L’Afrique au temps de la pandémie de coronavirus

8 mars 2022 par Jean Nanga


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En ce temps de pandémie de coronavirus qu’en est-il de l’Afrique et de ses relations avec les principales puissances ?



 De la Covid-19 et de la dette africaine

La forte croissance moyenne du PIB n’a profité qu’à une infime minorité (classes dirigeantes et capitalistes sans distinction d’origine)

Depuis 2020, la vie mondiale est d’une certaine façon rythmée par celle du coronavirus dit SARS-CoV-2, facteur de la Covid-19, maladie pandémique qui s’avère assez mortelle. Elle avait été annoncée au début de sa propagation comme devant être catastrophique en Afrique. En ce début 2022, la grande catastrophe annoncée en Afrique n’a pas (encore ?) eu lieu : environ 241,7 000 décès, officiellement, dans les 55 États (au 1er février 2022, Africa Centres for Disease Control and Prevention), sur une population d’1,3 milliard, avec des disparités entre d’une part l’Afrique du Sud (95,8 milliers de décès pour 58 millions d’habitant·e·s), l’Égypte (22,9 milliers pour 100 millions d’hab.), la Tunisie (26,6 milliers pour presque 10,9 millions d’hab.), le Maroc (15,5 milliers pour 35 millions d’hab.) totalisant presque les 2/3 de décès, d’autre part les 302 du Niger (17,1 millions d’hab.), les 372 du Burkina Faso (18,4 millions d’hab.), les 715 du Mali (14,5 millions d’hab.), les 786 de la Côte d’Ivoire (22,6 millions d’hab.). Il va de soi que chaque décès est un drame pour les parent·e·s, les ami·e·s. L’Afrique compte le quart des décès dans l’Union européenne (sans le Royaume-Uni post-Brexit) : 967 125 pour 447 millions d’hab. (presque 3 fois moins que la population africaine) ; les États-Unis avec 915 434 décès pour 330 millions d’hab. font 3,7 fois plus que l’Afrique. Si ce catastrophisme ambiant n’était pas souvent dénué de fantasmes sur l’Afrique – continent supposé essentiellement un lieu du négatif ou du dramatique – ayant, en retour, suscité quelque réaction complotiste africaine, il exprimait aussi la conscience par certaines institutions d’une certaine réalité des sociétés africaines.

À l’instar de l’OMS très au fait des carences traditionnelles de la santé publique en Afrique, exposée auparavant au reste du monde par l’épidémie d’Ebola dans quatre sociétés ouest-africaines (2014) : vétusté des infrastructures de santé publique, trop faible ratio médecin/millier d’habitant·e·s, forte dépendance pharmaceutique, inexistence souvent de structures de recherche fondamentale, etc. Une situation qui avait été aggravée par les politiques d’ajustement structurel néolibéral, imposées dans les années 1980-1990 par les institutions financières de Bretton Woods (Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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) chargées, avec d’autres, de la propagation mondiale du néolibéralisme, et se caractérisant par, entre autres, des coupes claires dans les budgets des secteurs sociaux, celui de la santé en l’occurrence. Les États africains – comme ceux d’Amérique latine et d’Asie – endettés étant sommés d’accorder la priorité au remboursement de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique extérieure. Ce qui s’accompagnait par ailleurs, au nom d’un prétendu « consensus de Washington », de la promotion du secteur privé, d’une organisation de la marche vers le « suprématisme du secteur privé » (Naomi Klein), jusque dans les secteurs dits sociaux.

Cette « reforme structurelle » a été considérée, bien qu’inachevée, comme le facteur d’une décennie (du début des années 2000 aux années 2014-2015), de forte croissance du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
moyen de l’Afrique, à 5 % – avec des grandes disparités : allant des PIB à deux chiffres à ceux autour de 3% –, derrière l’Asie (6 %) et au dessus de la moyenne mondiale (3 %), malgré la crise des économies dites développées en 2008.


