12 avril 2024 par Sushovan Dhar

Indian Farmers’ Protest by JK Photography (CC - Wikimedia - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Indian_Farmers%27_Protest_by_JK_Photography_10.jpg)
Après les grandes mobilisations de 2020-2021, qui ont aboutit à des victoires revendicatives, le pouvoir avait réussi à stabiliser la situation. À la veille des élections législatives, les paysans et paysannes se mobilisent de nouveau.
Le 13 février, des milliers d’agriculteurs ont entamé une marche vers la capitale nationale afin de faire valoir leurs revendications, dont le prix minimum de soutien (MSP, son montant est déterminé par le prix auquel sera vendu le produit en bout de chaine). Mais, alors que les agriculteurs du Pendjab se dirigeaient vers Delhi, la police les a arrêtées à la frontière entre le Pendjab et l’Haryana et a attaqué les manifestantes à coups de canons à eau et de gaz lacrymogènes.
Après l’échec des discussions avec les représentants du gouvernement le 12 février, des groupes comme le Samyukta Kisan Morcha (front uni des paysans) et le Kisan Mazdoor Morcha (front des agriculteurs et des travailleurs) ont organisé la marche Dilli Chalo (« allons marcher vers Delhi »), également appelée Farmers’ Protest 2.0 (manifestation des agriculteurs 2.0). Alarmé par les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
des agriculteurs, le gouvernement indien a appliqué la section 1441 et a encerclé la capitale avec des barbelés, des blocs de béton et des conteneurs d’expédition.
Les protestations actuelles constituent un défi pour le gouvernement du BJP à l’approche des élections générales. Si l’opposition parvient à faire campagne en faveur d’un MSP, assorti d’une garantie légale, elle pourrait bénéficier d’un coup de pouce supplémentaire avant les élections parlementaires.
Les manifestationsdes paysanes en 2020 et 2021 contre les projets de lois agricoles ont marqué un tournant dans le paysage politique des mouvements sociaux du pays2 . L’adoption précipitée par le gouvernement indien de trois lois agricoles en septembre 2020 a servi de catalyseur initial. Leurs vastes ramifications et l’absence d’un débat ou d’une consultation plus large ont suscité une vive réaction de la part des mouvements ruraux et des syndicats d’agriculteurs dans tout le pays.
Le gouvernement indien a été contraint d’abroger les trois lois agricoles en novembre 2021 à la suite des immenses protestations qu’elles ont suscitées. Les manifestations des paysanes, qui ont coïncidé avec l’utilisation par le gouvernement de la pandémie de Covid-19 comme prétexte pour faire passer une vaste réforme économique néolibérale, ont constitué une victoire importante pour les mouvements sociaux en Inde.
Le gouvernement autoritaire de Modi, qui a par ailleurs tenté de réprimer la résistance populaire croissante face à son nationalisme et à ses programmes néolibéraux, a été forcé à une concession substantielle avec l’abrogation des lois. Ainsi, le Kisan Andolan (lutte des agriculteurs) a montré qu’il était possible de remettre en question la stratégie du gouvernement consistant à saper les mouvements sociaux et à réprimer les résistances.
Le 21 février, le déploiement massif de gaz lacrymogènes par la police de l’Haryana, État du nord de l’Inde, contre les agriculteurs qui manifestaient, a plongé le ciel au-dessus des points de passage de Shambhu et de Khanauri, à la frontière entre le Pendjab et l’Haryana, dans une épaisse fumée. Cet événement a également mis en évidence l’ombre qui s’allongeait sur le pays : le recours récurrent du gouvernement à des représailles violentes contre les citoyennes organisées démontrait ses tendances dictatoriales. Dans ce contexte, la mobilisation extraordinaire de milliers d’agriculteurs représente non seulement un défi provenant des groupes marginalisés 3 , défendant leurs intérêts économiques, mais aussi un objectif, bien plus important : le rejet ouvertement conflictuel et audacieux des méthodes d’un gouvernement qui a la mainmise sur tout.
