24 juin 2018 par Jérôme Duval
De nouveau, l’Argentine s’adresse au FMI et se soumet à ses conditions. Cela signifie, une fois de plus, l’approfondissement des politiques néolibérales du gouvernement au détriment de la population.
Malgré l’histoire tumultueuse du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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dans ce pays d’Amérique du Sud, l’Argentine a de nouveau appuyé sur le « bouton FMI ». Il y a dix-sept ans, le FMI avait entraîné l’Argentine dans la plus grande crise de son histoire récente, provoquant la chute de quatre présidents en une semaine. Par la suite, en janvier 2006, l’Argentine claquait la porte du FMI en remboursant jusqu’au dernier dollars sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, largement illégitime, envers l’institution de Washington : 9,6 milliards de dollars. Le gouvernement de Mauricio Macri vient de lui rouvrir la porte, laissant s’installer à nouveau une relation servile avec le créancier le plus influent de la planète.
Cette fois, l’accord surpasse celui de la Grèce, qui a reçu 30 milliards d’euros de cet organisme en 2010. C’était alors le montant record accordé par l’institution tout au long de son histoire, bien que la somme des « sauvetages » grecs, avec la participation du FMI, soit beaucoup plus élevée. L’expérience argentine de 2001 était alors souvent citée comme référence pour comprendre les conséquences de ces plans, préjudiciables à la vie quotidienne du peuple grec…
Le FMI endette l’Argentine pour contrôler son économie
Le 7 juin 2018 sera marqué au fer rouge sur la peau de l’histoire Argentine. Ce jour-là, le gouvernement de Mauricio Macri et le FMI ont signé un accord triennal d’une valeur de 50 milliards de dollars (42,4 milliards d’euros, soit environ 1.110 % de la quote-part de l’Argentine) [1], dont un premier décaissement de 15 milliards de dollars (12,7 milliards d’euros), soit 30 % du total, a été octroyé le 20 juin. En outre, cette enveloppe de 50 milliards de dollars du Fonds, soit près de 10 % du PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
du pays, doit être complétée par des prêts d’autres organisations internationales pour un montant total de 5,65 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) au cours des douze prochains mois : de la Banque interaméricaine de développement (BID) pour 2,5 milliards de dollars, de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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pour 1,75 milliard de dollars et de la Banque latino-américaine de développement (CAF) pour 1,4 milliard de dollars [2]. Un total de 55,65 milliards de dollars qui vient s’ajouter aux 320 milliards de dollars de dette publique enregistrés à la fin 2017. Ainsi, grâce au FMI et aux autres créanciers, la dette publique devrait dépasser 375 milliards de dollars et passer de 57 % du PIB à environ 67 % du PIB.
Rappelons également qu’en plus de cette nouvelle dette qui n’a pas été approuvée par la population et qui ne lui profitera pas, l’Argentine continue de payer une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
héritée de la dictature alors soutenue par le FMI, une dette qui, selon les concepts juridiques en vigueur, devrait être annulée immédiatement et sans condition.
Une feuille de route marquée par l’ajustement structurel qui a conduit de nombreux peuples aux fameuses émeutes de la faim, également appelées « émeutes FMI »
Les prêts stand-by du FMI qui sont octroyés à l’Argentine sont associés à une série de mesures de politique économique. Dans ce cas, en échange du macro-prêt, comme ce fut le cas en 2001, le FMI exige une réduction du déficit jusqu’à ce que l’équilibre soit atteint, cette fois l’objectif est fixé pour 2020. En d’autres termes, le gouvernement Macri doit atteindre un déficit de 2,7 % du PIB en 2018 avant le remboursement de la dette. Il chuterait alors fortement à 1,3 % en 2019 et à 0 % en 2020, pour atteindre un excédent de 0,5 % en 2021.
L’Argentine devra également limiter l’inflation Inflation Hausse cumulative de l’ensemble des prix (par exemple, une hausse du prix du pétrole, entraînant à terme un réajustement des salaires à la hausse, puis la hausse d’autres prix, etc.). L’inflation implique une perte de valeur de l’argent puisqu’au fil du temps, il faut un montant supérieur pour se procurer une marchandise donnée. Les politiques néolibérales cherchent en priorité à combattre l’inflation pour cette raison. à 17 % l’an prochain, à 13 % d’ici 2020 et à seulement 9 % d’ici 2021. Ce scénario est peu crédible dans un pays où l’inflation annuelle est supérieure à 20 % depuis vingt ans, d’autant plus que l’agence de notation Fitch prévoit que le taux d’inflation atteindra 27,5 % à la fin de l’année en raison de la dépréciation Dépréciation Dans un régime de taux de changes flottants, une dépréciation consiste en une diminution de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux autres monnaies due à une contraction de la demande par les marchés de cette monnaie nationale. du peso, érodant ainsi les salaires déjà maltraités. En fait, avec une inflation record de près de 20 % par année, de nombreux retraités ont du mal à joindre les deux bouts et les travailleurs voient leur pouvoir d’achat diminuer.
