28 mai 2018 par Eric Toussaint
Genève, contre le G8, juin 2003
Denise Comanne (1949-2010) a participé jusqu’à ce que la mort la surprenne, le 28 mai 2010, à l’action et à la réflexion du CADTM qu’elle a contribué à fonder en 1990.
La crise cardiaque qui l’a terrassée est survenue à un arrêt de tram à Bruxelles alors qu’elle venait de quitter une conférence de solidarité avec le peuple congolais. Transportée par ambulance aux urgences, plusieurs médecins ont essayé de la sauver mais après plus d’une heure de tentative, la vie l’a quittée à 18h44 le vendredi 28 mai 2010. Moi qui ai partagé tant de moments importants avec elle pendant 27 ans, je n’ai pas pu être à ses côtés car je participais à une réunion de la coordination du CADTM Afrique à Dakar à laquelle j’avais été invité pour préparer une réunion des mouvements sociaux et la possibilité de tenue du Forum social mondial dans la capitale sénégalaise l’année suivante.
J’ai repris le premier vol disponible pour organiser, avec sa famille et le CADTM, ses funérailles auxquelles des centaines de personnes ont participé. Quand j’ai appris le décès de Denise par téléphone, je ne pouvais pas le croire. J’ai été moi-même foudroyé par la nouvelle et heureusement les amis et amies du CADTM m’ont soutenu. Jean Ziegler qui arrivait à Dakar ce jour-là (pour participer à une réunion sur les droits des paysans) et qui connaissait bien Denise s’est offert pour m’accompagner vers la Belgique. Je lui ai répondu que je pouvais me débrouiller seul mais sa proposition m’a profondément aidé. Dans les jours qui ont suivi, des centaines de messages sont arrivés de tous les coins de la planète.
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Plusieurs amis et amies m’ont envoyé après le décès de Denise les paroles de la chanson de Georges Moustaki car elles correspondaient à son combat et à sa personnalité.
A 50 ans de mai 68 et à 8 ans de la mort de Denise, ce beau texte de Moustaki nous inspire encore :
Une fille bien vivante
Qui se réveille
À des lendemains qui chantent
Sous le soleil.
(...)
C’est elle que l’on matraque,
Que l’on poursuit, que l’on traque,
C’est elle qui se soulève,
Qui souffre et se met en grève.
(...)
Je voudrais sans la nommer
Vous parler d’elle :
Bien-aimée ou mal-aimée,
Elle est fidèle ;
Et si vous voulez
Que je vous la présente,
On l’appelle Révolution permanente.
https://www.youtube.com/watch?v=ouaytC9njFU
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sans_la_nommer
De manière plus intime, une chanson de Léo Ferré coïncide à ce que je ressens quand je pense à Denise
Ton ombre est là, sur ma table,
Et je ne saurais te dire comment
Le soleil factice des lampes s’en arrange
Je sais que tu es là et que tu
Ne m’as jamais quitté, jamais
Je t’ai dans moi, au profond,
Dans le sang, et tu cours dans mes veines
Tu passes dans mon cœur et tu
Te purifies dans mes poumons
http://www.frmusique.ru/texts/f/ferre_leo/lettre.htm
https://www.youtube.com/watch?v=gN3KQEpieGg
Penser aux personnes chères qui nous ont quitté/es ne doit pas nous paralyser. Leur souvenir ne nous empêche pas de vivre au présent de nouvelles expériences de relation, au contraire cela donne du sens à la poursuite de la quête de l’amour, de la justice, de l’amitié, du combat contre toutes les formes d’oppression.
Dernièrement, j’ai parcouru à nouveau les notes que Denise a rédigées dans son calepin pendant la conférence du 28 mai. Jusqu’à la dernière minute, elle s’est battue pour promouvoir la justice dans le monde et s’est exprimée avec force pour l’action émancipatrice.
Je suis en révolte permanente contre l’injustice du système capitaliste dont j’ai vu les effets dans ma vie de femme, de travailleuse. C’est pourquoi je milite.
