoqué par une telle politique, faut-il vraiment s’étonner de cette brusque massification du parti néonazi en Grèce ? Nul secret, nulle énigme à cela. Qui sème la misère, a toutes les chances de récolter le fascisme et le nazisme. Depuis toujours, ce type de partis a été ceux du désespoir social.

La deuxième raison qui explique cette montée des néonazis en Grèce, est liée directement aux conséquences politiques de la crise économique et sociale. En effet, depuis 2010, tout ce train de mesures d’austérité et de mise sous tutelle néolibérale de la société, a été décidé, systématiquement, en foulant littéralement aux pieds les principes fondamentaux de la Constitution grecque ainsi que les principes élémentaires du fonctionnement des institutions démocratiques et parlementaires. Depuis le premier Mémorandum en 2010, qui a mis la Grèce sous tutelle de la « troïka », le pays vit littéralement sous un régime informel d’ « état d’exception », voire d’un « état de guerre » qui autorise, de fait, de contourner les contraintes constitutionnelles et de passer outre les règles normales du contrôle parlementaire. Ces deux dernières années, toutes les décisions relatives à l’application de mesures d’austérité ont été prises par des décrets gouvernementaux au contenu législatif, le parlement étant mis littéralement hors jeu, réduit au rôle de simple chambre d’enregistrement des décisions-décrets. C’est en vertu d’un décret de cet ordre que le gouvernement grec vient, il y a quelques mois, de supprimer, purement et simplement, la radiotélévision publique grecque ! Pourtant, ledit décret a été déclaré absolument anticonstitutionnel par le Conseil constitutionnel ! Rien à faire, le gouvernement persiste et signe, institutionnalisant par là l’arbitraire le plus total. Des juristes, des constitutionnalistes et des politologues, grecs et étrangers, n’ont cessé de dénoncer vivement toutes ces dérives qui mettent à mal le système démocratique. Nombre d’autres juristes et penseurs politiques n’ont pas manqué de comparer la situation politique actuelle en Grèce avec celle de la République de Weimar dans sa phase d’agonie entre 1929 et 1933. Rien à faire non plus, le gouvernement grec n’en a cure, tout comme de la Commission Européenne, pourtant garante de l’observance des principes démocratiques dans les pays membres de l’Union. Le constat s’impose : à la faveur des mesures néolibérales, les gouvernements grecs ont activement participé, depuis 2010, au délitement et à la fragilisation du régime démocratique, en faisant ainsi une proie facile pour le parti néonazi et pour tous ceux, y compris dans l’armée, sont prêts à toutes les aventures autoritaires et dictatoriales.

