26 août 2010 par Eric Toussaint , Damien Millet , Sophie Perchellet
A cause de pluies torrentielles qu’il connaît depuis plusieurs jours, le Pakistan fait face à l’une des pires situations humaines et matérielles qu’il ait connues depuis plus de 80 ans. Les dégâts sont impressionnants. Environ 22 millions de personnes sont touchées par de graves inondations. De nombreuses infrastructures n’ont pas supporté la violence des pluies.
Beaucoup de routes sont impraticables, de même que des ports. Des millions de personnes ont été obligées de quitter précipitamment leurs logements, et l’ONU avance le chiffre de 5 millions de sans-abri. Des camps de fortune sont mis en place et environ 1 million de personnes y vivent déjà, dans des conditions sanitaires déplorables. Le sud du pays, et notamment la province de Sindh, est extrêmement fragilisé par cette catastrophe. Les pertes économiques se comptent en milliards et le secteur agricole est particulièrement touché puisque de nombreuses terres arables ont été dévastées.
Le Pakistan a besoin d’aide. Le 20 août 2010, les pays membres de l’ONU se sont engagés à lui apporter 200 millions de dollars, mais il ne s’agit là que de promesses et les expériences précédentes en la matière montrent qu’une faible part de cette somme arrivera dans le pays. La Banque asiatique de développement, qui a déjà connu le tsunami de décembre 2004, s’est auto-désignée leader de l’effort de reconstruction au Pakistan et a déjà annoncé un prêt de 2 milliards de dollars. La Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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a ajouté un prêt de 900 millions de dollars. Touché par une catastrophe naturelle, le Pakistan va donc voir sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
s’accroître de manière significative.
Si l’aide d’urgence est indispensable, il est important de revenir sur les enjeux réels de la situation pakistanaise. En août 2008, le pays était au bord du défaut de paiement. Contraint d’accepter l’aide du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(FMI), il a reçu au total un prêt de 11,3 milliards de dollars, mais les conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
attachées au prêt sont particulièrement brutales : mise en vente d’un million d’hectares de terres arables, fin des subsides du gouvernement sur le carburant, augmentation du prix de l’électricité, coupe drastique dans les dépenses sociales… Seul le budget militaire n’est pas visé par la rigueur. En bout de course, ce prêt a détérioré les conditions de vie de la population tout en fragilisant grandement la souveraineté du pays.
Aujourd’hui, le Pakistan a une dette extérieure de 54 milliards de dollars et consacre chaque année 3 milliards à son remboursement. Cette dette, qui a notamment explosé depuis les années 2000, est en grande partie d’origine odieuse. En effet, l’ancien régime du Général Pérez Musharraf était un allié stratégique des Etats-Unis dans la région, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les principaux bailleurs de fonds n’ont jamais hésité à prêter à la dictature pakistanaise de Musharraf les fonds nécessaires pour mener sa politique. A l’automne 2001, les Etats-Unis ont demandé le soutien du Pakistan dans leur guerre contre l’Afghanistan. Musharraf avait alors accepté que son pays serve de base arrière aux troupes militaires des Etats-Unis et de leurs alliés. Le régime de Musharraf a ensuite continué d’endetter le Pakistan, avec le soutien actif
Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de la Banque mondiale et des grandes puissances. Les prêts accordés n’ont aucune légitimité, ils ont servi à renforcer la tyrannie de Musharraf et n’ont amélioré en rien les conditions de vie des citoyens pakistanais. La dette contractée par ce régime despotique est odieuse. Les créanciers qui ont prêté à Musharraf l’ont fait en connaissance de cause et, dans ces conditions, il est inadmissible que le peuple pakistanais soit contraint de rembourser aujourd’hui la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
contractée par Musharraf.
Dans ces conditions, son annulation pure et simple est une exigence minimale. Plusieurs pays, à l’image de l’Equateur en 2007-2008, ont réalisé un audit de leur dette afin d’en annuler la partie jugée odieuse. Le Pakistan est tout à fait en mesure de suivre cet exemple.
Un autre mécanisme juridique de non paiement est à prendre en compte par le Pakistan soumis à des inondations dévastatrices : l’état de nécessité. Dans ce cas, il peut invoquer cet état de nécessité pour consacrer les fonds aux besoins vitaux de sa population meurtrie au lieu de rembourser sa dette, sans craindre des poursuites pour n’avoir pas respecté ses obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
. Les trois milliards de dollars ainsi économisés doivent alors être réorientés vers des dépenses sociales en faveur des Pakistanais.
Il est donc temps pour le gouvernement du Pakistan à la fois de suspendre le paiement de sa dette extérieure, de pratiquer un audit de celle-ci et de décider la répudiation de sa part odieuse. Loin de représenter une fin en soi, il devrait s’agir là du premier pas vers un modèle de développement radicalement différent, basé enfin sur la garantie des droits humains fondamentaux.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
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