La résurgence de la contestation dont témoigne le mouvement offre la possibilité de forger une vaste coalition politique et sociale face au pouvoir. La réaction frénétique du BJP et sa tentative désespérée non seulement de contenir à tout prix le mouvement des agriculteurs, mais aussi de le discréditer, peuvent s’expliquer par la nature fondamentale du mouvement et ses conséquences pour le système politique et la société à court, moyen et long terme.
Avec ses épaisses barricades à chaque entrée de la capitale, la police a jusqu’à présent empêché les agriculteurs d’atteindre le centre politique de la nation, New Delhi. Sans relâche, les manifestantes ont établi leur camp à deux endroits, Khanauri et Shambhu, à une courte distance du poste de police, relié seulement par un chemin de terre. Ce dernier est impraticable en raison de la présence de fils barbelés, de tranchées creusées et de conteneurs. La moindre tentative de franchissement entraîne l’intervention de la police, comme ce fut le cas lors de la répression du 21 février.
La demande d’une loi garantissant des MSP pour les produits agricoles est au cœur des manifestations. Le gouvernement fixe chaque année des « prix de soutien » pour plus de vingt récoltes afin de protéger les producteurs contre les fortes baisses de prix, mais la mise en œuvre reste problématique. Seuls 7 % des agriculteurs qui cultivent du riz et du blé profitent des achats de soutien effectués par les agences d’État pour ces cultures. Les manifestantes demandent que tous les produits agricoles soient inclus dans les prix de soutien.
En outre, ils réclament des annulations de dettes pour les paysans, des pensions retraites pour les agriculteurs et les ouvrieres agricoles, ainsi qu’une indemnisation pour les familles des agriculteurs tués lors du mouvement de 2020-21. Même si le gouvernement se dit prêt à discuter avec les représentantes des agriculteurs, sa communication bien rodée vise en permanence à présenter la demande de MSP comme irréalisable d’un point de vue économique. Cependant, les agriculteurs indiens rappellent à l’opinion publique que l’une des principales raisons de l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi en 2014 était la promesse qu’il leur avait faite de leur garantir un bénéfice de 50 % par rapport au coût des intrants Intrants Éléments entrant dans la production d’un bien. En agriculture, les engrais, pesticides, herbicides sont des intrants destinés à améliorer la production. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette, les meilleurs intrants sont réservés aux cultures d’exportation, au détriment des cultures vivrières essentielles pour les populations. et de doubler leurs revenus d’ici 2022. Quatre cycles de négociations entre l’administration et les dirigeants du syndicat des agriculteurs ont abouti à une impasse en février. Pour les cinq prochaines années, le gouvernement a promis d’acheter des lots entiers de coton, de maïs et de légumineuses au MSP, mais les agriculteurs ont refusé d’accepter des broutilles.
Le secteur agricole est crucial dans l’économie indienne, 60 % de la population étant engagée dans l’agriculture, qui correspond approximativement à 18 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
du pays. Cependant, les agriculteurs sont confrontés à de nombreux problèmes, allant de l’acquisition d’intrants à la commercialisation aux activités post-récolte, qui peuvent avoir un impact direct ou indirect sur leur vie.
La paysannerie indienne continue de lutter pour sa survie dans un contexte de crise agraire chronique, causée par trois décennies de réformes néolibérales. Cette crise se manifeste de diverses manières, notamment par de mauvaises récoltes, qui entraînent des revenus faibles ou négatifs, l’endettement, le sous-emploi, la dépossession et même les suicides.
Les racines de cette crise remontent à l’époque de la colonisation britannique et aux échecs de l’État indien depuis 1947. Bien que de nouveaux facteurs soient apparus, les anciens persistent. La crise a commencé à exploser lorsque le gouvernement a déréglementé le secteur bancaire, en accordant des licences à de nouvelles banques privées qui ont concurrencé les banques du secteur public.
