Cette tribune a été publiée par la RTBF sur son site le 30 mars 2016
30 mars 2016 par Eric Toussaint , Renaud Vivien
Juan Pablo Bohoslavsky (CC)
De retour de sa mission en Grèce, l’Expert de l’ONU sur la dette, Juan Pablo Bohoslavsky, vient de présenter son rapport au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Bien qu’il soit rédigé dans des termes diplomatiques, ce rapport sur la situation en Grèce est accablant pour les créanciers.
Un million : c’est le nombre de personnes ayant perdu leur emploi depuis la thérapie de choc imposée par l’Union européenne (UE) et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 188 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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à partir de mai 2010. Alors que le nombre de chômeurs a été multiplié par trois entre 2009 et 2013, les dépenses liées aux indemnités de chômage ont chuté de 30% si bien que seulement 10% des sans-emplois reçoivent des indemnités de chômage. Sur la même période, les dépenses pour lutter contre l’exclusion sociale ont baissé de 81% et le budget de la santé a été amputé de 42%. Ce qui fait dire à l’Expert que « l’austérité excessive a tué les infirmières et les médecins avant de s’occuper des patients ». Au total ce sont deux millions de citoyens (sur une population de 11 millions) qui vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté avec moins de 384 euros par mois et les premières victimes sont les femmes.
L’Expert met en évidence que cette violation massive des droits fondamentaux de la population grecque (droit à la santé, au travail, au logement, à l’alimentation, à la protection sociale, à conclure des négociations collectives, etc) « n’est pas due à la main invisible » mais résulte directement de la mise en œuvre des deux premiers mémorandums conclus en 2010 et 2012 entre la Grèce et ses créanciers. Ces créanciers qui sont les gouvernements de la zone euro incluant donc la Belgique, le Mécanisme européen de stabilité (MES), la Commission européenne, la Banque centrale européenne
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) et le FMI ont pourtant l’obligation de respecter ces droits.
Les créanciers agissent dans l’illégalité
N’en déplaise à la BCE qui refuse de répondre aux questions parlementaires sur ses obligations juridiques, celle-ci est bien tenue, à l’instar de la Commission européenne et du MES, de respecter la Charte des droits fondamentaux de l’UE, comme le rappelle l’Expert de l’ONU. Ce texte, dont la portée juridique est contraignante, consacre entre autres le droit à la santé et le droit à la sécurité sociale. Selon l’article 34, « L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi ». L’article 35 dispose que « toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union européenne ».
En violation de ces textes mais aussi de plusieurs décisions rendues par des tribunaux grecs jugeant illégales certaines réductions dans les pensions et dans les salaires, les créanciers continuent à conditionner le versement des tranches de leurs prêts à des coupes drastiques dans les budgets sociaux. Alors que le désastre est sous leurs yeux et que près de la moitié des pensionnés grecs vivent sous le seuil de pauvreté, ils exigent actuellement une énième diminution des pensions. Le troisième mémorandum conclu avec le gouvernement de Tsipras prévoit une réduction des dépenses de sécurité sociale pour un montant équivalent à 1,5% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
par an, plus une diminution du salaire minimum légal. Ce qui constitue selon l’Expert une violation flagrante de l’article 7 du Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels.
Six ans après la signature du premier mémorandum, les créanciers continuent donc d’agir dans l’illégalité engageant ainsi leur responsabilité juridique même s’ils refusent de la reconnaître. On comprend alors pourquoi la Commission européenne refuse de se plier à l’obligation de réaliser une étude sur l’impact humain des mesures dictées à la Grèce.
Face à la crise sociale et humanitaire, le gouvernement grec ne peut rembourser la dette sans violer ses obligations envers sa population et son devoir de porter secours aux réfugiés. La dette réclamée à la Grèce est à la fois insoutenable du point de vue financier (selon le FMI, elle atteindra 200% du PIB en 2017) et du point de vue des obligations de respect des droits humains. Par conséquent « les créanciers ne devraient raisonnablement et légitimement pas espérer obtenir le paiement intégral de la dette », écrit l’Expert avant d’insister pour que l’allègement de la dette ait lieu immédiatement.
En plus d’être insoutenable, cette dette est illégale, illégitime et odieuse selon la Commission pour la vérité sur la dette grecque créée en avril 2015 par l’ancienne Présidente du Parlement hellénique. Ses travaux sont d’ailleurs salués par l’Expert, qui lui recommande de poursuivre ses investigations afin de faire toute la lumière sur la responsabilité des banques privées qui étaient créancières de la Grèce avant l’intervention de l’UE et du FMI pour les sauver en 2010 grâce à l’argent du prêt. Le rapport indique à ce propos que le seul poste budgétaire qui a connu une augmentation est celui des « affaires économiques » du fait du sauvetage des banques. Ce poste a augmenté de 116% alors même la majeure partie des sommes allouées par les créanciers aux sauvetages des banques n’est pas passée par le budget de l’État et n’est donc pas incluse dans le calcul.
Cette dette léguée par le secteur bancaire et utilisée par les créanciers pour écraser le peuple et brader les richesses de la Grèce n’a pas être payée par les citoyens grecs. Le coût de son annulation devrait logiquement être supporté par la quinzaine de banques privées sauvées par l’UE et le FMI. Mais il faudra bien plus que des rapports comme ceux de l’ONU pour y parvenir.
Renaud Vivien et Eric Toussaint sont membres du CADTM (www.cadtm.org) et de la Commission pour la Vérité sur la dette grecque.
Source : RTBF
docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.
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