Le retour d’une crise de la dette africaine

Le taux moyen d’endettement de la Région Afrique avait été réduit au milieu des années 2000 par les initiatives « pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
 » et « aménagement de la dette multilatérale ». Mais à la veille de la pandémie, soit quatre à cinq ans après la fin du taux moyen de croissance du PIB à 5 %, situé à 3,5 % en 2019, la dette publique extérieure de plusieurs États africains de toutes les sous-régions africaines, de l’Égypte au Zimbabwe, était de nouveau en hausse (de 15 % en moyenne pour l’Afrique du Nord entre 2015 et 2020). 1/3 des États africains se trouve soit surendetté ( par exemple : 212 % du PIB pour le Soudan, 173 % pour l’Érythrée, 125 % pour le Mozambique), soit risquent de le devenir (82 % pour le Ghana, 66 % pour le Rwanda). Ainsi, la dette publique extérieure des États de l’Afrique dite subsaharienne est passée de 33 % en 2010 à environ 58 % du PIB. Dépenser plus pour le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. que pour les secteurs sociaux, est ainsi de nouveau à l’ordre du jour, malgré leur état déjà déplorable, de la santé publique, en l’occurrence.

1/3 des États africains se trouve soit surendetté (par exemple : 212 % du PIB pour le Soudan, 173 % pour l’Érythrée, 125 % pour le Mozambique), soit risquent de le devenir

Comme l’a confirmé de façon on ne peut plus évidente le début de la lutte contre la pandémie, la forte croissance moyenne du PIB n’a profité qu’à une infime minorité (classes dirigeantes et capitalistes sans distinction d’origine), n’étant pas accompagnée d’un véritable progrès en matière sociale, profitable aux classes populaires, où souvent prévaut l’activité dans l’économie dite informelle (85,8 % de l’emploi total, Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, 2019) aux revenus plus précaires que considérés comme décents. Par exemple, en rapport direct avec la santé, est demeuré difficile l’accès à l’eau saine, potable, dans de grandes villes africaines. De ce fait, respecter la mesure barrière de lavage régulier des mains au savon n’était pas évident jusque dans des quartiers populaires autres que les bidonvilles africains (où l’eau potable peut être vendue beaucoup plus chère que dans les quartiers “normaux”).

Ainsi, le pire paraissait très probable. La dette étant en hausse, jusqu’au surendettement, les charges sont donc plus lourdes pour ces États. Les institutions de Bretton Woods ne proposant comme remède principal qu’une version relookée de l’ajustement structurel néolibéral, relativement adaptée au stade de néolibéralisation déjà atteint –– « intensifier les reformes structurelles », pendant la pandémie, selon le président de la BAD. Ce qui revient à prendre le chemin inverse de celui du progrès social profitable “durablement” aux classes populaires. Avec, par dessus le marché, le rééchelonnement peu probable d’une partie de plus en plus importante de la dette, celle due à la finance privée. Car des institutions financières pourtant multilatérales, à l’instar du FMI, en sont maintenant les rabatteurs, poussant les États africains à s’endetter davantage sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
– aux taux d’emprunt généralement bien plus élevés. Ceux-ci sont devenus, avec 40 % de dettes détenues (de 23 % en 2010 à 39 % en 2019, en Afrique du Nord ; de 29 % en 2009 à 43 % en 2019 en Afrique dite subsaharienne) les principaux créanciers de l’Afrique, devant les créanciers multilatéraux (Banque mondiale, Banque africaine de développement, FMI, etc.) et bilatéraux (États) dont les parts ont baissé. Comme si ces institutions avaient maintenant pour actionnaires les BlackRock, Citigroup, Crédit Agricole, Goldman Sachs, JP Morgan et autres du même acabit, non plus les États.

La croissance moyenne du PIB n’a pas été accompagnée d’un véritable progrès en matière sociale

Ce qui relève du processus de concrétisation du « suprématisme du secteur privé », principe du néolibéralisme ou « pur capitalisme » (Michel Husson). Des émissions d’obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
, emprunts réalisés sur le marché financier, par des États africains sont même applaudis par la presse financière locale ou panafricaine.