Les banques du secteur public, incapables de rivaliser avec les nouvelles banques privées, ont supprimé leurs agences rurales, et le crédit destiné à l’agriculture a été transféré ailleurs, notamment dans le secteur financier qui se développait. Le crédit agricole s’est contracté et les agriculteurs ont de nouveau eu recours à des sources de crédit informelles.
Après l’adhésion de l’Inde à l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(OMC) le 1er janvier 1995, les restrictions quantitatives sur les importations agricoles ont été assouplies. Les agriculteurs indiens, dont beaucoup ne cultivaient que quelques hectares, ont été contraints de concurrencer les grandes entreprises agroalimentaires multinationales ainsi que les agriculteurs des pays développés qui cultivaient des milliers d’hectares et bénéficiaient d’importantes subventions de leur gouvernement.
Le gouvernement a non seulement autorisé les importations de produits agricoles, mais il a également réduit les subventions accordées aux agriculteurs indiens, ce qui les a mis sous pression. L’augmentation du coût des engrais s’est traduite par une hausse des frais de culture. Les agriculteurs ont acheté des semences et des insecticides coûteux à la suite d’opérations de relations publiques massives menées par des entreprises du secteur privé promettant des rendements et des bénéfices plus élevés, ce qui a entraîné une augmentation des dépenses de culture sans accroître les rendements de manière significative.
La culture du coton dans les régions semi-arides du plateau du Deccan [1] en est la preuve : les agriculteurs ont été encouragés à cultiver du coton pour l’exportation, mais l’absence de réglementation stricte en matière d’agro-industrie a entraîné la vente de fausses semences et l’utilisation excessive de pesticides, ce qui n’a pas protégé les agriculteurs des mauvaises récoltes successives provoquées par les attaques de parasites. La baisse des prix mondiaux du coton a précipité une grave crise agricole dans cette région, entraînant une augmentation des suicides d’agriculteurs. Les dépenses publiques dans les zones rurales ont chuté brutalement. Il n’y a pas eu d’augmentation de l’irrigation de surface depuis 1991. Comme il n’y a pas eu de réparations ni de désensablement, la superficie desservie par les canaux a diminué de 400 000 hectares. Par conséquent, les revenus des agriculteurs n’ont augmenté que de 1,96 % par an entre 1993-1994 et 2004-2005.
Une crise agraire prolongée a été provoquée par l’augmentation des dépenses, la faiblesse des prix sur le marché mondial et les mauvaises récoltes. Depuis 1991, le gouvernement a réduit les subventions alimentaires aux consommateurs, ce qui a eu un impact négatif sur l’accès à la nourriture de millions d’Indiennes. En Inde, le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté d’environ vingt millions entre 1995 et 2001. Selon le rapport sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde publié en 2003 [2] par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 214 millions de personnes, soit 25 % des 842 millions de personnes sous-alimentées de la planète à l’époque, se trouvaient en Inde. Au cours de la même décennie, au moins 25 000 agriculteurs se sont suicidés en raison de leur désespoir financier.
Les petits agriculteurs et les agriculteurs marginaux sont les premiers touchés par la crise agraire. Les agriculteurs aisés ont pu se protéger de l’impact total de la crise en s’appuyant sur les marchés mondiaux dans des secteurs importants tels que l’aquaculture et l’horticulture. Ils ont pu tolérer des pertes pendant les années de vaches maigres et disposaient des ressources nécessaires pour réaliser des investissements. Les grands agriculteurs n’ont pas été aussi maltraités par la libéralisation que le reste de la société agraire.
Le nombre de suicides d’agriculteurs a encore augmenté en 2022. Selon les données les plus récentes du National Crime Records Bureau (NCRB) [3] , environ 11 290 cas de suicide ont été signalés au niveau national en 2022. Cela représente une augmentation de 3,7 % par rapport à 2021. Les données de 2020 indiquaient une croissance de 5,7 %. Au moins un agriculteur indien se suicide toutes les heures. Les agriculteurs meurent par suicide à un rythme qui augmente depuis 2019.