Huit jours avant sa mort, Denise expliquait sur le net pourquoi elle était candidate du Front des Gauches [1] en Belgique :
« Née en 1949, pas mariée, pas d’enfants, mais très heureuse en amour ! J’ai fait des études d’Histoire de l’Art et Archéologie et pendant ces années universitaires (1967- 1972), j’ai participé à toutes les luttes estudiantines. Je me suis à l’époque conscientisée à la question de la dépénalisation de l’avortement et, plus largement, au féminisme. Employée à la Ville de Liège, j’ai participé très activement aux grands mouvements de grève qui ont secoué la cité en 1982-1983, 1985, 1987 et 1989. À ce moment-là, je suis devenue déléguée syndicale (à la Centrale Générale des Services Publics, membre de la Fédération Générale du Travail de Belgique) et militante politique à ce qui était alors la Ligue Révolutionnaire des Travailleurs (LRT - ancien nom de la LCR). Je suis donc membre de ce parti depuis 1984 sans interruption. Dans les années 1990, j’ai eu la possibilité de travailler au CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde) et cela, jusqu’à ma retraite en 2009. » Plus loin, Denise poursuivait : « Je suis en révolte permanente contre l’injustice du système capitaliste dont j’ai vu les effets dans ma vie de femme, de travailleuse. C’est pourquoi je milite. J’ai accepté d’être sur la liste Front des Gauches parce que, enfin, après tant d’années d’essais, on a fait un pas vers l’unité de la gauche radicale. »
Entre 1983 et 1989, Denise a participé résolument à la lutte contre le plan d’austérité imposé aux 17 000 travailleurs de la Ville afin de rembourser une dette insoutenable. Entre avril et juillet 1983, au cours des sept semaines d’actions continues dont plusieurs semaines de grève totale, elle est devenue une militante capable de prendre la parole devant des assemblées de plusieurs centaines de personnes, elle est devenue une des organisatrices de la grève. Il a fallu du courage pour faire ce pas. J’ai relu il y a peu le bilan du comité de grève qu’elle a rédigé avec d’autres activistes. Ce comité auquel elle avait très activement participé avait été mis sur pied par la base qui voulait que le mouvement soit autogéré. Nous sommes allés, avec des centaines de travailleurs de la Ville, vers les grosses usines de la région (sidérurgie et métallurgie) et les autres communes, afin d’essayer de susciter un vaste mouvement d’ensemble. Nous avons vécu des moments extraordinaires : des assemblées communes de sidérurgistes et de travailleurs de la Ville où vibrait la volonté d’agir ensemble. Il y eut aussi la venue à plusieurs reprises de délégués syndicaux d’Anvers, métropole flamande [2]. Des journées de manifestation avec des milliers de participants, une grève prolongée avec des actions de pointe, la répression par la gendarmerie (dont elle a été personnellement victime en 1983), la bataille rangée entre gendarmes et pompiers communaux en juin 1983, la grève de la faim réalisée par une douzaine de pompiers (dont notre grand ami Freddy Delava, aujourd’hui membre du conseil d’administration du CADTM [3]) et d’autres agents communaux en juillet 1983. C’est suite à cette expérience que Denise a décidé de se proposer avec succès aux élections pour devenir déléguée syndicale.
Il y avait aussi des moments de vraie détente comme cette folle baignade dans la rivière à Tilff à la nuit tombée en septembre 1983 lors des retrouvailles entre une dizaine d’ex-grévistes et d’autres amis et amies. Il y avait aussi le travail tenace de conscientisation. Entre 1983 et 1989, nous avons rédigé et diffusé 37 numéros d’un petit journal que nous avions appelé Le Communard, il était distribué gratuitement sur les lieux de travail. Il accompagnait l’hebdomadaire La Gauche que nous vendions. Combien de fois, après la grève de 1983, nous sommes nous levés à 5h du matin pour nous rendre sur le lieu de départ de camions de la ville qui réalisaient le ramassage des poubelles ? Je ne m’en rappelle pas. On prenait le café avec les éboueurs avant qu’ils ne montent sur leur camion de ramassage.
