Voté le 14 novembre par l’Assemblée, l’article 60 du projet de loi de finances contraint les collectivités territoriales endettées à négocier elles-mêmes avec les banques, au détriment d’actions en justice. Un scandale dévoilé ici par Patrick Saurin. L’employé de banque décrypte la situation des villes, pointe la nature scélérate des solutions proposées et montre que des actions sont possibles pour desserrer l’étau de l’endettement public.
En France, à la différence des États-Unis, les villes ne peuvent pas se déclarer en faillite. En cas de difficultés financières, une procédure spécialement prévue à cet effet par le code général des collectivités locales doit être mise en œuvre (article L. 1612-14). Si l’exécution du budget fait apparaître un déficit de fonctionnement significatif (supérieur à 5 % ou à 10 % selon la taille de la collectivité), le préfet saisit la chambre régionale des comptes et celle-ci propose à la collectivité des mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre budgétaire qui doivent être prises dans un délai d’un mois à compter de la saisine. À défaut, la collectivité est placée sous tutelle, le préfet règle le budget et le rend exécutoire.
Ce dispositif de mise sous tutelle a été peu utilisé jusqu’à aujourd’hui. On connaît l’exemple célèbre d’Angoulême au début des années 1990, et plus tard ceux de Bussy-Saint-Georges en 2003, Pont-Saint-Esprit en 2008, Hénin-Beaumont en 2009 et Beauchamp en 2013.
200 COLLECTIVITÉS EN JUSTICE
Aujourd’hui, c’est dans les prêts toxiques que résident les causes des difficultés financières des collectivités françaises, ils constituent une véritable menace pour elles. Fait exceptionnel, on estime actuellement à plus de 300 les actions
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
en justice engagées contre les banques, Dexia en particulier, par près de 200 collectivités parmi lesquelles on peut citer le conseil général de Seine-Saint-Denis, les villes de Saint-Etienne, Unieux, Clermont-Ferrand et Saint-Tropez. Rappelons que le surcoût annuel global occasionné par ce type de prêts est estimé à 1 milliard d’euros.
Détenteur de milliards d’euros d’encours toxiques, l’État fait payer les communes au bénéfice de Dexia dont il est le garant.
Un autre facteur de risques tient au manque de recettes des collectivités pour faire face aux dépenses qui leur incombent. Les conseils généraux ont en charge l’aide sociale, or l’augmentation des besoins en ce domaine du fait d’un chômage élevé et d’une stagnation des salaires plonge nombre de départements dans des difficultés insurmontables. Les dotations versées par l’État aux collectivités sont insuffisantes car les gouvernements successifs n’ont pas engagé la nécessaire réforme fiscale qui permettrait notamment de récupérer les 80 milliards d’euros de fraude fiscale et les plus de 170 milliards d’euros de niches fiscales accordées aux seules entreprises perdus chaque année.
Or la solution que propose aujourd’hui le gouvernement au problème des prêts toxiques est une entourloupe pour les collectivités et une insulte à la justice et au droit ! Le projet de loi de finances pour 2014 comporte dans son article 60 deux dispositions particulièrement pernicieuses. La première prévoit la mise en place d’un fonds de soutien aux collectivités qui ont souscrit des prêts toxiques. Ce dispositif est critiquable à plusieurs titres. Tout d’abord, il est très insuffisant avec ses dérisoires 100 millions d’euros annuels pendant 15 ans, sachant que les banques n’apporteraient que la moitié de ce montant. Ensuite, il ne concerne pas les contrats d’échange de taux, les fameux swaps
Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
. De plus, pour bénéficier de cette aide, les collectivités doivent passer préalablement un accord avec les établissements prêteurs et donc renoncer à toute action en justice. Enfin, la collectivité doit payer à la banque une indemnité de remboursement anticipé puisque le montant de l’aide sera fixé à partir de cette indemnité et plafonné à 45 % de celle-ci. Ce fonds souffre de bien d’autres insuffisances, notamment le fait d’exclure les hôpitaux publics et les organismes de logement social.
