Forum social mondial, Mumbaï 2004

Interview de Rafael Alegria, Via Campesina

13 février 2004




Rafael Alegria vient du Honduras. Il est coordinateur du secrétariat international de Via Campesina, un mouvement mondial de petits et moyens agriculteurs, de paysans sans terre, de femmes, de peuples indigènes et de travailleurs ruraux. Il partage avec nous son bilan du Forum social mondial et livre son opinion sur la question de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
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Le Forum Social Mondial

C’était une bonne décision de l’organiser en Inde. La mobilisation populaire des différents secteurs, surtout les plus pauvres et les plus exclus du pays, a été très impressionnante.

Ce qui était étonnant, et très différent de ce que l’on a pu vivre les années précédentes à Porto Alegre, c’est que la majorité des gens préférait s’exprimer dans la rue que dans les salons (rires), dans les salles de conférence. Ces salles nous ont souvent paru bien vides, alors que les rues étaient pleines...

Les participants

La majorité des participants au Forum est venue d’Inde, des secteurs les plus pauvres : femmes, jeunes, travailleurs ruraux. Encore une différence. A Porto Alegre, la prédominance de la classe moyenne était évidente. Ce n’était pas un forum de masses populaires comme ce fut le cas ici.

Une nouvelle dynamique ?

Je pense que le Forum doit faire partie de la conscience des peuples du monde, mais pour cela, il faut pouvoir prendre la mesure des problèmes que vivent ces peuples. Il me semble que ce Forum va modifier la dynamique des mouvements sociaux indiens et asiatiques. Il va avoir des répercussions positives, et pas seulement au niveau mondial, où il a déjà une légitimité.

Nous devons continuer à discuter de cela au Conseil international du FSM, car il ne fait aucun doute qu’il y a encore des faiblesses sur la méthodologie, par exemple. Comment faire de ces forums de véritables rencontres internationales de type populaire ? C’est le grand défi que nous lance ce Forum indien.

Le Réseau des mouvements sociaux

C’est une alliance stratégique que nous construisons depuis Porto Alegre, qui analyse et prend des positions sur de grands problèmes internationaux : la guerre, le système néolibéral capitaliste, le libre-échange, la souveraineté alimentaire, etc. Mais la rencontre avec les mouvements sociaux indiens n’a pas été à la hauteur de nos espérances, pour des raisons diverses. Cela dit, je crois que le Forum fut un succès et que l’Assemblée des Mouvements sociaux en sort renforcée car, en plus des prises de position rendues publiques dans sa déclaration, un processus de discussion sur le fonctionnement de cette assemblée a commencé, afin de la rendre plus dynamique et mobilisatrice pour les mouvements sociaux du monde.

Via Campesina

Après Seattle en 1999, où nous avons gagné une bataille contre l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, la Via Campesina a lancé un appel à la formation d’alliances stratégiques globales pour lutter contre le néolibéralisme et la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
. Je crois que cea fut utile, car immédiatement après se sont formés ces mouvements sociaux qui ont donné vie aux FSM de Porto Alegre. La Via Campesina considère que le Forum social mondial répond d’une certaine manière à cette expectative que nous avions quant à la formation d’alliances stratégiques. C’est pour cela que nous sommes membres du Comité international du Forum, et que nous y participons activement.

En ce qui nous concerne, nous avons passé six jours consécutifs avec des représentants de paysans de pays comme le Japon, la Malaisie, la Corée, l’Indonésie, le Vietnam, la Chine, le Sri Lanka, le Népal, etc. Sans oublier l’Amérique, l’Afrique et l’Europe. Cet échange nous a permis de connaître des expériences extraordinaires et de réaliser que nous faisons face aux mêmes problèmes et que nous menons la même lutte. Il ne fait aucun doute qu’après ce forum, nous sortons renforcés en Asie.

La dette

Nous pensons que c’est une bien lourde croix que portent les peuples du Tiers Monde. Nous reconnaissons que la dette n’est pas un thème sur lequel nous travaillons au sein de Via Campesina, alors qu’elle a effectivement un impact terrible dans l’agriculture. Je pense qu’il faut mettre l’annulation de la dette à l’agenda de nos revendications et profiter de la position, par exemple, de l’Eglise catholique.

Cela étant, je crois que sur le thème de la dette, la lutte a considérablement progressé. Il y a quelques années, nous étions tous résignés à payer cette dette aux organismes financiers internationaux. Maintenant, ce n’est plus le cas. Il y a aujourd’hui une opposition organisée et un débat public.


Propos recueillis par Yannick BOVY. Retranscription : Frédéric LEVEQUE.

Traduction(s)