30 juin par Romaric Godin

Photo : Governo italiano, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Giorgia_Meloni_Official_2023.jpg
Son PIB par habitant pourrait rejoindre celui de la France cette année. Pourtant, la situation structurelle de l’économie italienne reste préoccupante, alors que la croissance ralentit. L’industrie est en déclin, les gains de productivité sont à l’arrêt, et les revenus des ménages en berne.
Il n’en fallait pas davantage pour que des observateurs proclament un peu rapidement le « redressement spectaculaire » de l’Italie et placent la péninsule dans un ensemble global de « croissance du sud de l’Europe ». Le tout, évidemment, avec un arrière-plan politique. Le « succès » économique prétendu de l’Italie serait ainsi celui de Giorgia Meloni. Sa politique économique deviendrait alors le modèle de l’extrême droite européenne, comme celle de Pedro Sánchez en Espagne est devenue la référence de la gauche réformiste.
Reste à savoir quelle est la réalité de ce « redressement spectaculaire » italien. En prenant un peu de champ, on se rend compte que l’Italie est effectivement un des rares grands pays européens à connaître une tendance sur les années 2020-2025 supérieure à celle des années 2010-2020. Mais il faut immédiatement préciser trois éléments.
D’abord, la croissance des années 2010 en Italie est une anomalie. Le PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
stagne entre la fin 2009 et la fin 2019, avec une hausse de 1,6 % en dix ans. En France, la hausse du PIB réel est de 12,3 % sur la même période, et elle est plutôt faible historiquement. L’Italie souffre alors d’une contraction forte de sa demande intérieure visant à maintenir sa compétitivité externe et un excédent primaire des comptes publics (avant le paiement du coût de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
). En clair : l’austérité menée par les différents gouvernements frappe la péninsule de plein fouet et conduit à un fort désinvestissement dans le pays.
L’autre élément, c’est que l’accélération italienne est très ponctuelle. On peut la situer entre le dernier trimestre de 2020 et le deuxième de 2022. Au cours de ces dix-huit mois, le PIB trimestriel italien augmente de 10,91 %, près du double des 5,52 % de la France. Mais depuis le troisième trimestre 2022, l’Italie réalise une performance inférieure à celle de la France (1,53 % contre 2,86 %), alors même qu’elle a bénéficié du plan européen de « relance et de résilience ».
Le dépassement italien du premier trimestre n’était plus la règle depuis trois ans. Autrement dit, la surperformance relative italienne ne peut tenir à la politique de Giorgia Meloni. Elle repose davantage sur la politique menée par Giuseppe Conte (2018-2021) puis Mario Draghi (2021-2022).
PIB réels italien et français depuis 1999 en base 100 début 2020. © FRED Réserve fédérale de Saint-Louis
De fait, l’accélération du PIB italien est liée principalement à ce que l’on appelle le « superbonus », un mécanisme permettant de bénéficier d’une subvention de 110 % des travaux de rénovation énergétique. Ce dispositif mis en place en mai 2020 par le gouvernement Conte a été supprimé par le gouvernement Meloni début 2023, mais il a eu logiquement un grand succès. En investissant 100 euros, on récupérait 110 euros de baisse d’impôts !
Ce superbonus a clairement été l’élément principal de soutien à la croissance italienne au moment de son accélération au sortir de la crise sanitaire. C’est ce qui a permis la surperformance du PIB italien. Les chiffres globaux sur le PIB annuel de 2019 à 2024 viennent confirmer ce fait.
Les investissements dans les habitations privées ont apporté, selon l’Istat, pas moins de 72,7 % de l’ensemble de la croissance sur la période, soit 4 points de PIB. Bien sûr, cette hausse de la demande a entraîné l’investissement dans d’autres secteurs. La hausse de l’investissement fixe est, sur la période, supérieure à celle de la croissance.
Depuis 2023, les investissements dans les habitations ont reculé, même si la possibilité de lisser les dépenses sur cinq ans a permis d’éviter leur effondrement. Au premier trimestre 2025, le niveau de ces investissements était inférieur de 8 % au point haut de 2023. En d’autres termes, la croissance forte de l’Italie était ponctuelle et dopée aux stéroïdes du superbonus.
PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat et en dollars de 2021 de l’Italie et de la France depuis 2021. © Banque Mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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Enfin, il faut remettre en contexte la hausse du PIB italien. Ce n’est qu’au cours du premier trimestre 2025 que le PIB réel trimestriel a dépassé son niveau du premier trimestre 2008 de 0,7 %. Autrement dit, malgré le « redressement spectaculaire » du pays, ce dernier a connu depuis près de deux décennies une véritable stagnation de son économie.
