28 septembre 2009 par Olivier Bonfond
L’Islande, petit pays sans armée de 320 000 habitants, vient d’annoncer qu’il conditionnerait le remboursement de sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
à ses « capacités de paiement ». Si la récession
Récession
Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs.
perdure, l’Islande ne remboursera rien. Même s’il convient de nuancer la portée de cette décision, d’autant qu’il faudra vérifier qu’elle est effectivement appliquée, elle représente cependant une réelle opportunité dont les mouvements sociaux, du Nord et du Sud, devraient se saisir pour obliger leurs gouvernements à remettre enfin en cause le paiement inconditionnel de la dette publique.
Après 15 années de croissance économique, après avoir été considéré comme un des pays les plus riches de la planète, l’Islande a connu fin 2008, selon le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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, la plus grosse crise bancaire dans l’histoire d’un pays industrialisé [1]. Cela n’a rien d’un hasard. Ces dernières années, L’Islande a appliqué ce qu’on peut appeler un « pur néolibéralisme ». Le secteur bancaire, intégralement privatisé en 2003, a tout fait pour attirer les capitaux étrangers. Ils ont notamment développé les fameux comptes en ligne qui, via la réduction des coûts de gestion, permettent d’offrir des taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
relativement intéressants. En à peine 4 ans, la dette extérieure des trois principales banques islandaises a plus que quadruplé, pour passer de 200% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
en 2003 à 900 % du PIB en 2007 ! Quand les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
se sont effondrés en septembre 2008 et que ces trois banques sont tombées en faillite, elles étaient évidemment dans l’impossibilité d’assumer leurs engagements, d’autant que l’effondrement de 85% de la valeur de la couronne face à l’euro n’a fait que décupler la dette. Vu l’ampleur de la faillite bancaire, plus personne n’a voulu leur prêter de l’argent ou financer un quelconque sauvetage. Les robinets se sont fermés.
L’Union européenne et le FMI « conseillent » alors au gouvernement islandais de socialiser les pertes du secteur financier en reprenant à sa charge les dettes des banques. Pour trouver les financements nécessaires au remboursement de cette nouvelle dette nationalisée, les « conseils » du FMI sont clairs : couper dans les dépenses publiques, en particulier dans la santé et l’éducation, augmenter les impôts sur le travail et les taxes indirectes, et appliquer une politique monétaire restrictive (augmentation très forte des taux d’intérêt). Ces politiques ressemblent comme deux gouttes d’eau aux mesures d’ « ajustement structurel » que les pays du Sud appliquent depuis plus de 25 ans maintenant, avec les résultats que l’on sait.
Il s’agit en plus de ne pas traîner. l’Islande est en effet censée trouver, d’ici l’automne 2009, les fonds pour rembourser sa dette, en particulier à l’égard des investisseurs britanniques et hollandais, faute de quoi, l’adhésion de l’Islande à l’Union européenne serait menacée. S’ils acceptent ce « deal », ou plutôt cette menace, cela impliquerait une austérité maximum et provoquerait une explosion de la dette extérieure publique de l’Islande qui atteindrait 240% du PIB.
Le néolibéralisme n’a pas tenu ses promesses, c’est le moins qu’on puisse dire : explosion du chômage et de la dette publique, surendettement des ménages, dont certains se voient expulsés de leurs maisons, taux d’intérêts prohibitifs, etc. Alors que les mobilisations avaient déjà forcé le gouvernement à démissionner en janvier 2008, cette attitude du FMI n’a évidemment fait qu’accroître le mécontentement général, et des manifestations, phénomène rarissime pour ce pays, se sont amplifiées, en particulier devant l’Althing, le parlement islandais. Dans ce contexte, ce même Parlement a adopté fin août une résolution stipulant que le gouvernement consacrera maximum 6% de la croissance de son PIB au titre du remboursement de la dette. Et si la croissance économique n’est pas au rendez-vous, l’Islande ne paiera rien.
Soyons réaliste, cette mesure ne constitue pas un acte que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire. Premièrement, il faut souligner que l’Islande se retrouve dans cette situation parce qu’elle a accepté de nationaliser une dette privée. Ensuite, un taux de croissance économique ne devrait pas automatiquement signifier des capacités de paiement accrues. La répartition des richesses créées et les priorités du budget doivent être décidées en fonction des besoins des citoyens et non selon les intérêts des créanciers. Plus important : la dette n’est en rien annulée. Au mieux, le remboursement sera reporté dans le temps. Il n’y a pas d’audit en vue et donc pas non plus de possibilité de remettre en cause la légitimité et la légalité de cette dette.
Cependant, cet acte montre une chose essentielle : lorsqu’il y a une volonté politique, souvent voire toujours née de mobilisations sociales importantes, il est possible de désacraliser le caractère non négociable du remboursement de la dette publique et de prendre des mesures concrètes qui vont à l’encontre des intérêts des créanciers.
Les mouvements sociaux, du Sud et du Nord, devraient donc se servir de cet exemple et pousser leurs gouvernements à arrêter de rembourser en invoquant les arguments juridiques de l’ « état de nécessité » et de « force majeure » : les peuples ne sont pas responsables de la crise capitaliste actuelle et, vu la conjoncture, rembourser signifie concrètement la dégradation générale des conditions de vie pour les peuples du Nord et la mort, au sens premier du terme, pour des millions de gens dans le Sud. Quand Geir Haarde, le Premier Ministre, déclare qu’« il y a beaucoup d’arguments légaux qui justifient de ne pas payer » [2], il a tout à fait raison. Ne l’oublions pas, comme le stipule l’article 2 de la Déclaration sur le droit au Développement de 1986, Les États ont « le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population ». Poser un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
immédiat sur le remboursement et lancer un réel processus d’audit, transparent et démocratique, afin d’avancer vers la répudiation de cette dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, illégitime et qui asservit les peuples, est plus que jamais à l’ordre du jour, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. « One solution, repudiation ! »
Pour plus d’informations sur les mobilisations en Islande, voir le film de Patrick Taliercio « Comment l’Islande a changé de gouvernement », aux éditions 68 Septante, collection VID #02 (plus d’informations : www.6870.be - edition@6870.be)
[1] « Selon le FMI, la faillite des banques pourrait coûter aux contribuables plus de 80% du PIB. Relativement à la taille de l’économie, cela représenterait environ 20 fois ce que le gouvernement suédois a payé pour sauver ses banques au début des années 1990. Cela équivaudrait à plusieurs fois le coût de la crise bancaire au Japon il y a une dizaine d’années » (“According to the IMF, the failure of the banks may cost taxpayers more than 80% of GDP. Relative to the economy’s size, that would be about 20 times what the Swedish government paid to rescue its banks in the early 1990s. It would be several times the cost of Japan’s banking crisis a decade ago”. « Cracks in the crust », The Economist, 11 décembre 2008.
[2] « Cracks in the crust », The Economist, 11 décembre 2008 ; http://www.economist.com/world/europe/displayStory.cfm?story_id=12762027
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
Cycle de formation du CADTM
La dette publique belge avec Olivier Bonfond30 mai, par Olivier Bonfond
3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
13 mars, par Olivier Bonfond
14 décembre 2022, par Olivier Bonfond
13 janvier 2022, par Olivier Bonfond
31 mars 2021, par Collectif , Olivier Bonfond
5 février 2021, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers
16 décembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
26 mai 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Eva Betavatzi