Ces gros créanciers privés ont, pendant la pandémie, confirmé leur cynique surdité capitaliste en ne s’associant pas à l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD) des “pays les moins avancés” – de mai 2020 à fin décembre 2020 d’abord, étendue par la suite de janvier à décembre 2021 – prise par le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. , la Banque mondiale et le FMI [1]. Cette suspension du service de la dette étant censée contribuer au financement, par les États des « pays moins avancés Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
 », de la lutte contre la pandémie, à la fourniture de l’aide sociale aux plus démuni·e·s, etc. Il y avait déjà 420 millions d’extrêmement pauvres en Afrique avant la pandémie, soit un·e Africain·e sur trois. En 2020, du fait des faillites de micro-entreprises frappées par l’État d’urgence sanitaire, de la paralysie du secteur touristique maghrébin, avec l’informel qui l’entoure, des licenciements, des réductions de salaires, etc., 30 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté. Des scenarios, de la BAD, estimaient la perte d’emplois entre 25 et 30 millions en 2020 : « les principales victimes seront surtout les travailleurs pauvres qui représentent près de la moitié des salariés », des salarié·e·s pauvres, en temps ordinaire, basculant, au chômage, donc dans l’extrême pauvreté.

Les créanciers privés sont les principaux créanciers du continent africain

La “solidarité familiale” manifestant davantage ses limites au fil des décennies. Les estimations de la paupérisation pour 2021 sont plus élevées : 490 millions (Cnuced Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
, Rapport sur le développement de l’Afrique 2021) car avec aussi la succession des vagues et de variants, des entreprises ont été contraintes de suspendre leurs activités, de réduire leurs effectifs. Au Maroc, par exemple, en 2021, « 24 % des GE [grandes entreprises] ont déclaré une réduction de leurs effectifs, contre 34 % des PME et 43 % des TPE ». Ainsi, malgré l’hémiplégie financière de ces États, à l’économie extravertie, particulièrement frappés par le fort ralentissement de la demande en matières premières, la baisse des importations – facteur aussi de la hausse des prix de certaines denrées de première nécessité dans les villes et villages d’Afrique – donc amenuisement des recettes fiscales, les créanciers privés exigent d’être remboursés. Tant pis pour les pauvres !

Donc, si la létalité de la Covid-19 en Afrique n’est pas catastrophique – encore une fois, chaque décès étant évidemment un drame pour les parent·e·s, les ami·e·s –, la pandémie s’avère néanmoins un facteur aggravant de la situation sociale populaire des sociétés africaines.

 De la dépendance diversifiée des économies africaines

Les gros créanciers privés ont, pendant la pandémie, confirmé leur cynique surdité capitaliste

Elle est, par ailleurs, une nouvelle monstration de la persistance de la dépendance des économies africaines plutôt que d’une situation actuelle à la porte de la « libération économique » (Vera Songwe, secrétaire générale adjointe de l’ONU et secrétaire exécutive de la CEA). En effet, la pandémie – du fait par exemple de l’incapacité d’une autonomie africaine en matière vaccinale – a reconfirmé que les années de croissance du PIB, considérée comme exceptionnelle, n’ont pas souvent favorisé des initiatives de sortie de l’extraversion économique. Bien au contraire, celle-ci a été renforcée par le développement de l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. , de la monoculture Monoculture Culture d’un seul produit. De nombreux pays du Sud ont été amenés à se spécialiser dans la culture d’une denrée destinée à l’exportation (coton, café, cacao, arachide, tabac, etc.) pour se procurer les devises permettant le remboursement de la dette. agricole d’exportation, principaux facteurs, le plus souvent, la dite croissance. Une particulière sensibilité donc aux fluctuations des marchés des matières premières et autres produits bruts d’exportation, échappant généralement au contrôle des “producteurs africains”. Néanmoins, la baisse de la demande, de la part des économies capitalistes développées, au lendemain du déclenchement de la crise de 2008 n’a pas sévèrement impacté les États africains dépendant de ces exportations, du fait de l’“émergence” de nouvelles puissances économiques, la Chine principalement, ayant maintenu, voire crû leur demande.