L’article 60 valide rétroactivement des crédits illégaux pour amnistier les banques et les rendre inattaquables.
La deuxième disposition de l’article 60, la plus scandaleuse, vise à considérer les contrats dépourvus de TEG rétroactivement valables et à les rendre inattaquables en justice en adoptant ce que l’on appelle une loi de validation, c’est-à-dire une loi validant rétroactivement un acte reconnu illégal par un juge ou susceptible de l’être. La volonté de l’État d’amnistier une nouvelle fois les banques pour leurs agissements coupables trouve son explication dans quelques événements récents.
L’AVIS DU JUGE MENACÉ
À la suite du démantèlement de Dexia, victime de ses agissements spéculatifs, le gouvernement français a repris en début d’année un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts aux collectivités de DEXMA (une entité de DEXIA) à travers une structure publique spécialement créée à cet effet : la Société de Financement Local (dont le capital est détenu à 75 % par l’État, à 20 % par la CDC et à 5 % par la Banque Postale). Sur ce stock, on compte près de 10 milliards d’euros d’encours toxiques concernant environ 1 000 collectivités. C’est donc la SFIL, c’est-à-dire l’État (par ailleurs actionnaire à 44 % de Dexia SA), qui porte le risque. Or ces derniers mois, certaines collectivités qui avaient assigné les banques pour contester les prêts toxiques que ces dernières leur avaient fait souscrire ont obtenu gain de cause en justice. Cela a été le cas notamment du conseil général de Seine Saint-Denis qui, le 8 février 2013, dans trois affaires l’opposant à Dexia, a vu le tribunal de grande instance de Nanterre décider la nullité de la clause d’intérêt de trois contrats pour défaut de mention du taux effectif global (TEG) dans les fax de confirmation des prêts.
LES ACTIONS POSSIBLES
C’est donc pour éviter que l’État soit condamné à payer les surcoûts des prêts toxiques repris à Dexia que le ministère de l’économie et des finances a inséré l’article 60 dans le projet de loi de finances pour 2014.
Face à cette situation, des actions sont cependant possibles, pour les collectivités comme pour les citoyens. Une analyse approfondie des décisions de justice permet d’établir que la mesure législative de validation de l’article 60 constitue une violation de droit manifeste qui peut être contestée avec de grandes chances de succès. En effet, trois moyens peuvent être invoqués pour soulever un motif d’inconstitutionnalité : l’absence d’un intérêt général suffisant et distinct des intérêts privés, une atteinte substantielle au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, enfin le fait que l’acte validé contrevienne à un principe de valeur constitutionnelle sans que l’intérêt général (de rang constitutionnel) visé par la validation soit établi.
Les collectivités et les citoyens doivent continuer à attaquer en justice les banques coupables de leur avoir fait souscrire des emprunts toxiques. L’article 60 du projet de loi de finances de 2014 ne met pas un terme à leur action. Plusieurs moyens existent pour écarter ce texte. Si l’éventualité d’une saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou 60 sénateurs avant la promulgation de la loi semble peu probable, il reste pour les citoyens la possibilité de mettre en demeure leur collectivité d’agir en justice, et en cas de refus ou d’inertie de cette dernière d’agir à sa place grâce à « l’autorisation de plaider » [1].
Plus que jamais les citoyennes et les citoyens doivent se mobiliser pour exiger l’annulation des dettes illégales et illégitimes des acteurs publics locaux.
Patrick Saurin est un des porte-parole de SUD BPCE et il est membre du CADTM.
[1] Voir notre argumentation juridique pour contester l’article 60 et sur la façon d’exercer l’autorisation de plaider dans « Note sur les prêts toxiques » et « L’article 60 du projet de loi de finances pour 2014 ».
a été pendant plus de dix ans chargé de clientèle auprès des collectivités publiques au sein des Caisses d’Épargne. Il est porte-parole de Sud Solidaires BPCE, membre du CAC et du CADTM France. Il est l’auteur du livre « Les prêts toxiques : Une affaire d’état ».
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015.
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Article précédemment publié le 28 février 2018
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