Une troisième raison explique, de façon convergente, le développement de l ’Aube Dorée durant ces trois dernières années. Il est curieux de constater qu’au début de la crise et de la mise sous tutelle du pays par la troïka (2010), seul le Parti socialiste panhellénique (PASOK), alors au pouvoir, assuma pleinement la légitimation et la mise en œuvre de la politique dite « d’ajustements structurels » dictée par les créanciers – comme d’autres partis « frères », le parti socialiste grec avait adhéré déjà aussi bien à la doctrine qu’aux pratiques du néolibéralisme. Ce qui est cocasse c’est qu’en ce début de la crise, le parti de la droite traditionnel, libéral mais héritier aussi des gouvernements autoritaires et policiers des années 1950, adopta publiquement alors des postures d’opposition radicale à la politique menée par les socialistes, promettant que s’il arrivait au pouvoir, il irait renégocier avec les autorités européennes afin d’épargner à la Grèce les mesures d’austérité draconiennes qu’avaient accepté les socialistes. S’en suivit un bref intermède, avec, en novembre 2011, la constitution d’un gouvernement de coalition dite d’Union nationale, entre le PASOK, la droite et un petit parti, déjà,….de l’extrême droite, « LAOS », nécessaire pour s’assurer d’une bien fragile majorité au parlement. « LAOS », littéralement, « Alerte Populaire Orthodoxe » est un parti typique de l’extrême droite traditionnelle et populiste regroupant des nostalgiques de la dictature de Metaxas (1936-1940), de la dictature des colonels (1967-1974), des nationalistes extrêmes, des anticommunistes de longue date, des intégristes et fondamentalistes orthodoxes, sous la bannière des valeurs propres à la droite extrême et à l’extrême droite telles que « Patrie, Religion, Famille, Travail ». Ainsi, la participation de ce petit parti de l’extrême droite à la coalition gouvernementale de 2011 envoyait déjà un signe quant aux alliances et aux stratégies politiciennes qu’entendaient mener « socialistes » et droite réunis au pouvoir. Ladite coalition, après s’être en engagée pendant la campagne électorale à renégocier avec les instances européennes les mesures d’austérité, décida, au lendemain des élections, de mettre à sa tête, à la manière italienne, un technocrate extraparlementaire, l’ancien gouverneur de la Banque de Grèce et vice-président de la Banque Centrale Européenne, Loukas Papadimou. Comme avec le gouvernement de Mario Draghi en Italie (lui aussi ancien gouverneur de la Banque centrale), l’expérience se solda en Grèce par un retentissant échec. Oubliant ses postures donquichottesques d’opposition, le parti de la droite classique se mua alors en défenseur inconditionnel des politiques d’austérité, rivalisant en cela avec son allié, le PASOK, qui avait encaissé seul jusqu’ici, le coût politique de sa politique antipopulaire. Se constitua ainsi un véritable bloc néolibéral au pouvoir composé de ces deux partis décidés plus que jamais d’appliquer à la lettre et sans tarder les politiques imposées par la « troïka ». Les confrontations électorales qui allaient suivre, en mai et en juin 2012, s’avéreront décisives. Par rapport aux scores des élections de 2009, les résultats des élections de mai 2012 seront marqués, d’une part, par une remarquable chute de la droite (passant de 33,47% en 2009 à 18,85%) et, de l’autre, par l’effondrement du PASOK (passant de 43,92% en 2009 à 13,18%). Dans le même temps, trois autres phénomènes marquent significativement les élections de mai 2012 : la quasi disparition du parti de l’extrême droite de « LAOS » : certains de ses cadres rejoignent la direction du parti de la droite et deviennent ministres tandis que le gros de son électorat se disperse entre la droite et….l’Aube Dorée ; l’extraordinaire percée du parti néonazi, précisément, passant à moins de trois ans, de 0,29% en 2009 à 6,97%, obtenant ainsi 21 sièges au parlement ; enfin, l’ascension non moins remarquable de la coalition de gauche radicale, SYRIZA, qui, ne totalisant en 2009 que 4,60% des suffrages exprimés, en obtient 16,66% en mai 2012 ! Si le scrutin du mois suivant, en juin 2012, permet à la droite, avec un score de 29,66%, de récupérer quelques forces en jouant du chantage pur et simple (Nous et les mesures d’austérité si non, la banqueroute du pays, la sortie de l’Euro et le retour des tanks dans les rues d’Athènes), les autres résultats confirment à la fois l’effondrement des socialistes (qui passent de 13,18% à 12,28%) et la polarisation entre la gauche et le parti néonazi : l’Aube Dorée se stabilise (de 6,97% passe à 6,92%) alors que la gauche radicale s’envole obtenant le score surprenant de 26,89%. Les divers sondages effectués depuis juin 2012 et jusqu’à la veille de l’assassinat du jeune antifasciste le 17 septembre dernier, confirmaient de façon éclatante cette polarisation : effondrement irrésistible des socialistes (crédités de 6 à 7 %), croissance remarquable des néonazis (crédités de 13 à 15%, devenant ainsi le troisième parti du pays) et enfin, scores quasi identiques de la droite et de la gauche radicale rivalisant pour le rang de premier parti du pays (les scores se situant pour les deux partis entre 20 et 21%) et, enfin, tassement des autres partis entre 3 et 5% (gauche démocratique, Parti communiste et Grecs indépendants).

Ce n’est pas le lieu d’analyser ici l’irruption de cette nouvelle formation politique de gauche, SYRIZA, qui, à peine apparue en 2004, est aujourd’hui en position de revendiquer le pouvoir et d’apparaître aux yeux de vastes secteurs de la société grecque, comme le seul parti capable de rompre avec la politique néolibérale qui a plongé la société grecque dans la récession durable, la pauvreté extrême et le désespoir. C’est un phénomène qui, non seulement bouleverse de fond en comble le paysage politique grec, mais qui interroge aussi, par l’exception qu’il constitue, l’évolution des rapports de forces au sein d’une Union Européenne taraudée par une crise qui ne cesse de s’aggraver. Nous savons en effet, que nombre d’autres pays, notamment dans le sud méditerranéen – et pas seulement – ont également connu de vastes mouvements sociaux, des mobilisations souvent de grande ampleur, des grèves à répétition ainsi que de multiples autres initiatives de résistance aux politiques néolibérales, mais il est tout aussi vrai également que nulle part ailleurs, toutes ces indignations, protestations et révoltes sociales, n’ont pu se cristalliser, se donner une expression politique relativement unifiée et donner ainsi corps, comme en Grèce, à une grande formation politique enracinée résolument à gauche et en mesure de mettre un cran d’arrêt aux ravages de la politique néolibérale. Cette « exception grecque » est à méditer…