Les 22-23 mai 2010, quelques jours avant de nous quitter, Denise a rédigé avec d’autres femmes du CADTM Europe un appel à l’action pour l’annulation de la dette publique illégitime et pour la solidarité avec le peuple grec qui venait de se voir imposer, par la Troïka et le gouvernement du PASOK, le premier plan d’austérité. Elle avait également participé à la rédaction d’une autre déclaration du CADTM appelant à la mobilisation en solidarité avec le peuple grec et avançant des revendications précises. Grâce à l’expérience acquise à partir de 1983, Denise et le CADTM étaient préparés à ce que les gouvernants et les créanciers du Nord utilisent la dette publique comme un prétexte pour imposer des reculs sociaux et démocratiques en Europe. Bien souvent, des journalistes ou des activistes nous font remarquer que cela n’a certainement pas été évident comme CADTM de nous plonger dans la crise de la dette en Europe alors qu’en réalité, nous avons fait nos premières armes au Nord il y a bientôt trente ans. La ville de Liège qui comptait à peine 200 000 habitants avait une dette qui dépassait le milliard d’euros (40 milliards de francs belges), c’était presque le double de la dette d’Haïti (qui comptait une population de 5 millions). Sous le prétexte mensonger que cette dette avait été contractée pour payer trop de travailleurs en leur versant des salaires trop élevés, le pouvoir politique [4] a décidé d’imposer une très forte réduction des salaires et des emplois (les salaires réels ont été abaissés de 15 à 30% selon les cas, le nombre des travailleurs de la ville – ouvriers, personnel de santé et des services sociaux, personnel administratif, pompiers, policiers, éboueurs, enseignants…- est passé de 17 400 à un peu moins de 10 000 entre 1981 et début 1990, toute une série de services rendus à la population ont été réduits) pour baisser les dépenses. Simultanément, le pouvoir accrut les recettes en augmentant les impôts payés par la population (pas ceux payés par les entreprises). Entre 1981 et 1989, les taxes locales ont augmenté de 75% et les additionnels à l’impôt des personnes physiques de 55%. En réalité, les salaires des travailleurs de la ville étaient en général fort modestes et cette dette était le résultat de l’accumulation de plusieurs facteurs : les emprunts nécessaires à la reconstruction de la ville fortement détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les dépenses accrues de la Ville en conséquence d’une vaste opération de fusion des communes en 1976 décidée par l’État, le coût de la crise économique des années 1970 et 1980-1981 qui a impliqué des dépenses supplémentaires de la part du Centre public d’aide sociale (qui versait les aides financières aux personnes appauvries) et surtout l’explosion des taux d’intérêt sur la dette à partir de 1981. Cette année-là, l’État autorise la Ville de Liège à emprunter 7,5 milliards de francs belges (un peu moins de 200 millions d’€) à un taux de 15,1% auprès du Crédit Communal (qui allait devenir plus tard la banque Dexia). Le capital emprunté devait être remboursé en 1989. Que s’est-il passé ? La Ville a remboursé pendant 7 ans chaque année sous forme d’intérêts environ 1,1 milliard et en septembre 1989, elle s’est retrouvée incapable de rembourser le capital emprunté (7,5 milliards et les intérêts, au total, capital+intérêts, il restait à rembourser 8,5 milliards). Le Crédit Communal a refusé d’octroyer un nouveau crédit et d’autorité s’est remboursé sur le dos de la Ville. La banque a débité le compte de la Ville logé chez elle de la somme de 8,5 milliards. Ensuite cette banque a profité de son droit de prélever sur le compte de la Ville toutes les sommes qui y étaient versées par l’État, la Région et l’essentiel de ses recettes. Dans le numéro de l’hebdo La Gauche du 10 septembre 1989, Denise écrivait en parlant des travailleurs et de la population de la Ville de Liège : « Nous sommes dans la situation d’un pays du Tiers Monde confronté au FMI ! ». Je renchérissais un mois plus tard dans La Gauche du 10 octobre : « Le Crédit communal met de fait les communes en tutelle tout comme agit le FMI à l’égard des pays endettés du Tiers Monde ».
C’est dire que nous étions bien conscients de la similitude (partielle) de situation entre les peuples du Tiers Monde, soumis aux diktats des créanciers, et de certaines populations du Nord soumises aux intérêts des banquiers. Nous affirmions que la dette de la Ville de Liège était impayable et devait être annulée [5].
