10 février 2020 par CADTM
Image d’illustration, 1998 (CC - Wikimedia)
FMI et Banque mondiale n’étaient pas les seules institutions qui devaient voir le jour pour consolider le monde économique de l’après-Seconde Guerre mondiale. Les discussions entre Alliés, essentiellement États-Unis et Grande-Bretagne, avaient abouti à l’idée de la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC), chargée d’organiser les règles du commerce mondial.
La Charte de La Havane instituant une Organisation internationale du commerce a été signée en mars 1948 par 53 pays. Mais, n’ayant pas été ratifiée par le Congrès des États-Unis [1], seuls ont survécu les accords de réduction des barrières douanières, signés en 1947 dans le cadre de la préparation de l’OIC et entrés en vigueur début 1948. Prévue initialement pour être temporaire et dotée d’un dispositif institutionnel limité, elle est finalement restée pérenne sous le nom de GATT - General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers) pendant un demi-siècle.
Le libre-échange, horizon indépassable de l’OMC, est en fait la stratégie adoptée par les économies dominantes qui ont réussi à devenir des acteurs économiques puissants afin de le rester
En presque 50 ans, le GATT
GATT
Le G77 est une émanation du Groupe des pays en voie de développement qui se sont réunis pour préparer la première Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Genève en 1964. Le Groupe offre un forum aux PED pour discuter des problèmes économiques et monétaires internationaux. En 2021, le G77 regroupait plus de 130 pays.
organisa 8 cycles de négociations visant à pousser plus loin la libéralisation du commerce. Le dernier, appelé cycle de l’Uruguay (1986-1994), aboutit à la création de l’Organisation mondiale du commerce
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
(OMC) en avril 1994 lors de la Conférence de Marrakech. L’adoption de l’acte final [2] de ce cycle a constitué un véritable tournant : il a nettement élargi le champ de la négociation à des secteurs non couverts jusque-là par le GATT (agriculture, textile, services, etc.) et a intégré pour la première fois la question de la protection de la propriété intellectuelle au sein du commerce international. L’OMC était chargée de structurer ces négociations élargies et de promouvoir avec une force décuplée l’intensification de la libéralisation commerciale. L’OMC regroupe 164 pays et est présidée (depuis 2013) par le Brésilien Roberto Azevêdo.
Le libre-échange, horizon indépassable de l’OMC, est en fait la stratégie adoptée par les économies dominantes qui ont réussi à devenir des acteurs économiques puissants afin de le rester : une fois l’ascendant pris, les puissants ont tout intérêt à dire « maintenant, on laisse agir les forces du marché. » Pour l’OMC, libéraliser, c’est contraindre les pays du Sud à abandonner toute forme de protection de leur économie et à les ouvrir aux appétits féroces des entreprises transnationales.
« Toute nation qui, par des tarifs douaniers protecteurs et des restrictions sur la navigation, a élevé sa puissance manufacturière à un degré de développement tel qu’aucune autre nation est en mesure de soutenir une concurrence libre avec elle ne peut rien faire de plus judicieux que de larguer ces échelles qui ont fait sa grandeur, de prêcher aux autres nations le bénéfice du libre-échange, et de déclarer sur le ton d’un pénitent qu’elle s’était jusqu’alors fourvoyée dans les chemins de l’erreur et qu’elle a maintenant, pour la première fois, réussi à découvrir la vérité. » Friedrich List, économiste, 1840 |
Aux côtés du couple FMI-Banque mondiale, l’OMC complète la puissante machine de guerre mise en place pour empêcher les pays du Sud de protéger les secteurs vitaux de leur économie face aux féroces appétits des transnationales
Aux côtés du couple FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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-Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, l’OMC complète la puissante machine de guerre mise en place pour empêcher les pays du Sud de protéger les secteurs vitaux de leur économie face aux féroces appétits des transnationales. En guise d’illustration, l’article III alinéa 5 des accords de Marrakech instituant l’OMC : « En vue de rendre plus cohérente l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial, l’OMC coopérera […] avec le Fonds monétaire international et avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ses institutions affiliées ». Ces deux institutions ont par ailleurs un statut d’observateur au sein de l’OMC. L’OMC est dotée de son propre tribunal d’arbitrage des différends entre États, l’Organe de règlement des différends, lui permettant d’imposer ses règles au mépris de la souveraineté populaire.
Ainsi, la Banque mondiale et le FMI imposent des conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. d’inspiration néolibérale très strictes qui accroissent au forceps l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial, marché dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège. Le renforcement de la connexion des économies des pays du Sud au marché mondial, tel qu’il est hiérarchisé, se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations Sud-Sud.
Contrairement à ce que prétend le dogme néolibéral, une plus grande ouverture et une plus forte connexion au marché mondial constituent un obstacle au développement des pays du Sud. L’insertion intégrale d’un pays du Sud dans le marché mondial est génératrice de déficit structurel de la balance commerciale
Balance commerciale
Balance des biens et services
La balance commerciale d’un pays mesure la différence entre ses ventes de marchandises (exportations) et ses achats (importations). Le résultat est le solde commercial (déficitaire ou excédentaire).
(les importations croissent plus vite que les exportations), déficit qui a tendance à être comblé par des emprunts extérieurs [3]. Pour la plupart des pays du Sud, la boucle est bouclée : il s’agit du cercle vicieux de l’endettement et de la dépendance.