En effet, dans le cadre de son développement capitaliste, de sa dynamique de croissance du PIB à deux chiffres, d’un certain consumérisme, la Chine s’est avérée grande demandeuse des matières premières, des produits d’Afrique : du pétrole aux avocats, en passant par le cobalt et le café. Les États africains, “partenaires” économiques de la Chine, ont pu maintenir la tête hors de l’eau.

De surcroît, avec des liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
disponibles, en ayant fait, hors d’Afrique, par exemple, une gros détenteur des bons du trésor de l’hégémon états-unien, la Chine est maintenant l’un principaux créanciers bilatéraux des États africains dits subsahariens, voire est en tête (une certaine opacité de cette dette a suscité un débat sur son taux réel), des prêts, voire des dons, permettant aussi de doter l’Afrique en infrastructures que les partenaires traditionnels n’avaient pas réalisées, et se faisant rembourser, dans certains cas, en ressources naturelles.

La Banque africaine de développement (BAfD) estimait la perte d’emplois entre 25 et 30 millions en 2020 : « les principales victimes seront surtout les travailleurs pauvres qui représentent près de la moitié des salariés »

Esquissant ainsi comme un affaiblissement de la dépendance de ceux-ci à l’égard des puissances capitalistes occidentales, dont des anciennes puissances coloniales. Au nom aussi d’une solidarité “Sud-Sud” (se référant à la Conférence de Bandoeng, 1955) entre ex-colonies et semi-colonie des puissances européennes. Ce qui peut être considéré comme une diversification de la dépendance. Car si la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, supplantant donc la France, par exemple, dans ses ex-colonies, atténuant son influence, la Françafrique n’a pas pour autant disparu. En Afrique dite anglophone, où prévaut traditionnellement la dépendance à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, la Grande-Bretagne, ainsi que de l’hégémon mondial depuis le 20e siècle, les États-Unis d’Amérique, se développe aussi le partenariat avec la Chine.

Un partenariat délesté du paternalisme, se voilant derrière la défense de la démocratie ou promotion du respect des droits humains, bien sélective, car absente des discours officiels des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, et de la Grande-Bretagne concernant les monarchies pétrolières du Golfe pouvant être objectivement considérées comme parmi les pires violateurs des droits humains, avec l’État chinois, mais étant, par exemple, de grosses clientes des industries de l’armement de ces États se présentant en missionnaires de la démocratie, du respect des droits humains dans le reste du monde – tout en pratiquant de plus en plus, localement, un libéralisme autoritaire ayant parfois l’air d’envier la société de surveillance chinoise , même avant la pandémie de Covid-19, propice à une meilleure accumulation du capital. Ainsi – sans pour autant cautionner la violence politique ethnicisée meurtrière l’ayant porté au pouvoir, son option capitaliste, ni celle du partenaire chinois (son deuxième créancier et son premier créancier bilatéral) – le président kenyan, Uhuru Kenyatta a insisté, à l’occasion de l’inauguration d’un … terminal pétrolier, en début janvier 2022, sur le partenariat non paternaliste chinois : « Our partnership with China is not a partnership based on China telling us what to do. It is a partnership of friends, working together to meet Kenya’s socio-economic agenda […] China was there when we asked for partnership in developing it […] We do not need lectures about what we need, we need partners to help us achieve what we require ».