D’après les données du NCRB pour 2022, le secteur agricole indien n’a pas enregistré de bons résultats ces dernières années. Il a noté que des sécheresses ont été signalées dans de nombreuses régions et que les cultures sur pied ont été endommagées par des précipitations soudaines et intenses. Les problèmes ont été multipliés par la montée en flèche des prix du fourrage et la dermatose nodulaire, très contagieuse, qui n’a pas facilité la tâche des éleveurs de bétail.
Les statistiques du NCRB révèlent une tendance inquiétante : les travailleurs agricoles qui dépendent de l’agriculture pour leur subsistance quotidienne se suicident plus souvent que les agriculteurs et les cultivateurs. Les travailleurs agricoles représentent au moins 53 % (6 083) des décès parmi les 11 290 agriculteurs morts par suicide.
Ceci est significatif car, au fil du temps, les salaires agricoles sont devenus de plus en plus cruciaux pour le revenu du ménage agricole moyen, plutôt que la production agricole. C’est ce qu’a mis en évidence le 77e cycle de l’enquête nationale par sondage, publié en 2021, qui comprenait les données sur les terres et le bétail détenus par les ménages et l’évaluation de la situation des ménages agricoles [4]. L’étude a révélé que la majorité des revenus d’un ménage agricole (4 063 roupies, soit 45 euros) provenait de paiements reçus en échange de travaux agricoles. L’agriculture vient en dernier, suivie par l’élevage. Ce dernier a connu un déclin précipité, passant de 48 % en 2013 à 38 % en 2019. Les revenus des agriculteurs n’ont généralement pas beaucoup augmenté. Le sondage, qui se base sur les statistiques gouvernementales les plus récentes, indique que le salaire mensuel moyen en 2019 s’élevait à la somme dérisoire de 10 218 roupies (113 euros). En 2012-2013, il était de 6 426 roupies.
Des études ont montré une corrélation entre les catastrophes liées au changement climatique et les suicides parmi la main-d’œuvre agricole indienne. Les sécheresses sont également devenues plus fréquentes et plus répandues dans le pays. Selon la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, près des deux tiers du pays étaient menacés de sécheresse en 2020-2022. Entre-temps, une étude publiée en mai 2023 a révélé que les années marquées par une pénurie de précipitations étaient généralement marquées par une augmentation du nombre de suicides d’agriculteurs. Une vague de chaleur étouffante au début de l’année 2022 a entraîné une hausse inhabituelle des températures en avril et en mai, période des récoltes. Il en a résulté des pertes de récoltes généralisées, en particulier pour le blé.
Selon un rapport du Conseil indien de la recherche agricole, la vague de chaleur a affecté la production de blé du pays ainsi que les rendements des fruits, des légumes et des animaux dans au moins neuf États. L’Institut international pour l’environnement et le développement a réalisé une étude intitulée « Action préventive urgente pour les suicides liés au climat dans l’Inde rurale » [5] , qui examine la relation entre le nombre de suicides d’agriculteurs et l’écart des précipitations par rapport à la moyenne.
C’est dans ce contexte que les agriculteurs ont repris la route. Avec des revenus agricoles terriblement bas, l’endettement du secteur s’accroît. Il s’agit d’une véritable danse de la mort en série dans les exploitations agricoles. Avec des revenus stagnants ou en baisse, aucun signe n’indique une atténuation de la tragédie agricole.
Le jour où les manifestations ont commencé, un quotidien [6] bien connu a publié un article citant des sources officielles qui estimaient à 241 milliards de dollars le coût de la mise en œuvre du MSP. Selon un certain nombre d’économistes agricoles favorables à l’establishment, la légalisation du MSP pour 23 cultures est impraticable en raison de l’énorme charge financière que cela représenterait et du fait que le gouvernement accorde déjà des subventions à l’agriculture.