En octobre 1989, la lutte des travailleurs de la Ville a atteint son paroxysme et a malheureusement abouti à une défaite. Le Crédit Communal se remboursant sur les recettes de la Ville, celle-ci n’a plus été en mesure de payer les salaires des agents communaux qui, dès lors, ont repris leurs actions de protestation en les radicalisant car l’exaspération avait atteint son apogée après 6 ans d’austérité croissante. Le gouvernement fédéral, le gouvernement de la région wallonne (où les socialistes étaient aux postes clés) et le Crédit Communal, exigeaient de nouvelles mesures d’austérité encore plus injustes que les précédentes. Les travailleurs en lutte ont réalisé des actions contre le PS (alors que beaucoup d’entre eux avaient voté en faveur de ce parti ou en étaient membres), le PSC (Parti social chrétien) [6] et le Crédit Communal. Les choses se précipitent : le 10 octobre 2500 à 3000 manifestants protestent devant le siège d’une agence du Crédit Communal et Denise était aux avant-postes. Avec des pompiers, elle est entrée dans l’agence, le feu a été mis à quelques papiers dans une poubelle afin de donner un prétexte aux combattants du feu pour actionner leur appareil à mousse pour éteindre les minuscules flammes. L’agence a été remplie de mousse de savon. Il s’agissait d’attirer l’attention du public sur la responsabilité de la banque du Crédit Communal. Huit jours plus tard, le parquet de Liège, sur injonction des autorités politiques, a entamé des poursuites contre Denise et 8 autres agents communaux et pompiers. Christian Remacle, un des 2 principaux dirigeants syndicaux de la Ville, Denise, notre camarade Freddy Delava, et les autres étaient poursuivis pour avoir « détruit ou dégradé avec violence ou menaces les propriétés mobilières d’autrui avec comme circonstances aggravantes que ces faits ont été commis en bande ». Le procès dura deux ans au bout desquels ils ont été reconnus coupables, certains ont été condamnés à 3 ans de prison avec sursis !
Jusqu’à la fin de sa vie, je l’ai toujours vue prête à faire rempart de son corps pour prendre la défense de personnes qui étaient réprimées, et je n’exagère pas.
Le 16 octobre 1989, six jours après l’action symbolique réalisée auprès du Crédit Communal, se tenait dans une atmosphère digne d’une dictature une séance du Conseil communal où devait être adopté un nouveau plan d’austérité. L’indignation était à son comble d’autant que les travailleurs n’étaient toujours pas payés et que les autorités politiques avaient décidé d’empêcher la population d’assister à la séance du Conseil communal qui obligatoirement devait être publique. 800 gendarmes étaient mobilisés depuis le matin afin d’empêcher que des manifestants puissent pénétrer dans l’hôtel de ville où devait se réunir le Conseil Communal. Quand Denise a voulu porter assistance à Freddy Delava, malmené par les gendarmes, le chef de ceux-ci a ordonné son arrestation. Ils lui ont porté des coups et l’ont emmenée de force pour la mettre en garde à vue pendant 24 heures au cours desquelles elle a été déplacée d’un lieu de détention à l’autre sans avoir droit à de la nourriture. Le lendemain matin nous avons organisé une manifestation à laquelle ont participé 2000 personnes qui scandaient « Libérez Denise, libérez Denise » et qui obtinrent l’engagement des autorités politiques et judiciaires de la faire libérer dans les plus brefs délais. Le 23 octobre 1989, elle a porté plainte contre les gendarmes pour les coups et les blessures qu’ils lui ont infligés. À cette fin, elle a produit un certificat médical datant du 17 octobre et attestant des lésions subies. Cette plainte, scandaleusement, n’a pas abouti. Quand on se bat contre l’injustice, il faut se préparer à prendre des coups et on peut dire qu’au cours de la décennie 1980, Denise avait appris à les encaisser. Jusqu’à la fin de sa vie, je l’ai toujours vue prête à faire rempart de son corps pour prendre la défense de personnes qui étaient réprimées, et je n’exagère pas.
Une leçon que nous avons tirée de la lutte à la Ville de Liège, c’est que ce n’est pas parce qu’une banque est publique qu’elle agit en fonction de l’intérêt public. Le Crédit Communal, avant d’être privatisé et de faire partie de Dexia, était une banque publique belge entièrement dirigée par les trois grandes familles politiques belges : les libéraux, les sociaux chrétiens et les socialistes [7]. En 2008 quand nous avons protesté contre le sauvetage de banques privées comme Dexia, nous avons exigé qu’elles soient expropriées par les pouvoirs publics avec récupération du coût de leur assainissement sur le patrimoine des grands actionnaires. Nous ajoutions qu’elles devaient être mises sous contrôle citoyen afin que leur mission consiste à servir l’intérêt public.