Cela doit donc nous mener à relativiser fortement les clairons embouchés par la presse italienne et le gouvernement de Giorgia Meloni. L’économie italienne n’est pas « forte », c’est bien davantage l’économie française (comme l’économie allemande) qui est plus faible depuis 2020. Avec un élément supplémentaire : l’Italie est un pays en pleine crise démographique.
La population de la péninsule est en baisse depuis 2015, sous l’effet d’un très faible indice de fécondité (1,18 enfant par femme) et d’un vieillissement rapide. Le solde migratoire ne permet plus de compenser le solde naturel, et la population a reculé de près de 3 % en dix ans. Comme, en parallèle, la crise démographique française est moins aiguë, avec une population qui continue à augmenter de 3 % sur dix ans, l’effet sur le PIB par habitant est mécanique : il faut moins de croissance en Italie pour améliorer cet indicateur. Or, globalement depuis 2020, la France a connu une croissance plus faible avec une population qui augmente, l’Italie une croissance plus forte avec une population qui baisse.
Mais ce même PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat italien reste proche de son niveau de 2007, signe que l’économie italienne ne se porte pas si bien. Au reste, il n’y a dans ce sorpasso italien en termes de PIB par habitant rien d’exceptionnel : avant 2011, l’Italie était régulièrement au-dessus de la France selon ce critère. Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant italien était supérieur de 10,3 % à celui de la France en 1990.
Il n’y a donc pas de « miracle économique » italien. Tout juste une forme de retour à la normale après deux décennies perdues. Mais, là encore, il faut se méfier des grands agrégats. Car les fondamentaux de l’économie italienne sont loin d’être réjouissants et signalent bien plutôt un affaiblissement structurel.
Le premier élément à souligner, c’est l’affaiblissement du tissu industriel italien. Pendant longtemps, la grande force de l’économie italienne a été le réseau de PME industrielles, souvent localisées dans le nord-est du pays, très compétitives sur le marché mondial. Or, sur la période 2019-2024, on constate que la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière n’a progressé que de 0,45 %, contre une hausse de 7,5 % sur la période 2015-2024. En clair : depuis la crise sanitaire, l’industrie italienne est à l’arrêt.
Dans le détail sectoriel, on constate que sur ces cinq dernières années, la valeur ajoutée industrielle augmente dans seulement quatre des onze grands secteurs. Si la pharmacie (+ 21,5 %), le matériel informatique (+ 20,3 %) ou l’agroalimentaire (+ 12 %) progressent nettement, on constate des reculs dans d’anciens points forts de l’industrie italienne comme le textile (− 5,6 %), les machines (− 4,1 %) et le matériel de transport, y compris les automobiles (− 3,5 %).
Évolution des productions industrielles en France, Allemagne, Italie et Espagne (à gauche) et par secteurs (à droite). © Istat
L’Italie tend donc à se désindustrialiser. En 2019, l’industrie manufacturière représentait 17,1 % de la valeur ajoutée totale. En 2024, ce niveau a reculé à 16,2 %. Comme, en parallèle, la productivité du secteur a eu tendance à plutôt reculer (mais les données précises manquent), c’est bien une perte de substance que subit l’industrie italienne.
C’est en grande partie la perte de marchés internationaux qui explique ce fait. Certes, l’Italie affiche toujours un excédent commercial élevé qui, en 2024, a progressé de 20 milliards d’euros à 54,9 milliards d’euros. Mais ce chiffre fait en partie illusion et s’explique notamment par la baisse des importations, elle-même due, on le verra, à la faiblesse de la consommation. Les exportations, elles, ont reculé de 0,4 %.
Et lorsque l’on regarde sur une plus longue période et en volume, c’est-à-dire en neutralisant l’effet des prix, on constate que les exportations de biens ont augmenté de seulement 0,6 % entre 2022 et 2024 et de 7,4 % sur 2019-2024 (alors que les importations de biens ont augmenté de 11,79 % sur cinq ans). Sur cinq ans, malgré une bonne dynamique des exportations de services (c’est-à-dire principalement du tourisme), qui ont augmenté de 15,8 %, le commerce extérieur a retiré près de 0,5 point de PIB à l’Italie.
L’industrie italienne n’est donc pas au mieux. Mais que dire des ménages ? La consommation reste à l’arrêt depuis la crise sanitaire. Entre 2019 et 2024, elle n’a progressé que de 0,4 %, avec une nette baisse des dépenses alimentaires (− 3,4 %), d’habillement (− 9,2 %) ou de restauration (− 4,6 %). La consommation se concentre sur la santé (+ 5,9 %) et l’acquisition de matériels et de services informatiques. Mais ces dépenses compensent tout juste la perte liée aux restrictions des autres postes.