Néanmoins, ces deux évaluations ne sont pas fondées. L’objectif principal des chiffres avancés concernant le coût financier est de créer une psychose de peur. Les agriculteurs demandent que le MSP soit fixé comme le prix minimum en dessous duquel le commerce est interdit. Cela n’implique pas que tous les achats doivent être effectués par le gouvernement. En outre, les estimations du coût supplémentaire provenant de sources indépendantes vont de 18 milliards de dollars, selon un ancien président de la commission des prix agricoles du Karnataka, à 2,53 milliards de dollars US, comme le rapporte Crisil. C’est une erreur commune de dire que l’agriculture reçoit beaucoup de subventions. Selon les rapports de l’Organisation de coopération et de développement économiques
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
(OCDE), les agriculteurs indiens perdent de l’argent depuis 2000. Parmi les 54 principales économies examinées, l’Inde est la seule où il n’y a pas de soutien financier pour les pertes agricoles.
La Commission des agriculteurs [7]]] (également appelée Commission Swaminathan) du gouvernement national a proposé une formule [8] améliorée que les agriculteurs souhaitent voir utilisée pour rendre la déclaration du MSP plus lucrative. Le gouvernement indien reconnaît la nécessité et le désir légitime des agriculteurs d’obtenir un prix minimum pour leurs produits. Il a mis en place un système de détermination et d’annonce de ce prix, même s’il est imparfait et controversé. Il reconnaît également qu’il a l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de « soutenir » les agriculteurs par un prix plancher, même s’il ne le fait pas légalement. Il semble que tant que le MSP reste théorique – une reconnaissance de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui n’est jamais encaissée – personne ne semble y trouver à redire. Dès que les agriculteurs commencent à exiger – ou pire, à s’attendre – à ce que l’État respecte ses engagements, les problèmes surgissent. À ce stade, c’est le concept même du MSP qui est remis en question.
L’idée du MSP est ancrée dans un contrat moral entre les agriculteurs et l’État. Un État postcolonial pauvre confronté à une explosion démographique a le devoir moral et politique de nourrir sa population de manière raisonnable et suffisante. La production et la vente de denrées alimentaires n’étaient pas une activité économique typique pouvant être soumise à l’offre et à la demande sur le marché.
Il existe une justification économique, même en faisant abstraction de la justification morale. L’agriculture est une activité nécessaire mais risquée. En outre, la majorité des agriculteurs indiens sont marginaux et de petite taille, et ils pratiquent généralement l’agriculture pluviale, ce qui présente des inconvénients. L’agriculture est l’un des secteurs les plus exposés aux risques liés à la production et à la commercialisation. L’agriculteur ne contrôle aucun facteur ou variable, y compris les conditions météorologiques, les terres dont il a hérité et les caprices des marchés nationaux et mondiaux.
Compte tenu des nombreux aléas liés à l’agriculture, l’offre varie logiquement, tandis que la demande est largement constante en raison de la faible élasticité de la demande. Cela se traduit par une volatilité des prix. En outre, l’élasticité des revenus est plus faible dans le secteur alimentaire, ce qui signifie que la demande de produits agricoles croît plus lentement que l’économie dans son ensemble. Ces facteurs rendent indispensable une intervention visant à garantir aux producteurs des prix équitables.
Enfin, le MSP a une justification écologique. Les agriculteurs indiens devraient être parmi les plus touchés par le changement climatique, qui pourrait entraîner une baisse de 25 % de leurs revenus. Ils ont besoin d’être soutenus pour y faire face. Les agriculteurs doivent diversifier leurs pratiques agricoles, mais ils ne peuvent le faire que s’ils ont la certitude que les nouvelles cultures produiront des revenus respectables.