À lire ce texte jusqu’ici, on pourrait imaginer qu’au cours des années qui ont précédé la création du CADTM, Denise a essentiellement été engagée dans des actions qui concernaient la défense des travailleurs en Belgique. En réalité, elle a été très active dans les actions de solidarité internationale. En 1984-1985, elle a participé à l’organisation d’une campagne de soutien à la grève que les mineurs britanniques menaient contre la politique de Margaret Thatcher. À une douzaine de travailleurs, nous avons rendu visite aux mineurs en grève en leur apportant de l’aide financière et matérielle.
La même année, commençait pour nous l’expérience de solidarité concrète avec le peuple nicaraguayen. La révolution avait triomphé dans ce pays en juillet 1979 et nous participions activement à un vaste mouvement de solidarité en y jouant un rôle fort actif. De 1984 à 1989, chaque année ou presque, nous avons collaboré à l’organisation de ces brigades qui partaient travailler avec les paysans nicaraguayens. On se cotisait, on organisait des fêtes en Belgique pour apporter de l’aide matérielle à la révolution et chaque brigadiste utilisait ses jours de congé pour aller travailler bénévolement 3 semaines avec les paysans en ayant soin de payer son billet d’avion. Dans les brigades, il y avait presque une moitié d’ouvriers de la métallurgie, notamment de Caterpillar et de Cockerill (aujourd’hui Arcelor-Mittal). Denise a joué un rôle très important en tant qu’une des organisatrices.
Lors de nos séjours en Amérique centrale, cela a failli tourner très mal pour Denise et moi, quand nous avons été arrêtés par des militaires honduriens à la frontière entre le Salvador et ce pays, alors que nous étions en possession d’une lettre de Rogelio Ponseele, un prêtre belge participant à la guérilla salvadorienne, qu’une religieuse m’avait remise la veille dans la capitale salvadorienne. Alors qu’une dizaine de militaires honduriens haussaient le ton contre nous, nous menaçaient et armaient leurs fusils, nous avons gardé notre sang froid et cela s’est finalement bien terminé. Nous avons été expulsés du territoire hondurien vers le Salvador (d’où nous venions) et alors que nous craignions d’être arrêtés par l’armée salvadorienne nous avons pu trouver une chambre, certes infâme, où passer la nuit en fermant à peine l’œil et reprendre un bus vers la capitale San Salvador. Denise a très bien fait face à cette situation limite. Une situation où on se met à penser que la mort est toute proche.
Denise, au cours de ces voyages, n’a jamais cherché le confort. Elle s’est très souvent contentée d’un sommier avec ou sans matelas, d’une paillasse sur le sol ou sur quelques planches de bois. Cela a permis de mieux comprendre les conditions de vie de l’immense majorité de la population.
À partir de 1990, Denise a participé avec ténacité à la création du CADTM Belgique qui, après une petite dizaine d’années, a été rejoint par des CADTM qui se constituaient dans d’autres pays (à commencer par le Togo) ou par des organisations déjà constituées qui décidaient d’adhérer au réseau international du CADTM (comme VAK en Inde ou le CADTM Venezuela). A partir de 1993, nous avons régulièrement accompli des missions du CADTM en Tunisie (où nous nous sommes liés d’amitiés avec Fathi Chamki et sa famille) et en Afrique subsaharienne : Sénégal, Togo, Bénin, Mali, Burkina Faso, Niger… Denise s’est rendue en 1995 avec Anke Hintjens (autre membre du CA du CADTM à l’époque) au Rwanda après le génocide de 1994 afin de développer la solidarité avec les victimes et promouvoir une approche féministe. Nous avons préparé ensemble la grande rencontre « Dakar 2000 / L’Afrique : des résistances aux alternatives », convoquée à l’initiative du CADTM avec le soutien de nombreuses organisations. À partir de 2004, à l’occasion de la quatrième édition du Forum social mondial tenu à Bombay/Mumbai en Inde, Denise a commencé à connaître l’Asie du Sud et à rendre visite à nos partenaires en Inde, au Népal et au Bangladesh. Au cours de ces multiples voyages, beaucoup de militantes et de militants du Sud ont appris à l’apprécier et lors de sa disparition, des centaines de messages de sympathie venant des quatre coins de la planète nous sont parvenus [8].
