26 novembre 2018 par Eric Toussaint
Salle plénière du parlement lors d’un vote en 2012 (CC Wikipedia)
Nous publions le compte-rendu de la comparution d’Eric Toussaint au Parlement de la communauté autonome des Îles Baléares devant la commission non permanente d’audit de la dette publique. C’est la deuxième fois au cours de l’année 2018 qu’Eric Toussaint est invité par un parlement d’une communauté autonome de l’État espagnol qui en compte 17. Chaque communauté dispose d’un parlement. En janvier 2018, c’est le parlement de la communauté autonome de Navarre qui avait invité le représentant du CADTM (voir également cet article). Les communautés autonomes ploient sous le fardeau de la dette tout comme les municipalités et l’État central. A plusieurs endroits, des forces de gauche qui ont été élues dans des parlements et dans des conseils municipaux expriment la volonté d’auditer les dettes publiques afin de rompre le cercle infernal de l’austérité. Un front contre l’austérité et les dettes illégitimes s’est constitué à partir de novembre 2016 et tente de contribuer à la lutte. L’action contre les dettes illégitimes est très importante également au niveau des communautés autonomes.
Compte-rendu de la séance du parlement des Îles Baléares au cours de laquelle est intervenu Eric Toussaint afin de présenter l’audit des dettes illégitimes
Le vendredi 23 novembre 2018, j’étais invité par le parlement des Îles Baléares. Les Îles Baléares constituent une communauté autonome qui a une population de 1,1 million d’habitants. J’étais invité par le président du parlement afin de présenter mon point de vue sur l’audit des dettes publiques illégitimes devant la commission parlementaire non permanente pour l’audit de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
.
Cette commission mise en place à la demande du groupe parlementaire de Podemos est soutenue par les 2 partis de la majorité qui forment le gouvernement actuel (le parti socialiste, PSOE et Mes, Més per Mallorca). Podemos (=PODEM en catalan) soutient le gouvernement sans en faire partie.
La commission non permanente a commencé ses travaux en janvier 2018 et ses activités se termineront l’année prochaine quand auront lieu de nouvelles élections pour renouveler le parlement des Îles Baléares. On verra ce que le nouveau parlement fera quand il se mettra en place au deuxième semestre 2019.
Dans cet article en espagnol, Laura Camargo députée Podemos et le jeune économiste Facund Fora Alcalde expliquaient il y a quelques mois pourquoi il est nécessaire de réaliser un audit de la dette des Iles Baléares.
Au sein du parlement, le Parti Populaire et la droite autonomiste se sont opposés à la création de la commission en expliquant qu’il était inutile de prévoir un nouvel audit de la dette car la Cour des Comptes (Tribunal de Cuentas en espagnol ou Sindicatura de Comptes en catalan) s’était déjà chargé de cela.
Depuis sa mise en place, avant de me recevoir, cette commission a invité d’autres personnes ressources à présenter leur point de vue :
J’ai expliqué pendant 25 minutes quels étaient les différents types d’audit possibles, j’ai expliqué la doctrine de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, j’ai montré la différence entre dette illégale
Dette illégale
Les dettes illégales sont les dettes qui ont été contractées en violation des procédures légales en vigueur (par exemple en contournant les procédures parlementaires), celles qui ont été marquées par une faute grave du créancier (par exemple par recours à la corruption, à la menace ou à la coercition) ou issues de prêts assortis de conditions violant le droit national (du pays débiteur ou créancier) et/ou international, dont les principes généraux du droit.
et dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
. J’ai souligné l’importance vitale de la participation citoyenne. J’ai argumenté en faveur de la suspension du paiement ou de la répudiation de dettes identifiées comme illégitimes ou/et odieuses. Je me suis référé aux expériences de l’Équateur, de l’Islande et de la Grèce.
Étaient présents à mes côtés à la tribune Aitor MORRÁS I ALZUGARAY, président du groupe parlementaire de Podemos - Îles Baléares, qui présidait les travaux et qui était assisté d’Antonio GÓMEZ I PÉREZ, vice-président du groupe parlementaire du Parti Populaire (PP) et de Juli DALMAU I DE MATA, secrétaire du groupe socialiste. Il y avait également un conseiller juridique du parlement.
Á la fin de mon exposé introductif, chaque groupe parlementaire avait 5 minutes pour me poser des questions ou exprimer des commentaires. Ont pris la parole, successivement : Antoni CAMPS I CASASNOVAS, du Parti Populaire ; Laura CAMARGO I FERNÁNDEZ, de Podemos - Îles Baléares ; Gabriel BARCELÓ I MILTA, du groupe Més per Mallorca (nationalistes de gauche) ; Damià BORRÀS I BARBER, du Parti Socialiste ; Antònia SUREDA I MARTÍ, du groupe régionaliste de droite Proposta per les Illes ; et finalement Montserrat SEIJAS I PATIÑO, d’un groupe parlementaire mixte qui comprend des indépendants et Ciudadanos.
