Histoire critique du FMI et de la Banque mondiale

29 septembre 2016 par Eric Toussaint , Damien Millet


Nous publions la contribution de Damien Millet et d’Eric Toussaint au Manuel d’histoire critique que Le Monde diplomatique a publié en 2014 et dont nous recommandons vivement la lecture (voir : http://boutique.monde-diplomatique.fr/manuel-d-histoire-critique-12733.html). Le résumé critique de l’histoire du FMI et de la Banque mondiale écrit voici deux ans tient parfaitement la route.



Le 22 juillet 1944, 44 pays décident à Bretton Woods (Etats-Unis) de créer le Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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(FMI) et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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. Pour éviter une nouvelle crise comme celle de 1929, les puissances occidentales mettent sur pied ces deux puissants outils de contrôle. Selon leurs fondateurs, le FMI doit garantir la stabilité des monnaies en établissant « l’étalon or » (contre lequel toutes les devises peuvent être échangées) et en plaçant le dollar au cœur du système monétaire international Système monétaire international
SMI
Le SMI est un système de règles et de mécanismes institué par les États et les organisations internationales pour favoriser les échanges internationaux et assurer la coordination des politiques monétaires nationales. Celui qui est utilisé actuellement, est issu des accords de la Jamaïque (1976). Il a profondément amendé le système précédent organisé par les accords de Bretton Woods (États-Unis) en 1944.
, il doit également contrôler les mouvements de capitaux ; la Banque mondiale doit œuvrer à la reconstruction et au développement des pays du tiers-monde.

Tout bascule le 15 août 1971 : 53 milliards de dollars circulent dans le monde, soit cinq fois plus que les stocks d’or du pays. La confiance dans le billet vert s’effrite. Le président américain Richard Nixon met alors fin à la « libre convertibilité Convertibilité Désigne la possibilité légale de passer d’une monnaie à une autre ou d’une monnaie à l’étalon dans laquelle elle est officiellement définie. Dans le système actuel de taux de change libéralisés (c’est l’offre et la demande de devises qui détermine leurs cours respectifs - taux de change flottants), les monnaies flottent autour du dollar (étalon-dollar). du dollar en or », ce qui débouche sur la variation des monnaies les unes par rapport aux autres. Le FMI perd de sa superbe…

1979 marque un tournant dans l’avènement du néolibéralisme : soucieux de mettre un coup d’arrêt à l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. (qui grignote les patrimoines), le président de la banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. des Etats-Unis (la Reserve fédérale) Paul Volcker accroît brusquement les taux d’intérêts américains. La dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays du tiers-monde y étant indexée, la mesure provoque une grave crise. En 1982, le Mexique se trouve au bord du défaut de paiement.

Le FMI revient alors sur le devant de la scène pour « venir aux aides » aux pays endettés. En échange, il leur impose des « plans d’ajustement structurel » : privatisations massives, dévaluations, promotion des exportations au détriment des besoins locaux, coupes budgétaires, etc. Sur le plan social, le résultat s’avère dramatique.

Contestées au Sud, les recettes du FMI trouvent une nouvelle vie au Nord, dans la foulée de la crise financière de 2007-2008. En Europe, il s’allie avec la Commission européenne et la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) pour former une « troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté.  » qui impose l’austérité aux pays en difficulté (Grèce, Irlande, Portugal, Chypre, Espagne…).

Même si elle veut se présenter sous un jour plus humain, la Banque mondiale fonctionne selon des principes comparables. Dès sa création, elle finance des puissances coloniales comme la France ou les Pays-Bas, alors en guerre contre des peuples en lutte pour leur émancipation. Lors des indépendances, elle organise le transfert de la dette de certaines métropoles vers leurs anciennes colonies. La dette contractée par la Belgique auprès de la Banque mondiale pour renforcer la colonisation du Congo belge est mise à charge du Congo indépendant (de même avec plusieurs ex-colonies françaises et britanniques en Afrique). Les nouveaux pays indépendants naissent donc parfois avec une dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
. Sous la présidence de l’américain Robert McNamara, à partir de 1968, elle participe à l’explosion de l’endettement des pays du Sud en finançant les alliés du bloc occidental (même s’ils sont corrompus et piétinent les droits de l’homme, comme Mobutu au Zaïre de Mobutu ou Suharto en Indonésie) et en fermant le robinet du crédit à des régimes progressistes voulant rester maîtres de leur développement (le Brésil présidé par Joao Goulart en 1961-1964, le Chili de Salvador Allende en 1970-1973, le Nicaragua sandiniste dans les années 1980).

Ces deux institutions phares de la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale ont toujours été dirigées par des ressortissants des Etats-Unis ou d’Europe. Les Etats-Unis y exercent un droit de véto car ils détiennent plus de 15% des voix alors la majorité requise est de 85%. Cette situation provoque le mécontentement des Etats du sud et en particulier des BRICs sans que cela débouche sur de véritables changements.

Pour en savoir plus lire :
- La thèse de doctorat en sciences politiques présentée par Eric Toussaint en 2004 aux universités de Liège et de Paris VIII. Titre : Enjeux politiques de l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde. Téléchargeable gratuitement : http://www.cadtm.org/Enjeux-politiques-de-l-action-de
- Eric Toussaint , Damien Millet, 65 questions 65 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, septembre 2012 Téléchargeable gratuitement : http://www.cadtm.org/65-questions-65-reponses-sur-la,8331

- Eric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’Etat permanent. L’agenda caché du Consensus de Washington, 2006. Le livre est épuisé mais il est téléchargeable gratuitement : http://www.cadtm.org/Banque-mondiale-le-coup-d-Etat


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).

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