Grande créancière bilatérale des États africains, première partenaire commerciale, la Chine est aussi en tête des investisseurs directs étrangers en Afrique pendant les années 2016-2020. Avec 70,6 milliards $, elle a fait plus que les États-Unis d’Amérique (23,7), la France (19,5), le Royaume-Uni (16,3) et l’Allemagne (9,7) mis ensemble, et créé presque autant d’emplois, 170,1 milliers, que l’ensemble États-Unis (54 milliers), France (46,2 milliers), Allemagne (36,5 milliers) Royaume-Uni (35,2 milliers), soit 171,9 milliers (source : Financial Times). Dit « gagnant-gagnant », l’investissement chinois est fondamentalement capitaliste, surtout dans les zones économiques, aux salaires très bas, entre autres, avec une préférence pour la main d’œuvre féminine considérée aussi comme plus flexible (Éthiopie, par exemple). L’Afrique est réputé fournir un particulier retour sur investissement. Par ailleurs, des États africains, comme le Maroc, la Tunisie ont exprimé leur intérêt pour le projet chinois de financement des infrastructures initié en 2013, dit « nouvelles routes de la soie » – concernant l’Asie, l’Amérique latine, l’Arctique, l’Europe centrale –, dans lequel figurait déjà l’Égypte, considéré par ses détracteurs, comme un projet de construction de la domination chinoise dans le monde.


La Chine et l’Afrique pendant la pandémie

La Chine s’est avérée grande demandeuse des matières premières, des produits d’Afrique : du pétrole aux avocats, en passant par le cobalt et le café

Tout cela s’accompagne du développement d’un soft-power chinois. Face à l’inefficacité du Mécanisme Covax, de lutte contre la facture vaccinale – plutôt que de levée des brevets qui serait plus efficace –, seulement 6 % de la population africaine est vaccinée (certains dons de vaccins ont été de proche péremption, poussant par exemple le Nigeria à en détruire 1 million de doses périmées) [2], la Chine lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC 2021) a promis d’augmenter son soutien sanitaire à la lutte contre la pandémie par un don de 600 millions de doses de vaccins, la co-production locale de 400 millions de doses, autrement dit lever le brevet des vaccins qui seront co-produits. Par ailleurs, existe déjà, dans le cadre du soft-power chinois une chaîne de télévision chinoise CCTV diffusant, dans les langues officielles, ses programmes dans toutes les sous régions africaines. La pandémie n’a pas arrêté l’attribution des bourses chinoises à des étudiant·e·s africain·e·s, en même temps que se développe ces dernières années l’enseignement du mandarin dans le système scolaire, y compris dès l’enseignement primaire (Afrique du Sud, Kenya, etc.).

La grande presse, française comme états-unienne par exemple, généralement liée au grand capital investissant en Afrique, des think tanks proches aussi des décideurs politiques, voire des chercheur·e·s, discourent contre la « menace chinoise », le « néocolonialisme chinois » – le substantif étant souvent incongru dans leurs pages –, l’« ogre chinois », anti-écologique en plus, à la différence, implicitement, des transnationales dites occidentales, d’insertion de l’Afrique « dans une stratégie chinoise d’encerclement du Nord par le Sud » (Jean-Pierre Cabestan, sinologue français). Une mise à jour de la peur du « péril jaune », de la peur du supposé « Flot montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des blancs » (Lothrop Stoddard, 1925).

La Chine est maintenant l’un principaux créanciers bilatéraux des États africains dits subsahariens

L’Afrique apparaît ainsi comme le terrain d’une compétition entre la Chine, les États-Unis et la France/Union européenne que ni la Covid-19, ni le ralentissement de la croissance chinoise n’atténuent. En effet, l’Afrique est un autre terrain de la forte rivalité entre les États-Unis d’Amérique et la Chine – plus effective, à partir de la présidence Obama et accrue sous la présidence Trump, en Asie, dans l’Indo-Pacifique, et dans son arrière-cour, l’Amérique dite latine.