Le représentant du Parti populaire, qui a gouverné les Iles Baléares pendant une période prolongée et qui est largement responsable de l’endettement partiellement illégitime, a répété qu’il était totalement opposé à cette commission et a déclaré que le coût de son fonctionnement constituait une dette odieuse (sic), y compris le coût du remboursement de mon billet d’avion et de mon séjour.
La représentante de la droite régionaliste, Antònia SUREDA I MARTÍ, Grupo Proposta per les Illes, a également exprimé son opposition aux travaux de la commission et a déclaré que la Sindicatura de Comptes (cour des Comptes) avait déjà audité les comptes de la communauté des Baléares et que la justice avait également fait son devoir. Tout serait donc en ordre et il n’y aurait aucun besoin de procéder à un nouvel audit.
Les autres partis sont intervenus pour soutenir les travaux de la commission et pour prolonger mon introduction.
Ensuite, j’ai répondu pendant une douzaine de minutes en expliquant que le coût de ma participation à la commission pour le parlement s’élevait au total à environ 170 euros (85 euros pour le billet d’avion aller simple en classe économique Bruxelles-Palma et 85 euros pour une nuit à l’hôtel avec petit-déjeuner). Podemos paiera mon voyage de retour qui s’élève également à 85 euros. Ensuite, ce qui est beaucoup plus important, j’ai donné des exemples supplémentaires de ce que pouvaient représenter des dettes illégitimes dans le cas des Iles Baléares.
Voici la traduction d’un large extrait du communiqué de presse publié par Podemos :
ÉRIC TOUSSAINT invité par la commission d’audit de la dette du parlement des ÎLES BALÉARES
Podemos
« Un audit de la dette peut générer d’importantes économies pour le budget de la région », a déclaré le porte-parole et fondateur du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), qui cette semaine était invité à une nouvelle session de la commission sur l’audit de la dette régionale. Éric Toussaint a participé à des audits de la dette à l’échelle internationale, notamment dans le cas des audits de la dette en Grèce (2015), en Équateur (2007-2008) et au Paraguay (2008-2009).
Lors de son discours, Éric Toussaint a précisé clairement l’importance de la participation citoyenne dans l’audit de la dette et a affirmé qu’il s’agissait d’une démarche différente de celle effectuée régulièrement par la Cour des Comptes. L’Audit Citoyen de la Dette analyse non seulement le volume de la dette, les taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
pratiqués ou avec qui elle a été contractée, mais aussi quel a été l’impact de la dette sur les conditions de vie de la population et sur l’environnement. Éric Toussaint a très bien illustré comment les grands travaux publics inutiles qui ont généré en partie la dette actuelle ont affecté la vie des gens et le reste des politiques publiques. « Si on démontre qu’un projet financé par la dette est allé à l’encontre de l’intérêt général et/ou qu’il a été surfacturé, la dette concernant ce projet peut être déclarée illégitime, toujours dans le cadre d’un débat public », a-t-il déclaré. « Cela vaut la peine d’être réalisé, car des dizaines de millions d’euros dépensés de manière illégitime affectent les conditions de vie de la majorité de la population », a-t-il insisté. « Il est essentiel de stimuler la participation active des citoyens et citoyennes au débat sur l’utilisation des finances publiques et promouvoir ainsi la transparence des comptes publics, car ce sont ceux d’en bas qui paient la plus grande partie de la dette avec leurs impôts. Il faut agir pour montrer qu’il existe une volonté améliorer le bien-être de la de la majorité de la population », a déclaré Toussaint ; « C’est le défi d’un audit impliquant la participation des citoyens ». « Un audit peut générer d’importantes économies budgétaires pour la communauté autonome », a déclaré l’expert.
La porte-parole de Podemos, Laura Camargo, a remercié Toussaint pour sa contribution à la commission. La porte-parole a souligné la nécessité d’un audit public, qui est l’un des engagements pris avec les citoyens des Accords de gouvernabilité de la région, la feuille de route du pacte dans cette législature, afin de savoir non seulement comment la dette de près de 9 000 millions d’euros a été générée, mais aussi pour mettre fin à la kleptocratie qui a dominé dans le passé au niveau de la région notamment grâce à des travaux publics de taille pharaonique.
La commission d’audit de la dette demandera par la suite à l’Office de Lutte contre la Corruption de recruter une coopérative spécialisée dans les audits citoyens de la dette et des politiques publiques afin de réaliser une étude rigoureuse. Il est prévu de réaliser une analyse de la dette et des investissements publics, ainsi qu’une étude du processus d’accumulation de la dette, de son origine, de ses résultats et impacts, afin de mettre en place les instruments et les politiques nécessaires pour garantir que la dette ne soit jamais plus un outil contre la majorité sociale.
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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