Lors de la conférence sur l’Irak à Stockholm fin mai 2008, conférence dite « de suivi du Contrat international d’objectifs pour l’Irak » adopté à Charm el Cheik (Egypte) en mai 2007, le secrétaire d’Etat belge aux affaires étrangères, Olivier Chastel, a déclaré que la Belgique s’engageait à annuler 80% de la dette publique irakienne vis-à-vis de la Belgique d’ici la fin de l’année 2008.
Un coup médiatique de plus
Le CADTM dénonce la supercherie contenue dans cette déclaration. En effet, cet engagement avait déjà été décidé dans le cadre de l’accord du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
(regroupement informel des 19 pays créanciers les plus puissants de la planète qui se réunit au sein du ministère français des finances) en novembre 2004. Cet accord a ensuite été entériné par la signature le 31 octobre 2005 d’un accord bilatéral entre les deux pays.
La mise en œuvre de l’accord du Club de Paris devait avoir lieu en deux tranches ; une première tranche de 60% accordée en 2006 (à l’exception des Etats-Unis qui ont annulé l’entièreté de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
irakienne à leur égard) ; une seconde en 2008, annulant 20% supplémentaires, ce qui porte bien le total de l’annulation à 80%. Il faut signaler que cette annulation a eu lieu sous la houlette des Etats-Unis, qui veulent que leurs multinationales profitent des possibilités fantastiques offertes par la reconstruction de l’Irak.
Rien de nouveau donc ! Cependant, la Belgique communique à ce sujet comme si elle faisait preuve là d’une générosité renouvelée qu’il fallait porter à la connaissance de l’opinion publique. Mais le CADTM n’a pas la mémoire courte ! Car le procédé n’est pas nouveau. Il y a quelques années, la Belgique avait déjà comptabilisé dans son aide publique au développement une annulation de dette vis-à-vis de la République démocratique du Congo. La Belgique avait annoncé un montant tout à fait exagéré car il ne tenait pas compte de la valeur actualisée au prix du marché d’anciennes créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). datant du régime de Mobutu (1965-1997). Alors qu’il ne s’agissait que d’un simple effacement dans ses livres de comptes, la Belgique a eu le toupet de tromper ses citoyens en leur faisant croire que son aide publique au développement faisait un bond important, alors qu’elle s’est dégonflée dès l’année suivante. Même si cela n’excuse rien, la Belgique n’est cependant pas un cas isolé.
Signalons au passage que pour l’accord du Club de Paris de novembre 2004, les chiffres de la dette irakienne ont été délibérément augmentés d’intérêts de retard alors que depuis la seconde guerre du Golfe de 1991, l’Irak ne disposait plus de son pétrole, géré par l’ONU, ni de ses avoirs à l’extérieur qui étaient bloqués (blocus qui a abouti à la mort de plus de 500 000 enfants irakiens). Alors que l’Irak subissait un embargo décidé par les principales puissances de la planète, le pays se trouvait de facto empêché de rembourser sa dette, et ces puissances n’ont eu aucun scrupule à lui réclamer les intérêts de retard associés.
Par ailleurs, l’annulation décidée au sein du Club de Paris ne porte que sur une partie de la dette bilatérale de l’Irak. La dette restante et les réparations réclamées à l’Irak par des pays de la région devraient encore se monter, selon Jubilé Irak, à 54,3 milliards de dollars, le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. représentant 163% des revenus d’exportation.
Des conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
catastrophiques...
Cette situation permet la poursuite de l’imposition des mesures néolibérales en vigueur depuis le décret 39 du 20 septembre 2003 qui a aboli l’interdiction de l’investissement étranger. Aujourd’hui, les étrangers peuvent détenir jusqu’à 100% du capital sauf pour les ressources naturelles.
Ainsi, l’annulation de dette dissimule des mesures désastreuses pour le peuple irakien : des privatisations qui bénéficient aux sociétés transnationales avec de juteux contrats et une économie parmi les plus libéralisées de la planète. Pendant ce temps, la souffrance du peuple irakien continue avec le licenciement de 500 000 fonctionnaires, représentant 8% de la population active, dont 400 000 employés des Forces armées irakiennes.
L’intervention du Fonds monétaire international
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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a contraint le gouvernement irakien à augmenter considérablement les prix des carburants dans un pays où les réserves pétrolières sont parmi les plus importantes de la planète. Une telle hausse a évidemment des répercussions sur le coût de l’alimentation, du fait du transport. Ces institutions ont également exigé la privatisation de plus de 200 entreprises d’Etat alors que le taux d’imposition des bénéfices a été abaissé de 45% à 15%. La fin des subventions aux produits alimentaires de base et des rations alimentaires subventionnées, des licenciements supplémentaires et des gels de salaires dans le secteur public ainsi que le retrait de la loi sur les retraites qui fixait le montant des pensions à 80% du dernier salaire ont fait partie des exigences de ces deux institutions.
...profitant toujours aux mêmes !
C’est la firme américaine BearingPoint, fusion des branches consulting de KPMG et d’Arthur Andersen France, crée en 2002 qui a mis en œuvre la privatisation de l’économie irakienne conjointement avec l’Agence américaine d’aide au développement (l’USAID). Comme son nom ne le dit pas, le développement dont il s’agit est bien celui des multinationales américaines qui font en Irak des bénéfices plantureux au détriment de la majeure partie de la population irakienne.
Proposer de vraies alternatives à cette conférence totalement creuse
La conférence de Stockholm n’amène rien de nouveau dans ce paysage de désolation. Sa déclaration finale se contente de rappeler à tort que le développement ne viendrait que par l’investissement étranger. Aucune mesure publique n’est préconisée pour venir en aide à la population irakienne.
Le CADTM s’indigne de cette situation et préconise l’annulation inconditionnelle de la totalité de la dette irakienne héritée de l’ère de Saddam Hussein et de sa guerre meurtrière contre l’Iran (guerre qui avait été activement soutenue par les grandes puissances). Il s’agit d’appliquer la doctrine de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
[1] qui stipule : « Si un pouvoir despotique (le régime de Saddam Hussein, NDLR) contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir » [2]. Le CADTM réclame la fin de l’ingérence étrangère et des institutions financières internationales et l’abandon des mesures néolibérales, qui condamnent la population irakienne à la misère pour permettre à quelques grandes entreprises occidentales de s’en mettre plein les poches.
[2] Alexander Sack, Les effets des transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, 1927.
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