Comme indiqué plus haut la Chine a supplanté ces dernières années les États-Unis d’Amérique en matière d’investissements directs étrangers en Afrique. Le voyage, en novembre 2021, du secrétaire d’État états-unien, fermant la parenthèse Trump (ayant parlé de l’Afrique en termes de “pays de merde”), au Kenya – où s’est rendu quelques semaines après le ministre chinois des Affaires étrangères –, Nigeria et Sénégal – où s’est tenue par la suite, les derniers jours de novembre 2021, la grande rencontre africano-chinoise, le 8e Forum sur la coopération sino-africaine – a été marqué entre autres par l’expression de cette rivalité, de façon plutôt implicite, les dirigeants des pays visités étant de ceux qui ne cachent pas leur grande sympathie pour la coopération avec la Chine, même si pour le chef de l’État sénégalais (depuis la présidence de Senghor, le Sénégal est un important allié africain francophone des États-Unis d’Amérique), par exemple, il faudrait réduire la part de la dette dans les investissements chinois, accentuer les investissements dits productifs pour booster effectivement le développement de l’Afrique, la construction d’« un avenir en commun ».

Alors que concernant l’Union européenne/France et la Chine, la rivalité coexiste avec un projet de partenariat tripartite (Chine, Europe/France, Afrique), Croissance partagée entre l’Afrique, la Chine et l’Europe (Croissance PEACE), en fait un partenariat entre la Chine et l’Union européenne en Afrique, réduite par la suite, en 2015, à la France et la Chine en Afrique. Mais à Paris, l’esprit de compétition paraît l’emporter sur celui de coopération, non sans quelque décalage avec, par exemple, le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), très intéressé par le partenariat avec les entreprises chinoises. Recevant à Paris son collègue chinois Xi Jinping en 2019, le chef de l’État français, Emmanuel Macron lui avait affirmé : « Nous ne sommes pas en Afrique des rivaux stratégiques […] nous pouvons être davantage des partenaires dans la durée sur les plans de la sécurité, de l’éducation, des infrastructures et du développement » (cité par l’AFP avec Le Figaro). Ce qui a été rappelé, en cette période de pandémie, par des personnalités françaises comme Jean-Pierre Raffarin (ex-Premier ministre français, président de la Fondation Prospective et Innovation) Etienne Giros (président du CIAN), Lionel Zinsou (membre du club de l’élite française Le Siècle et ex-Premier ministre du Bénin). Ladite coopération tripartite s’est déjà concrétisée dans le privé, par exemple pour la construction du barrage hydraulique de Kalata en Guinée, entre l’entreprise d’État chinoise CWE et l’entreprise française Tractebel, par le partenariat entre le groupe Bolloré et le géant chinois du commerce en ligne, Alibaba, et en cette nouvelle année, en Ouganda et en Tanzanie, pour l’exploitation du pétrole du Lac Albert en Ouganda et son acheminement en Tanzanie – projet contesté, par des collectifs locaux et étrangers, pour raisons sociales et environnementales – par le consortium constitué par TotalEnergies, l’entreprise chinoise CNOOC et les États ougandais et tanzanien.

L’Afrique est le terrain d’une compétition entre la Chine, les États-Unis et la France/Union européenne que ni la Covid-19, ni le ralentissement de la croissance chinoise n’atténuent

La position officielle française pourrait s’expliquer par l’initiative récente de l’Union européenne concernant les financements, le Global Gateway en position de rivalité plutôt que de partenariat avec la Chine et ses « nouvelles routes de la soie ». Ne pouvant être un hasard du calendrier, dès le lendemain de la clôture du FOCAC 2021, ayant malgré tout, confirmé la prétendue “solidarité Sud-Sud” entre les classes dirigeantes/dominantes de Chine et d’Afrique, la présidente de la Commission de l’Union européenne, Ursula von der Leyen, en visite à Dakar, a annoncé, en compagnie du président sénégalais (devant assurer en 2022 la présidence tournante de l’Union Africaine) la mise à disposition de 150 milliards d’euros par l’Union européenne pour l’investissement en Afrique sur six ans, soit la moitié des 300 milliards du Global Gateway, non limité à l’Afrique, en concurrence avec les « routes de la soie ».