La politique d’approvisionnement actuelle encourage une dépendance non durable à l’égard du blé, du paddy (riz non décortiqué) et de la canne à sucre. Un MSP global encouragera les agriculteurs à se diversifier et à faire progresser l’économie agricole du pays vers la durabilité. Une discussion détaillée sur les arguments économiques, financiers et techniques en faveur du MSP n’entre pas dans le cadre de cet article. Cependant, divers calculs montrent que c’est parfaitement possible. En outre, un projet de loi visant à garantir légalement le MSP existe déjà. En 2018, une trentaine de syndicats d’agriculteurs ont collaboré à la préparation d’un projet de loi sur la garantie légale du MSP sous les auspices du All India Kisan Sangharsh Coordination Committee (Comité de coordination de l’Inde pour la lutte des paysans). Il est intéressant de noter que la quasi-totalité des 21 partis politiques du bloc INDIA [9]]] ont participé à la rédaction du cadre législatif de l’organisation.
L’effervescence qui règne à la frontière entre le Pendjab et l’Haryana rappelle les manifestations de 2020, lorsque les agriculteurs avaient marché jusqu’à la frontière de Delhi en réaction à trois lois controversées. Toutefois, il n’est pas certain que le mouvement paysan puisse s’étendre face à la montée du nationalisme hindou et la légitimité actuelle de Modi.
Plusieurs syndicats avaient l’intention de poursuivre l’agitation jusqu’à ce que des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). officielles concernant les MSP soient établies, même après que le gouvernement Modi a déclaré en novembre 2021 que les trois lois seraient abrogées. La direction du SKM [10] dans son ensemble a toutefois décidé de ne pas le faire. Le SKM, qui mène actuellement la lutte, est une coalition résiduelle. Il est clair que la réponse féroce du gouvernement est un aveu ouvert de sa terreur face de ses propres citoyens, face à la protestation non-violente.
La manifestation réussie des agriculteurs en 2020-21 s’est transformée en un mouvement plus large appelant le gouvernement à prendre des mesures immédiates pour résoudre le problème agraire structurel et préserver les moyens de subsistance des populations rurales. La diversité sociale du mouvement peut inspirer les mouvements du monde entier, et l’a déjà fait.
Les agriculteurs indiens ne sont pas isolés : des manifestations d’agriculteurs éclatent à Bordeaux, Varsovie, Cardiff, Bruxelles, Madrid et dans d’autres villes d’Europe. Des propriétaires de tracteurs ont brûlé des bottes de paille, ont envahi des places municipales et ont garé leurs véhicules devant des bâtiments législatifs. Cependant, aucun pays n’a bloqué l’accès des agriculteurs à la capitale comme l’a fait l’Inde.
Pour des raisons qui vont au-delà de l’immédiat, les élites politiques indiennes sont très préoccupées par les protestations des agriculteurs. En effet, les appels à la justice sociale lancés par les groupes marginalisés risquent de réduire l’attrait de l’Hindutva (idéologie hégémoniste indoue, NDLR) et, par conséquent, sa capacité à unir les divers électeurs hindous en entretenant les divisions communautaires au sein de la société.
Cela représente un danger pour le calcul électoral du BJP, qui s’est élargi en ajoutant, à sa base de soutien constituée de castes favorisées, divers groupes de castes issus des « autres classes défavorisées » (OBC, Other Backward Classes), qui n’ont pas de liens historiques avec son parti. Comprenant cette ligne de fracture, le Congrès et les autres acteurs de l’opposition ont façonné leurs campagnes électorales de manière à donner la priorité aux préoccupations des OBC. Si son parti remporte les élections, Rahul Gandhi a assuré aux « autres classes défavorisées » (OBC) qu’il explorerait les possibilités d’améliorer leurs quotas dans les emplois publics et l’éducation. Que ce soit délibérément ou fortuitement, une mer d’agriculteurs campant dans les rues pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant les élections générales – prévues dans les deux prochains mois – aide l’opposition dans son pari, car elle donne plus de substance et montre l’urgence de son programme de justice sociale, en attirant l’attention sur l’inégalité et les difficultés économiques.
