Tout comme le Brésil, l’Argentine ou encore la Russie, l’Algérie utilise ses réserves de change pour procéder à des remboursements anticipés de sa dette extérieure. Si, à priori, ce désendettement peut apparaître comme un choix positif, il est essentiel de se demander quels objectifs sont réellement poursuivis et à qui profitent ces remboursements. Après analyse, il apparaît que, à l’instar des autres pays agissant de la sorte, le gouvernement algérien n’a pas l’intention de sortir de la logique d’endettement. Et pourtant, potentiellement, d’autres choix sont possibles.
L’Algérie, comme une série d’autres pays, en particulier les producteurs de pétrole, pourrait utiliser son stock de devises fortes pour tenter, en collaboration avec ses pays voisins, de rompre avec un agenda néolibéral qui, au Nord comme au Sud, se révèle totalement inefficace, économiquement, socialement et écologiquement. Encore faut-il que la volonté politique soit présente...
En raison de l’envolée des cours du pétrole, l’Algérie a accumulé ces dernières années un stock considérable de devises fortes. En 2004, elle décide de se lancer dans le remboursement anticipé de ses dettes et paie 1,6 milliard de dollars à ses créanciers bilatéraux et multilatéraux. Le processus s’accélère quand, le 11 mai 2006, l’Algérie signe un accord multilatéral avec le Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
lui permettant de rembourser de manière anticipée ses dettes bilatérales, estimées à 7,9 milliards de dollars. En quelques mois, le pays signe 12 accords avec ses créanciers du Nord [1]. Fin juin 2006, l’Algérie avait déjà remboursé par anticipation 4,3 milliards de dollars à ses créanciers du Club de Paris. Par ailleurs, elle conclut avec la Russie un accord pour l’effacement de l’ensemble de sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, estimée à 4,7 milliards de dollars, en échange d’achats par l’Algérie de divers équipements russes. L’Algérie négocie également avec les institutions financières multilatérales, en particulier la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et la Banque africaine de développement, un remboursement anticipé pour un montant près de 3 milliards de dollars dont le règlement est quasiment terminé. La partie privée de sa dette, environ un milliard de dollars, devrait également être remboursée avant terme. La négociation au Club de Londres
Club de Londres
Homologue du Club de Paris, ce Club réunit les banques privées qui détiennent des créances sur les PED. Créé en 1976 suite à une demande en provenance de l’ex-Zaïre, le Club de Londres est un groupe informel, sans statut et légitimité, se réunissant pour entreprendre des opérations de restructuration de dettes souveraines de pays en difficulté de paiement. Sous l’effet de la crise de la dette du Tiers-Monde, il gagne en importance dans le dernier quart du XXe siècle.
Face à l’évolution du profil d’endettement des pays en développement dès les années 2000, délaissant le recours aux banques privées au profit des marchés financiers, le Club de Londres serait actuellement inactif. Son rôle est aujourd’hui assumé de fait par l’IIF (Institute of International Finance, https://www.iif.com/ ), association de 500 établissements financiers (banques, gestionnaires d’actifs, compagnies d’assurance, fonds souverains et des fonds spéculatifs) régulièrement invitée à participer aux réunions du Club de Paris.
, commence en septembre prochain.
Logiquement, le gouvernement algérien, la Banque mondiale et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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se félicitent de cette baisse significative du niveau d’endettement et de l’amélioration des ratios dette : évaluée à 21,4 milliards de dollars fin 2004, la dette extérieure de l’Algérie est passé à 15,5 milliards de dollars fin 2005 et devrait tomber aux alentours de 5 milliards de dollars à la fin 2006, soit moins de 5% du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
et à un peu plus de 10% des recettes d’exportations.
Au niveau de sa dette publique totale (interne et externe), elle passe de 99% du PIB en 1995, à 57% en 2001, 40% en 2003 et ne représentera plus que 15% d’ici à la fin 2006. Rajoutons que ces remboursements anticipés vont permettre à l’Algérie d’économiser des montants importants sur le service futur de sa dette. Tout cela semble parfait.
Rappelons-le, la dette a été l’instrument utilisé par les puissances du Nord pour maintenir leur domination et continuer à exploiter les ressources naturelles et les travailleurs des pays du Sud. Si l’objectif visé est de sortir de cette dépendance, pour ne pas dire asservissement, un processus de désendettement peut donc être considéré comme très positif. Malheureusement, mais logiquement, les critiques pouvant être formulées sur ce type de choix sont nombreuses.
Avec des réserves de change qui avoisinent maintenant les 70 milliards de dollars, le pays a maintenant une occasion historique de reprendre son destin en main. Contrairement à ce que le discours dominant prétend, les pays du Tiers Monde en général et l’Algérie en particulier ne manquent pas de ressources pour financer leur développement. Plutôt que de rembourser sa dette, l’Algérie pourrait et devrait utiliser l’argent du pétrole au profit de sa population. Le gouvernement algérien pourrait et devrait s’allier avec les pays de la région pour avancer vers la création d’un front uni contre le paiement de la dette. En mettant en commun ces richesses non transférées et leurs réserves de change, ils pourraient et devraient chercher à créer une nouvelle banque régionale, indépendante des puissances du Nord. Cette banque aurait pour rôle de financer, à un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
le moins élevé possible, pourquoi pas nul, un modèle de développement alternatif, favorisant la demande intérieure, la satisfaction des besoins humains, la coopération et la recherche de complémentarité. Les exemples récents de l’Argentine, du Venezuela ou de la Bolivie, prouvent qu’une position ferme à l’égard des IFIs et des riches créanciers du Nord peut donner des résultats très intéressants.
[1] France : 1,6 milliard de dollars, accord signé le 11 mai 2006. ; Portugal : 20 millions de dollars, accord signé le 20 mai 2006 ; Pays-Bas : 45 millions de dollars, accord signé le 22 mai 2006 ; Belgique : 225 millions de dollars, accord signé le 27 mai 2006 ; Danemark : 54,3 millions de dollars, accord signé le 06 juin 2006 ; Etats-Unis d’Amérique : 625 millions de dollars sur un stock de 1,2 milliards, accord signé à la mi-juin ; Autriche : 369 millions de dollars, accord signé le 21 juin 2006 ; Espagne : 690 millions de dollars, accord signé le 22 juin 2006 ; Canada 255 millions de dollars accord signé le 24 juin 2006 ; Finlande : 11,8 millions, de dollars accord signé le 27 juin 2006 ; Grande Bretagne : 202 millions de dollars, accord signé le 28 juin 2006 ; Accord en cours de négociation : Allemagne, Suisse et Japon
[2] La Russie vient par exemple de négocier le rachat de sa dette au Club de Paris, évaluée à 22,3 milliards de dollars. Celle-ci devra s’acquitter d’une indemnité de remboursement anticipé d’un milliard de dollars...
[3] Ce mécanisme permet à une entreprise privée de racheter des créances publiques, pour ensuite les négocier avec le pays débiteur contre du patrimoine public, souvent sous-évalué.
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
31 août, par Olivier Bonfond
Cycle de formation du CADTM
La dette publique belge avec Olivier Bonfond30 mai, par Olivier Bonfond
3 avril, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
13 mars, par Olivier Bonfond
14 décembre 2022, par Olivier Bonfond
13 janvier 2022, par Olivier Bonfond
31 mars 2021, par Collectif , Olivier Bonfond
5 février 2021, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers
16 décembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer
23 novembre 2020, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Mats Lucia Bayer