Les États africains, dont les classes dirigeantes adhèrent sans exception aucune au capitalisme, semblent s’attendre à ce que cette concurrence entre puissances capitalistes, cette bataille d’éléphants n’abîme pas l’herbe-Afrique mais puisse la fertiliser. Car, il s’agit bel et bien d’une concurrence entre puissances qui ne se déroule pas (encore ?) sur les mers, ou à coup de bombes. En fait, la Chine, qui se proclame encore construisant le socialisme tout en faisant l’éloge du capitalisme au Forum de Davos (ses échanges économiques avec les États-Unis d’Amérique – malgré Trump – et l’Union européenne sont incommensurablement plus importants que ceux avec l’Afrique) contribue à davantage de dynamique capitaliste en Afrique à l’étape actuelle de sa mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
. Par exemple, les routes, les chemins de fer, les ports construits, le sont plus pour le transport des matières premières, des marchandises que pour la circulation des personnes, celle-ci pouvant être déterminée comme mobilité de la force de travail contribuant à sa flexibilisation, pour un “meilleur” retour sur investissement, caractéristique de l’Afrique en néolibéralisation. Cette conception est partagée par les classes dirigeantes africaines et fractions locales de la classe capitaliste. Il en est autant des relations de l’Afrique avec les autres puissances dites émergentes, à l’instar de la Turquie, de la Russie. Celle-ci, à la faveur de la crise malienne surtout, est devenue aussi une cible des puissances dites occidentales et leurs relais médiatiques, car perturbant la reproduction de l’ordre militaire néocolonial établi par la France dans certaines de ses anciennes colonies, soutenue par l’Union européenne dans le cas du Mali. [3].

 Jihadistes, putschistes maliens, français et mercenaires russes

La diversification du partenariat s’est étendue au Mali au domaine militaire, avec l’engagement, après la Centrafrique, de la société militaire privée (SMP) ou de mercenariat russe, Wagner

La diversification du partenariat s’est étendue au Mali au domaine militaire, avec l’engagement, après la Centrafrique, de la société militaire privée (SMP) ou de mercenariat russe, Wagner, en réaction de la junte militaire au pouvoir depuis mai 2021 à l’inefficacité de la présence militaire étrangère face aux groupes islamiques armés sévissant au Mali, au Niger et au Burkina Faso aussi. L’incompétence de l’armée locale étant ainsi affirmée par les militaires au pouvoir. Mais, il s’agit surtout d’un désaveu de l’Opération Barkhane active depuis 2014, sous le leadership de l’armée française, accompagnée d’autres armées européennes et bénéficiant de la collaboration technique du Commandement militaire pour l’Afrique de l’armée des États-Unis d’Amérique (Africom). Ce recours au mercenariat, dénié plus d’une fois par le gouvernement malien, dénoncé par la « communauté internationale » n’ayant pas fermement exprimé une désapprobation de la normalisation des SMP en entreprises, est soutenu par une large partie de la population malienne, car ne comprenant pas l’incapacité de ces armées européennes, censées performantes, à ne pas venir à bout pendant huit ans de ces jihadistes (dont le recrutement est favorisé aussi par la quasi absence de l’administration publique, des services sociaux, etc., dans des zones rurales de certaines sociétés africaines, résultant en partie des politiques d’ajustement structurel néolibéral en prolifération à partir des années 1980). Ce dans un climat, au sein de l’espace francophone sous-régional, de montée, au sein de l’opinion publique, de la critique des relations entre la France et ses anciennes colonies, symbolisées d’ailleurs par le maintien de l’ancien franc des colonies françaises d’Afrique (FCFA) ainsi que celui de la présence militaire française dans quelques pays, des interventions militaires françaises. Même le blocus global imposé au Mali par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) – composé d’ex-colonies non seulement de la France, mais aussi de la Grande-Bretagne et du Portugal –, en réaction officiellement à la longue durée décidée de la période de transition (5 ans) devant aboutir au retour électoralement des civils au pouvoir, est interprété aussi comme influencé par la France. Celle-ci étant active au Conseil de sécurité des Nations unies pour des sanctions contre le Mali de la junte et des mercenaires. Ceux-ci traînant une réputation de violateurs des droits humains, là où ils sont passés, et de prédateurs de ressources naturelles. Des caractéristiques en fait des SMP. Avec le blocus financier du Mali par la CEDEAO, comment d’autre pourrait-il s’acquitter des 9 à 10 millions d’euros par mois que coûterait la prestation de Wagner ?