De surcroît, le domaine de nuisance de l’OMC dépasse largement le cadre commercial. L’OMC est une pièce clé du dispositif mis en place par les tenants de la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale pour la renforcer encore. Les politiques recommandées par le trio Banque mondiale-FMI-OMC sont parfaitement cohérentes et suivent un agenda bien précis et aux multiples facettes (politiques, économiques, financières, géostratégiques…), que les mouvements sociaux ne doivent cesser de combattre.
« Les pays qui veulent des accords de libre-échange avec les États-Unis doivent satisfaire à des critères qui ne sont pas seulement économiques et commerciaux. Au minimum, ils doivent aider les États-Unis à atteindre leurs objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale. » Robert Zoellick, représentant spécial des États-Unis pour le commerce entre 2001 et 2005 |
L’OMC est aujourd’hui en panne. L’administration de Donald Trump applique une politique commerciale unilatérale agressive tant à l’égard de la Chine et de l’Union européenne qu’à l’égard d’autres puissances économiques. Washington a empêché en 2019 la désignation de juges à la cour d’appel de l’OMC, ce qui l’empêche de fonctionner [4]. Les négociations du cycle de Doha lancées en 2001 peinent à aboutir depuis des années, minées entre autres par des désaccords autour de la Chine, laquelle a rejoint l’OMC en 2001. Le paradoxe est que pourtant, depuis près de vingt ans, la libéralisation se poursuit, même sans nouvel accord à l’OMC. Les accords de libre-échange bilatéraux, régionaux et plurilatéraux se substituent aux accords multilatéraux afin de repousser encore davantage les frontières du libre-échange là où l’OMC n’y est pas encore parvenue. Néanmoins, la politique de l’administration Trump crée un chaos certain dont il est difficile de prévoir l’issue.
Il faut supprimer l’OMC et la remplacer par une nouvelle organisation mondiale multilatérale. Une telle organisation devrait viser, dans le domaine du commerce, à garantir la réalisation d’une série de pactes internationaux fondamentaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits humains et tous les traités fondamentaux en matière de droits humains (individuels ou collectifs) et environnementaux. Sa fonction serait de superviser et de réglementer le commerce de manière à ce qu’il soit rigoureusement conforme aux normes sociales (notamment les conventions de l’Organisation internationale du travail – OIT
OIT
Organisation internationale du travail
Créée en 1919 par le traité de Versailles, l’Organisation internationale du travail (OIT, siège à Genève) est devenue, en 1946, la première institution spécialisée des Nations unies. L’OIT réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, dans le but de recommander des normes internationales minimales et de rédiger des conventions internationales touchant le domaine du travail. L’OIT comprend une conférence générale annuelle, un conseil d’administration composé de 56 membres (28 représentants des gouvernements, 14 des employeurs et 14 des travailleurs) et le Bureau international du travail (BIT) qui assure le secrétariat de la conférence et du conseil. Le pouvoir du BIT (Bureau International du Travail) est très limité : il consiste à publier un rapport annuel et regroupe surtout des économistes et des statisticiens. Leurs rapports défendent depuis quelques années l’idée que le chômage provient d’un manque de croissance (de 5% dans les années 60 a 2% aujourd’hui), lui-même suscité par une baisse de la demande. Son remède est celui d’un consensus mondial sur un modèle vertueux de croissance économique, ainsi que sur des réflexions stratégiques au niveau national (du type hollandais par exemple). L’OIT affirme qu’il est naïf d’expliquer le chômage par le manque de flexibilité et que les changements technologiques n’impliquent pas une adaptation automatiquement par le bas en matière de salaires et de protection sociale.
) et environnementales. Cette définition s’oppose de manière frontale aux objectifs actuels de l’OMC. Ceci implique bien évidemment une stricte séparation des pouvoirs : il est hors de question qu’une organisation multilatérale possède en son sein son propre tribunal comme c’est actuellement le cas de l’OMC. Il faut donc supprimer l’Organe de règlement des différends.
[1] Voir Susan George, « Une autre organisation du commerce international était possible... », Le Monde diplomatique, janvier 2007.
[2] Cet acte final est constitué de 20 000 pages de textes. Voir :
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/omc/historique.shtml
[3] L’exemple de la Chine ne contredit pas cette argumentation : la Chine a une insertion très particulière dans le marché mondial puisqu’elle maintient de très importantes protections et la taille de son marché intérieur est considérable.
Cycle de formation du CADTM
Les fonds vautours (avec focus sur les cas de l’Argentine et de la Zambie)10 mai, par CADTM , Pablo Laixhay , Pierre-François Grenson , Maxime Perriot
25 avril, par CADTM , Ecologistas en acción , ATTAC Espagne , Plateforme espagnole de lutte contre les fonds vautours , Audit de la santé , Coordination pour le droit au logement à Madrid
25 avril, par CADTM , Maxime Perriot
3 avril, par CADTM , Eric Toussaint , Collectif , Anaïs Carton
Cycle de formation du CADTM
Dette et féminisme8 mars, par CADTM , Camille Bruneau
8 mars, par CADTM , Attac France
13 février, par CADTM
16 décembre 2022, par CADTM , Collectif
13 décembre 2022, par CADTM
9 décembre 2022, par CADTM