En bref, l’accord du FMI est censé réduire le déficit budgétaire à zéro en 2020 et l’inflation à 9 % en 2021, alors que le gouvernement de Mauricio Macri augmente la dette à des niveaux astronomiques pour la population. À court terme, son remboursement coûtera au peuple argentin un lourd fardeau d’austérité, le poussant vers une pauvreté galopante. De nouvelles « émeutes FMI » sont-elles à prévoir dans un contexte de crise, un scénario déjà célèbre et qui a entraîné morts et famines ?
Le prix de l’argent du FMI
Pour atteindre ces objectifs, au lieu de suspendre le paiement de la dette pour l’auditer sous contrôle citoyen ou augmenter les impôts sur les bénéfices des grandes entreprises comme un gouvernement attentif aux besoins de sa population pourrait le proposer, Macri préfère réduire les dépenses publiques. Et pour couronner le tout, son gouvernement vient de brandir son veto à une loi de l’opposition qui limite l’augmentation des prix des services publics connue sous l’appellation « tarifazo » [3].
La directrice du FMI, Christine Lagarde, après avoir félicité « les autorités argentines d’être parvenues à cet accord », a conclu : « Je crois que les réformes en Argentine méritent le soutien du FMI et de la communauté internationale ». Mais avant d’être soutenus par le FMI et la communauté internationale, Lagarde et Macri devront convaincre le peuple argentin qui, selon un sondage réalisé juste avant l’accord par le Centro de Estudios de Opinión Pública pour le journal argentin Página 12, révèle que pas moins de 74 % (sur les 1 200 personnes interrogées dans tout le pays) estimaient qu’un éventuel accord du FMI serait préjudiciable [4].
La « Lettre d’intention » adressée au FMI, signée par le ministre des Finances Nicolas Dujovne et Federico Sturzenegger qui vient de démissionner de son poste de président de la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. , souligne « ne pas renouveler les postes non prioritaires », « geler les nouveaux recrutements au sein du gouvernement national pendant deux ans » et éliminer les « postes redondants ». Une formule sacrée, typique du FMI, pour parvenir à « une baisse des dépenses de personnel de 3,2 % du PIB en 2017 à 2,7 % à la fin du programme ». En d’autres termes, un retour au FMI signifie davantage de licenciements de fonctionnaires et une nouvelle baisse du pouvoir d’achat.
Addiction à la dette perpétuelle
Déjà en 2016, le gouvernement Macri était devenu encore plus attrayant pour les financiers spéculatifs lorsqu’il avait endetté le pays afin de payer 9,3 milliards de dollars à des fonds vautours
Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
qui n’avaient pas accepté la restructuration de la dette. Parmi les bénéficiaires, NML Capital de Paul Singer, leader de l’offensive judiciaire contre l’Argentine devant les tribunaux américains, qui a pu ainsi récupérer 2,4 milliards de dollars, le plus gros montant, pour des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
achetées pour seulement… 177 millions.
Puis, accro à la dette perpétuelle, l’Argentine de Macri a émis en juin 2017, pour la première fois dans l’histoire du pays, une dette à rembourser sur 100 ans : 2,75 milliards de dollars avec un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
annuel de 7,9 %. Tant le FMI, qui a conduit à une crise sociale majeure en Grèce avec ses recettes d’endettement appelés « sauvetages », que Macri sont désormais politiquement responsables de ce qui se passera en Argentine dans les mois à venir.
Le peuple jordanien, qui vient de chasser son gouvernement et les lois imposées par le FMI, montre la seule voie qui reste au peuple argentin face à une institution autiste et totalement antidémocratique.
Publié sur le blog de Politis, Un monde sans dette.
[1] Communiqué de presse No. 18/216, FMI, 7 juin 2018. http://www.imf.org/es/News/Articles/2018/06/07/pr18216-argentina-imf-reaches-staff-level-agreement-with-argentina Ce prêt exceptionnel dépasse largement les limites maximum d’emprunt d’un pays membre du Fonds qui sont de 145 % de sa quote-part sur toute période de 12 mois, et d’un montant cumulé de 435 % de sa quote-part sur la durée de vie d’un programme de financement, déduction faite des remboursements. Dans le cas de l’Argentine dont la quote-part est de 4,5 milliards de dollars (3,82 milliards d’euros), les limites seraient respectivement de 6,75 milliards de dollars par an et de 19,7 milliards de dollars sur la durée de vie du programme. Reuters, 18 mai 2018.
[2] CAF pone a disposición de Argentina USD 1.400 millones entre 2018 y 2019, Banco de desarrollo de América Latina, 7 juin 2018 : https://www.caf.com/es/actualidad/noticias/2018/06/caf-pone-a-disposicion-de-argentina-usd-1400-millones-entre-2018-y-2019/?parent=home
[3] « Es oficial : el veto a la ley de tarifas fue publicado en el Boletín », La Nación, 1 juin 2018, et « Una ley que no llegó a ver la luz del día », Página 12, 1 juin 2018.
[4] Raúl Kollmann, “Para tres de cada cuatro es mala gestión y no ganga”, Página 12, 10 juin 2018. https://www.pagina12.com.ar/120622-para-tres-de-cada-cuatro-es-mala-gestion-y-no-ganga
est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.
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