La place de la Russie

L’affirmation avec insistance d’un lien fort entre la SMP Wagner et le Ministère russe de la Défense, l’État russe, inscrit la participation de celle-là dans une stratégie russe d’influence en Afrique, comme une nostalgie du temps de la guerre dite froide quand certains États africains étaient alignés derrière l’URSS, même si d’aucuns l’étaient tout en se maintenant dans la zone du FCFA par exemple. La France est ébranlée certes, mais l’escalade avec le Mali va t-elle atteindre le stade de rupture des relations entre l’ancienne colonie et l’ancienne puissance coloniale ? Le sens de la “souveraineté nationale” affiché par la junte militaire ira t-il jusqu’à envisager une sortie du néocolonialisme collectif ?

Comme toutes les autres puissances actuellement en situation de rivalité les unes avec les autres, l’intérêt de la Russie pour l’Afrique est économiquement motivé

Comme toutes les autres puissances actuellement en situation de rivalité les unes avec les autres, l’intérêt de la Russie pour l’Afrique est économiquement motivé. Certes sans prétendre à la même ampleur que l’activisme chinois. Elle s’active dans plusieurs secteurs en Afrique : dans la vente des armes de guerre en Afrique (en 2018, elle a vendu 3.2 milliards $ d’armes à l’Égypte pourtant subventionnée annuellement en la matière par les États-Unis d’américaine ; 2,1 milliards à l’Algérie, etc.), des réacteurs nucléaires à l’Afrique du Sud, construit une centrale nucléaire en Égypte, des gazoducs au Nigeria et ailleurs, investit dans le secteur minier au Gabon, en Guinée, en Namibie et ailleurs, elle exporte des produits alimentaires (s’imposant face à la France pour l’exportation du blé sur le marché algérien)… Dans ses échanges avec l’Afrique, elle a réalisé, en 2018, un excédent commercial de 17 milliards de dollars. Bref, elle participe, en prétendant contribuer à la fin du “colonialisme” en Afrique, à y consolider la dynamique du capitalisme, avec sa dimension écocidaire en croissance, modifiant peut-être au passage les rapports de force entre les dites puissances, mais veillant à la reproduction de celui-ci. Il ne peut ainsi en être attendue une dynamique émancipatrice. Celle-ci ne pouvant être que le fait des classes populaires, des féministes, des écologistes, même si la période incline plus au pessimisme de la raison.


Notes

[1Voir notamment CADTM International, « Crise de la dette : Un sommet du G20 pour rien », 15 octobre 2021. Disponible à : https://cadtm.org/Communique-Crise-de-la-dette-Un-sommet-du-G20-pour-rien

[2Eric Toussaint, « La Banque mondiale et le FMI reconnaissent que l’écart se creuse de plus en plus entre le Nord et le Sud », 1er février 2022. Disponible à : https://www.cadtm.org/La-Banque-mondiale-et-le-FMI-reconnaissent-que-l-ecart-se-creuse-de-plus-en

[3Voir notamment, CADTM Afrique, « Déclaration du CADTM Afrique relative aux sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali », 2 février 2022. Disponible à : https://cadtm.org/Declaration-du-CADTM-Afrique-relative-aux-sanctions-de-la-CEDEAO-et-de-l-UEMOA

Jean Nanga

est militant du CADTM en Afrique, il collabore régulièrement à la revue Inprecor.