Quand Denise nous a quittés, en mai 2010, le réseau du CADTM était présent dans plus de trente pays et était en pleine effervescence pour répondre aux défis de la crise qui a commencé à secouer l’Europe à partir de 2007-2008. Il lui a rendu un vibrant hommage.
Depuis que Denise est décédée le 28 mai 2010, tant de choses se sont passées : le printemps arabe, le mouvement des indignés, Occupy Wall Street en 2011, la naissance de Podemos en 2014, la victoire de Syriza et la capitulation de Tsipras en 2015, la dite crise des réfugiés, Nuit Debout et les ZAD en France, la poursuite du combat des Palestiniens et de tous les peuples qui luttent pour la liberté et la justice sur tous les continents de la planète, les extraordinaires mobilisations féministes en 2016-2018 avec la formidable grève du 8 mars 2018...
Toutes luttes auxquelles Denise aurait voulu participer de près ou de loin. Depuis 2010, le CADTM s’est encore renforcé. Il est doté maintenant d’un secrétariat international partagé entre ATTAC-CADTM Maroc et le CADTM Belgique, ce qui permet au Sud d’encore mieux peser dans les décisions, l’élaboration et les activités de l’ensemble du réseau. Le CADTM est devenu un peu plus féministe, Denise poussait dans ce sens. Ses articles sur la dénonciation du patriarcat connaissent un important écho, en particulier dansla version en anglais Tous les jours ils trouvent de nouveaux lecteurs et lectrices. De même que sa dénonciation des abus du microcrédit.
Le CADTM signifie aujourd’hui Comité pour l’Abolition des Dettes illégitimes. Denise aurait certainement apprécié.
[1] En Belgique, le Front des Gauches constitué en 2010 rassemblait 6 partis et mouvements politiques : la Ligue communiste révolutionnaire (section belge de la IV° Internationale), le Parti communiste, le Parti socialiste de lutte, le Comité pour une autre politique, le Parti humaniste, Vélorution-Objecteurs de croissance. Il a présenté des candidats aux élections de juin 2010. Voir : www.frontdesgauches.be
[2] Parmi ceux et celles qui ont joué un rôle clé pour que les travailleurs flamands se solidarisent de leurs camarades wallons entre 1983 et 1989 lors des actions à la ville de Liège, on retrouvait notre regretté ami et camarade Jos Geudens qui en 1990 allait participer à la fondation du CADTM. Jos Geudens est décédé en mars 2010 au Kenya où il était parti s’installer pour s’occuper de la scolarisation d’enfants des quartiers pauvres.
[3] Freddy Delava, délégué syndical des pompiers, aujourd’hui retraité, est membre du Conseil d’Administration du CADTM Belgique et est très actif dans les luttes pour la défense des droits des demandeurs d’asile.
[4] C’est une alliance entre le Parti socialiste et le parti Ecolo qui était au pouvoir à Liège de 1982 à 1988 tandis qu’au gouvernement fédéral les deux principaux partis de droite étaient alliés (le PRL devenu plus tard le MR et le PSC –dont l’héritier aujourd’hui est le CDH). L’expérience que nous avons acquise à Liège avec l’alliance du PS et des Ecolos nous avait préparé à ce qui s’est passé avec les gouvernements des socialistes Papandreou en Grèce, Zapatero en Espagne, Socrates au Portugal, Gordon Brown en Grande Bretagne qui n’ont pas hésité après la crise de 2007-2008 à appliquer les recettes néolibérales radicales.
[5] Au cours des années 1990, une partie importante de la dette de la Ville a été reprise par l’État fédéral et par la Région wallonne. Mais entre temps les travailleurs et la population de la Ville de Liège avaient trinqué.
[6] Après les élections communales de 1988, le PS a mis fin à son alliance avec le Parti Ecolo et a constitué une majorité communale avec le Parti social chrétien.
[7] Voir Éric Toussaint, « Comment le Crédit Communal étrangle les communes au lieu de les aider », La Gauche, 10 octobre 1989, p. 6-7.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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