Nouvelle victoire des fonds vautours, pourquoi la France ne fait rien ?

Ils saignent le Sud avant de s’attaquer au Nord

10 janvier 2011 par Renaud Vivien




Les fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
continuent de faire des ravages dans les pays du Sud. La République démocratique du Congo (RDC) vient d’en faire les frais en perdant un nouveau procès contre le fonds spéculatif FG Hémisphère devant la cour de Jersey. Cette nouvelle saignée était malheureusement prévisible. En effet, FG Hémisphère utilise toujours la même méthode, caractéristique des fonds vautours : basé dans un paradis fiscal Paradis fiscaux
Paradis fiscal
Territoire caractérisé par les cinq critères (non cumulatifs) suivants :
(a) l’opacité (via le secret bancaire ou un autre mécanisme comme les trusts) ;
(b) une fiscalité très basse, voire une imposition nulle pour les non-résidents ;
(c) des facilités législatives permettant de créer des sociétés écrans, sans aucune obligation pour les non-résidents d’avoir une activité réelle sur le territoire ;
(d) l’absence de coopération avec les administrations fiscales, douanières et/ou judiciaires des autres pays ;
(e) la faiblesse ou l’absence de régulation financière.

La Suisse, la City de Londres et le Luxembourg accueillent la majorité des capitaux placés dans les paradis fiscaux. Il y a bien sûr également les Iles Caïmans, les Iles anglo-normandes, Hong-Kong, et d’autres lieux exotiques. Les détenteurs de fortunes qui veulent échapper au fisc ou ceux qui veulent blanchir des capitaux qui proviennent d’activités criminelles sont directement aidés par les banques qui font « passer » les capitaux par une succession de paradis fiscaux. Les capitaux généralement sont d’abord placés en Suisse, à la City de Londres ou au Luxembourg, transitent ensuite par d’autres paradis fiscaux encore plus opaques afin de compliquer la tâche des autorités qui voudraient suivre leurs traces et finissent par réapparaître la plupart du temps à Genève, Zurich, Berne, Londres ou Luxembourg, d’où ils peuvent se rendre si nécessaires vers d’autres destinations.
(dans le Delaware, en plein cœur des États-Unis), comme la majorité des fonds vautours, FG Hémisphère rachète en 2004 d’anciennes dettes décotées de la RDC datant des années 1980 (d’une valeur réelle de 37 millions de dollars), puis saisit la justice anglo-saxonne (la cour de Jersey), particulièrement protectrice des créanciers, afin d’obtenir le remboursement de la valeur nominale de cette dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, auquel s’ajoutent les intérêts de retard et autres pénalités (pour un montant total d’environ 100 millions de dollars).

Ainsi, FG Hémisphère a obtenu le droit de se faire rembourser une dette de 100 millions de dollars alors qu’il n’a déboursé que 37 millions de dollars. Et chaque jour, cette dette augmente de 27 500 dollars à cause des intérêts ! Pour s’assurer de son règlement, le jugement de Jersey confère à FG Hémisphère le droit de saisir une partie des futurs bénéfices du joint-venture GTL (Groupement du terril de Lubumbashi), qui compte parmi ses actionnaires le groupe de George Forrest et le gouvernement congolais via la Gécamines, une entreprise publique minière de la province du Katanga. Rappelons que FG Hémisphère avait déjà obtenu en 2008 le droit de saisir, pendant les quinze prochaines années, les recettes de la vente d’électricité à l’Afrique du Sud et qu’en février 2010, il était autorisé par la cour d’appel de Hong Kong à saisir une partie des droits payés par la Chine à la RDC pour l’exploitation d’un gisement minier.

Et ce n’est pas fini puisque d’autres fonds vautours sont entrés dans la danse, réclamant à la RDC plus de 452 millions de dollars devant les tribunaux. Il y a donc fort à craindre que les fonds libérés par l’allégement de la dette congolaise, intervenu après que les autorités de Kinshasa ont cédé à toutes les pressions des créanciers occidentaux, soient raflés par ces fonds vautours. Face à ces attaques, le gouvernement congolais vient de demander l’aide de la Facilitation africaine de soutien juridique, un organisme créé en 2008 par la Banque africaine de développement (BAD), notamment pour assister les États attaqués par les fonds vautours. Ce nouvel organisme a le mérite de proposer une aide concrète aux pays victimes de ces fonds spéculatifs, en mettant à leur disposition des avocats pour négocier et défendre les États devant les juges.

Toutefois, cette aide reste insuffisante face à l’ampleur du phénomène. Les fonds vautours traînent actuellement en justice une dizaine de pays africains dans une cinquantaine de procès et la crise mondiale, qui fait courir le risque d’une nouvelle crise de la dette au Sud, va très certainement accroître leur voracité puisqu’ils pourront racheter des créances impayées sur les pays en développement à des montants extrêmement bas et ainsi accroître leurs gains.

Ces attaques ne se limitent pas au continent africain. À titre d’exemple, l’Argentine est actuellement la proie de deux fonds vautours, Elliott Capital et EM Limited, qui tentent de saisir les fonds déposés par l’État argentin auprès de la Banque des règlements internationaux (BRI), pour un montant dépassant 1 milliard de dollars. Il n’existe pas non plus d’obstacle (pour le moment) à ce que les fonds vautours attaquent prochainement les pays du Nord, compte tenu des pratiques spéculatives sur leurs dettes. Dans ce contexte, des mesures fortes s’imposent pour mettre les fonds vautours hors d’état de nuire.

Pour cela, il faut instaurer des règles du jeu enfin justes, car l’activité des fonds vautours est (pour le moment) légale. Les pouvoirs publics doivent rendre leur activité illicite en interdisant purement et simplement la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
sur les dettes d’État, qui ne profite qu’à une poignée d’individus sans scrupule. En attendant une initiative internationale de cet ordre, les parlements au Sud et au Nord doivent immédiatement adopter de manière unilatérale des lois pour limiter l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.

des fonds vautours. La Belgique a ouvert la voie en 2008 en prenant une loi rendant «  incessible et insaisissable  » l’argent belge de la coopération au développement. Les différents pays doivent agir au sein des instances européennes et internationales pour la généralisation de ce type de dispositif à tous les fonds (publics et privés).

En France, il est déplorable de constater que la proposition de loi déposée en 2007 visant à empêcher les fonds vautours de faire valoir leurs créances devant les tribunaux français n’a toujours pas été adoptée. Pis, la France abriterait deux fonds vautours sur son territoire. Qu’attendent les parlementaires français pour adopter cette loi et mener un audit de leurs créances envers les pays en développement ? Car, en révélant la part illégitime des dettes, celles qui n’ont pas profité aux populations et ont alimenté la corruption, l’audit permet de fonder des annulations unilatérales de dettes et donc de couper enfin les ailes aux fonds vautours.

Publié sur le site du journal L’Humanité


Renaud Vivien

membre du CADTM Belgique, juriste en droit international. Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015. Il est également chargé de plaidoyer à Entraide et Fraternité.

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