Les résultats des élections de mai et juin 2012 que nous venons d’évoquer, nous fournissent la quatrième raison qui explique la dangereuse percée du parti néonazi. En effet, ces deux scrutins marquent à la fois le rétrécissement du bloc néolibéral au pouvoir (droite et socialistes ensemble totalisent en mai /juin 2012 41,34%) et sa forte radicalisation à droite : accélération des reformes antisociales, répression, souvent d’une rare brutalité, de toutes les manifestations et protestations sociales, ouverture systématique enfin aux thèmes propres aux discours de l’extrême droite dans l’espoir de mordre sur l’électorat du parti néonazi. Les sondages à répétition depuis juin 2012 n’ont pas manqué entre temps de semer la panique dans les rangs du gouvernement. Ils n’accordaient plus en effet à la coalition droite-socialiste la majorité nécessaire pour former seuls un gouvernement. L’apport de l’Aube Dorée s’avérait ainsi une solution envisageable pour pouvoir former un gouvernement stable. Et de fait, il n’y a pas longtemps, des hauts responsables de la droite n’ont pas hésité faire des appels du pieds à l’Aube Dorée, lui conseillant de « s’assagir », de devenir un « parti sérieux », susceptible d’intégrer, comme jadis le parti de LAOS, le gouvernement, dans une nouvelle coalition d’Union nationale ! Une fois encore, il apparaît que le passage de la droite dure décomplexée au fascisme n’est qu’une simple question de circonstances. Toutefois, le résultat de cette radicalisation à droite du bloc au pouvoir, était prévisible et à l’exact opposé du résultat escompté : loin de faire reculer le parti nazi, elle a rendu possible son autonomisation et sa croissance, loin d’ « assagir » l’Aube Dorée, elle l’a radicalisé à l’extrême, loin d’attirer vers le bloc au pouvoir l’électorat traditionnel, volatil et déboussolé de la droite, elle a permis, au contraire, au parti néonazi d’aller chercher ses supporters chez les déçus de la droite classique et des socialistes. C’est ainsi et seulement ainsi, que l’Aube Dorée est passée de 0,29% en 2009 à 6,92% en 2012 et que les sondages lui donnaient, la veille de l’assassinat du jeune antifasciste, 9 à 10%. La droite et les socialistes au pouvoir, soit en alternance, soit en coalition, n’ont pas compris ce que ne semblent pas avoir davantage compris l’UMP et les socialistes français, à savoir que plus le bloc au pouvoir se radicalise à droite, plus l’extrême droite s’autonomise et gagne du terrain. Les derniers scrutins français au niveau cantonal confirment tragiquement cette règle.