L’objectif principal de Modi est donc d’empêcher le mouvement de s’étendre au-delà du Pendjab, comme il l’a fait en 2020-21 lorsque les agriculteurs de l’ouest de l’Uttar Pradesh et de l’Haryana l’ont rejoint et lui ont donné plus de force et de portée. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne sont pas propres au Pendjab. Les paysans d’autres États ont formulé des plaintes similaires, soulignant qu’en l’absence de garanties juridiques, les MSP du gouvernement n’étaient que de la poudre aux yeux.
Le gouvernement est conscient que l’utilisation d’une force excessive contre des manifestantes non violents pourrait mettre en péril l’image soigneusement construite par le Premier ministre d’un leader positionné au côté des défavorisées et des opprimées. C’est pourquoi il s’est tourné vers sa tactique favorite, à savoir la démagogie raciste et la tentative de dépeindre les manifestants comme des partisans du Khalistan (nom de l’État revendiqué par les indépendantistes sikhs de l’État indien du Pendjab), afin d’empêcher toute appréciation objective et impartiale des protestations.
C’est dans ce contexte que les agriculteurs indiens ont besoin de notre soutien et de notre solidarité. Il est également important que la classe ouvrière soutienne activement le mouvement des agriculteurs. Cela permettra non seulement de renforcer la résistance, mais aussi d’aider les travailleurs à tirer parti de la situation et à obtenir gain de cause sur leurs revendications. Ce n’est qu’alors que nous pourrons porter un coup sérieux aux fascistes au pouvoir.
Source : Inprecor
[1] Le plateau du Deccan est un grand plateau qui couvre la majeure partie de l’Inde du Sud. De forme triangulaire, il est entouré de trois chaînes de montagnes. Il s’étend sur huit États indiens.
[2] The State of Food Insecurity in the World (SOFI), 2003
[3] https://ncrb.gov.in/crime-in-india-year-wise.html?year=2022&keyword= consulté le 15 mars 2024.
[4] Situation Assessment of Agricultural Households and Land and Livestock Holdings in Rural India, 2019.
[5] « Urgent preventative action for climate-related suicides in rural India
», le 15 mars 2024. https://www.iied.org/21436iied
[6] Farmers’ protest : MSP guarantee to cost additional Rs 10 lakh cr, almost equal to infra spending.
[7] [[Swaminathan Report : National Commission on Farmers.
[8] Elle a suggéré que le MSP soit calculé sur la base d’une marge minimale de 50 % par rapport au coût global de production, qui comprend le coût imputé de la location des terres et les intérêts sur les coûts d’investissement. En langage technique, il s’agit du « concept de coût C2 » de la CACP. Mais ce n’est pas ce que le gouvernement applique aujourd’hui. Le SPM du gouvernement est actuellement basé sur un coût qui ne couvre que les dépenses personnelles (A2) ajoutées à la valorisation de la main-d’œuvre familiale (FL). La demande des agriculteurs pour que le MSP soit au moins égal à C2+50 pour cent leur assure que, comme pour tout autre travail, ils obtiendront une marge raisonnable en plus de leur coût de production. En fait, un gouvernement réactif et responsable devrait interpréter cette demande comme « au moins C2+50 % » et prévoir une marge plus importante pour certaines cultures qu’il souhaite encourager dans un souci d’équité sociale ou de durabilité environnementale.
[9] [[The Indian National Developmental Inclusive Alliance (l’alliance nationale indienne pour le développement et l’inclusion), communément appelée I.N.D.I.A., est un front d’opposition annoncé par les dirigeants de 28 partis pour disputer les élections parlementaires de 2024.
[10] Samyukt Kisan Morcha, qu’on peut traduire par « force commune des agriculteurs », est une coalition de plus de quarante syndicats d’agriculteurs indiens.
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