Évolution des salaires réels en Italie, France, Allemagne et Espagne depuis 2019. © Istat
Au premier trimestre 2025, la consommation des ménages affiche une hausse de 0,1 %. Autrement dit, la stagnation persiste et elle s’explique par une baisse des salaires réels sur les dernières années. Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques
OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.
Site : www.oecd.org
(OCDE) d’il y a un an, « l’Italie est le pays [de l’OCDE] qui a connu la plus forte baisse des salaires réels depuis la pandémie ». Selon l’Istat, les salaires réels, entre 2019 et 2024, ont reculé de 4,4 %. Un des niveaux les plus bas d’Europe.
Autrement dit : la croissance italienne devant laquelle les économistes s’extasient n’a pas profité au monde du travail ni aux ménages. Comme les revenus globaux entre 2019 et 2024 ont augmenté de 2 % en termes réels, selon l’Istat, la déformation de la répartition des richesses créées s’est faite au désavantage des travailleurs. L’Organisation internationale du travail le confirme : entre 2018 et 2024, la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 61,6 % à 58,6 %.
Certes, le chômage a fortement baissé. Proche des 10 % en février 2020 (9,7 %), le taux de chômage est descendu à 6 % en mars 2025. C’est en partie le fruit du basculement de l’économie vers les services, plus intenses en travail, mais aussi moins productifs. Mais la principale raison en est démographique. La population en âge de travailler recule, et il faut peu de créations d’emplois pour faire baisser le taux de chômage. De fait, l’augmentation de l’emploi est assez modeste : + 3,8 % entre 2019 et 2024, soit autant que l’Allemagne, mais moins que la France.
De fait, le pays reste l’un des moins productifs d’Europe occidentale. Et l’évolution récente n’a rien arrangé. Selon l’Istat, la croissance de la productivité, déjà une des plus faibles du vieux continent, a encore ralenti entre 2019 et 2024, n’augmentant sur la période que de 1,03 %. Entre 2023 et 2024, elle a même reculé. Concrètement, cela signifie que, malgré le dynamisme, en Italie comme ailleurs, du secteur technologique, la production globale est sous pression, en raison de l’épuisement des gains de productivité industriels et du développement des services, et malgré la reprise de l’investissement global. La conséquence, c’est que l’Italie ne peut guère espérer afficher un redressement durable de sa croissance.
On comprend alors mieux le schéma de ces dernières années : la croissance a été dopée artificiellement par le superbonus, entre 2020 et 2023, mais ses fondamentaux restent très faibles : l’industrie est en déclin, les gains de productivité à l’arrêt et les revenus des ménages en berne. Et ces trois éléments s’auto-entretiennent : la tertiarisation de l’économie pèse sur la productivité et donc sur les salaires.
Il n’y a dès lors pas de « miracle » ni de « redressement spectaculaire » de l’économie italienne. Et la croissance est encore moins imputable au gouvernement de Giorgia Meloni, qui n’a engagé que des réformes antisociales, comme la réduction du revenu de citoyenneté, mais n’a réalisé aucune mesure économique de grande ampleur. Le gouvernement italien se contente de surfer sur des agrégats soigneusement choisis, comme le PIB par habitant.
Désormais, l’économie italienne est sur la brèche. La croissance s’épuise. Sur un an, au 31 mars, le PIB italien affiche une croissance de 0,7 % qui, selon la Commission européenne, pourrait être celle de 2025, quoique le Fonds monétaire international (FMI) prévoie 0,4 %. Avec une croissance aussi faible, le pays continue à subir la pression des marchés et du FMI pour réduire son endettement public, actuellement à 135 % du PIB.
Le gouvernement doit par conséquent réduire les dépenses pour compenser l’important service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. du pays. Cette politique vient peser comme un poids permanent sur l’activité. Le ralentissement de l’activité des deux dernières années s’explique aussi par la réduction du déficit public, c’est-à-dire, dans le cas italien, par l’accroissement de l’excédent primaire.
Mais le 29 mai, le FMI a prévenu. Si l’Italie entend dépenser davantage pour son réarmement, elle devra faire des coupes drastiques dans ses dépenses sociales, avec une nouvelle réforme des retraites et des « réformes structurelles ». Le récit de la croissance ne permet pas à l’Italie de sortir de l’ornière.
Source : Mediapart
Journaliste à Mediapart. Ancien rédacteur en chef adjoint au quotidien financier français La tribune.fr
Romaric Godin suit les effets de la crise en Europe sous ses aspects économiques, monétaires et politiques.
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