13 octobre 2013

Epilogue

Depuis mi-octobre 2013, la situation demeure tout aussi critique qu’explosive à tous les niveaux. Sur le plan de la crise, plus le gouvernement de coalition de la droite et des « socialistes » annonce, à grand renforts des médias à ses services, l’apparition des « premières lumières au fond du tunnel » et la sortie prochaine de la crise, plus le peuple grec se voit accablé de nouvelles mesures d’austérité et d’une politique de répression brutale des mouvements de contestation – nouveau système d’impôt qui frappe aussi bien les plus démunis que les classes moyennes déjà laminées par la crise, libéralisation des ventes aux enchères des maisons dont les ménages ne peuvent plus s’acquitter de leur prêts auprès des Banques, 15.000 à 20.000 licenciements secs dans la fonction publique, libéralisation des licenciements dans le secteur privé, criminalisation des mouvements sociaux et des luttes populaires, la liste serait longue… Non seulement on ne voit nulle lueur au fond du tunnel, mais il n’y a plus à proprement parler de tunnel : il n’y a plus qu’un gouffre dans lequel s’enfonce de plus en plus toute la société grecque. Sur le plan proprement politique la situation est tout aussi critique. Après la fermeture illégale et anticonstitutionnelle de la radiotélévision publique le 11 juin 2013 et l’occupation de ses installations par ses journalistes et salariés – brutalement licenciés par décret ministériel –, le gouvernement grec franchi, le 7 novembre, un pas supplémentaire dans l’illégalité : il ordonna aux forces spéciales de police d’enfoncer les portes de la radiotélévision publique, de déloger tout son personnel et d’y mettre les verrous ! Ce pas franchi, le premier parti de l’opposition, SYRIZA, pris l’initiative de déposer, le lendemain, le 8 novembre, une motion de censure. Le résultat fut édifiant : le gouvernement n’a pu échapper à la motion de censure que par 153 voix, soit seulement 2 voix de plus par rapport au seuil requis de 151 députés (Sur 294 députés, 153 votèrent contre (Droite et « socialistes » réunis), 124 pour (SYRIZA, Parti Communiste et Grecs Indépendants, les autres s’étant déclarés « présents »). Ce score de 153 députés qui ont soutenu le gouvernement est hautement significatif si l’on tient compte qu’au moment de sa formation fin juin 2013, cette même coalition gouvernementale de la droite et des « socialistes » disposait alors de 179 députés – ce qui signifie qu’il a perdu en cinq mois quelques 26 députés ! La vie du gouvernement ne tient plus qu’à un fil. Du côté de l’Aube Dorée, les enquêtes et les poursuites judiciaires poursuivent leur chemin – le temps de la justice dispose de son propre rythme qui n’est pas celui de la politique. Sous la pression du mouvement antifasciste et de l’opinion publique, les principaux dirigeants du parti néonazi sont sous les verrous et l’immunité parlementaire de plusieurs de ses députés a été levée. En plus, fin octobre, le financement public du parti néonazi a été suspendu par une écrasante majorité au parlement grec. Il faut mentionner ici le rôle décisif qu’ont joué dans tous ces mouvements, tant au niveau de la motion de censure qu’au niveau de la lutte contre l’Aube Dorée, les députés de SYRIZA – sa député Sofia Sakorafa prononça un remarquable réquisitoire de la politique gouvernementale lors de la discussion de la motion de censure au parlement le 9 novembre. Les sondages effectués quelque temps après l’assassinat du jeune antifasciste Pavlos Fyssas, dénotaient un recul certain du parti nazi et une déroute de ses militants qui semblaient disparaître de la scène publique. Cependant, un événement grave et particulièrement dangereux s’est produit dans la nuit du 1er novembre. Deux inconnus ont abattu à bout portant deux membres de l’Aube Dorée et blessé gravement un troisième devant les bureaux du parti néonazi ! La police enquête. Indépendamment de l’identité des auteurs du crime et de leur mobile, cet acte constitue, objectivement, une véritable provocation politique. Elle assombrit un climat déjà lourd et nourrit toute la propagande gouvernementale qui vise à terroriser la population. Et pas seulement, cet acte donne l’occasion au parti nazi de se présenter à l’opinion publique comme… une victime, une victime à la fois de la violence de la gauche radicale – qui a pourtant inconditionnellement condamné cet assassinat – et de la violence gouvernementale. Dans ces conditions, les discours démagogiques du parti néonazi contre la politique gouvernementale d’austérité, risquent de regagner du terrain dans la mesure où les poursuites engagées contre lui par un gouvernement discrédité pourraient être perçues, par une partie de la population, comme un acte de vengeance des hommes corrompus au pouvoir. Aussi, les résultats ne se sont pas fait attendre : le sondage réalisé le 23 novembre 2013 par Metron Analysis, crédite l’Aube Dorée de….10%, plaçant le parti nazi en troisième position dans l’échiquier politique (SYRIZA, 29,9%, ND Droite, 29,2%, Aube Dorée, 10%, PASOK, 6%, Parti Communiste, 5,9%, Grecs Indépendants, 5,9%, Gauche Démocratique, 3,7%). Ceux, optimistes, qui pensaient qu’on avait fini avec l’Aube Dorée déclarée officiellement « organisation criminelle », se sont malheureusement trompés. Aussi bien en Grèce qu’en Europe, l’extrême droite et la droite extrême, ces vieux démons du vieux continent, sont toujours présents, s’activent, agissent en se nourrissant d’une crise qui ne finit pas d’en finir. La lutte antifasciste, la lutte pour la démocratie, la lutte contre les politiques néolibérales à tous les niveaux, la lutte contre la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
illégitime forment les facettes d’une seule et même lutte. La seule lutte……

24 novembre 2013