Mondialisation
Humanité Dimanche n° 621, 9 août 2018
21 août 2018 par Michel Husson
CC - Flickr - Oxfam East Africa
Les investisseurs internationaux mettent le grappin sur les terres cultivables de la planète. Dans des pays où il n’y a pas de droits de propriété solidement établis, ces achats se traduisent pour les paysans par des expulsions pures et simples. [1]
Une grande opacité entoure les accords et il est donc difficile de mesurer l’ampleur exacte du phénomène. Les deux sources disponibles – soit la base de données Land Matrix établie par l’International Land Coalition et celle de l’ONG Grain – convergent pour estimer que la surface concernée est de l’ordre de 30 à 37 millions d’hectares (soit entre 300 000 et 370 000 km2).
Un enchevêtrement opaque des investissements
Les données de Land Matrix montrent le caractère très généralisé du phénomène. À peu près tous les pays – hormis ceux d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest – sont concernés comme « receveurs ». Mais, et c’était a priori moins évident de manière intuitive, c’est tout aussi vrai pour les pays « émetteurs ». Cela veut dire qu’il existe des investissements croisés au sein d’une même région du monde, notamment en Afrique. La carte ci-dessous montre la répartition géographique des accords.
Du côté des principaux pays investisseurs, on trouve en tête les États-Unis, avec 8,2 millions d’hectares recensés. La Chine ne vient qu’en quatrième position, après la Malaisie et Singapour. Du côté des pays « receveurs », tous les continents du Sud sont concernés, avec notamment la République démocratique du Congo, le Brésil et l’Indonésie, auxquels il faut ajouter l’Ukraine et la Russie.
Contrairement à une idée reçue, la présence des États-Unis en Afrique est supérieure à celle de la Chine : 3,7 millions d’hectares, contre 2,5 millions. Cependant, ces données ne rendent pas compte de l’enchevêtrement des investissements ni des spécialisations. C’est ce qui permet sans doute d’expliquer pourquoi le Brésil a vendu 2,4 millions d’hectares à des investisseurs étrangers, mais en détient 3 millions dans d’autre pays.
Souveraineté alimentaire remise en cause
Certains accords prévoient des investissements d’infrastructure susceptibles d’avoir des effets positifs. Mais dans la majorité des cas, comme le souligne l’International Land Coalition, « le modèle dominant d’acquisition de terres à grande échelle a mis en péril les droits et les moyens de subsistance des communautés rurales ». Rien ne permet d’« invalider l’idée qu’il s’agit de mainmise sur les terres ». Dans des pays où il n’existe pas de droits de propriété solidement établis, où les autorités locales ont un intérêt direct à passer un deal avec les multinationales, les achats de terres se traduisent souvent par des expulsions.
En 2016, une coalition internationale d’ONG a publié le rapport « Terres communes : sécuriser les droits fonciers et protéger la planète ». Il souligne que « les peuples autochtones et les communautés locales protègent la moitié des terres du globe, mais n’en possèdent formellement que 10 % ». Ce sont donc 2,5 milliards de personnes qui sont « menacées par la faim et la pauvreté si leurs droits fonciers ne sont pas protégés ». La campagne Land Rights Now appelle au doublement de la surface des terres appartenant aux communautés d’ici à 2020.
L’éviction de l’agriculture paysanne par l’agrobusiness prive les paysans de leurs ressources. Si certains trouvent un emploi d’ouvrier agricole mal payé, la majorité va grossir les rangs des sans-terre qui végètent autour des grandes villes ou bien cherchent à émigrer. Et comme une partie des terres est utilisée à des productions comme les biocarburants ou l’huile de palme, c’est l’autosuffisance alimentaire qui est remise en cause. Sans même parler des effets collatéraux sur l’accès à l’eau, détournée au profit de cultures comme celle du sucre de canne, et de l’impact sur l’environnement.
Le seul point positif est que les mouvements sociaux et les campagnes de soutien ont quelque peu freiné le développement du phénomène et contribué à porter le problème sur la place publique. Enfin, la question concerne aussi un pays comme la France. Une loi contre l’accaparement des terres agricoles a été en partie invalidée par le Conseil constitutionnel sous prétexte qu’elle portait « une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ». Un bon résumé !
Source : L’Humanité Dimanche et Blog de Michel Husson
statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm
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