13 juillet 2009 par Laeticia Somé
En juin 2009, pour la troisième fois depuis le début de l’année, une équipe du FMI s’est rendue au Zimbabwe pour évaluer les politiques économiques du gouvernement. Or, ce rôle d’évaluateur est illégitime vu les dommages causés par les Institutions financières internationales (IFI) à la population zimbabwéenne. En effet, l’appauvrissement du Zimbabwe est dû non seulement à la gestion désastreuse du régime de Mugabe mais aussi à la pression exercée par les IFI. En 2005, Mugabe sacrifiait les besoins humains fondamentaux de la population au profit du remboursement de la dette : 295 millions de dollars d’arriérés au FMI et 1 milliard de dollars aux autres bailleurs pour les attirer à nouveau après leur départ du Zimbabwe en 2000. A cela s’ajoute la crise alimentaire qui frappe le Zimbabwe depuis 2002 [1].
La réforme agraire qui est considérée comme un élément clé d’une politique de lutte contre la pauvreté s’est révélée un échec au Zimbabwe, aussi bien celle menée après son indépendance que celle de 2000. En cause, les accords de Lancaster House signés avec l’ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni, au moment de l’indépendance du Zimbabwe en 1980, qui ont imposé un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
de dix ans sur le règlement de la réforme agraire, bloquant ainsi une redistribution juste des terres accaparées par les fermiers blancs. En 1990, lorsque le régime de Mugabe put entreprendre cette réforme, il dû emprunter et signer un Plan d’ajustement structurel
Plan d'ajustement structurel
En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante.
(PAS) imposé par les IFI. Les salaires furent alors dérégulés, les entreprises publiques privatisées et leur personnel licencié, le budget de l’Etat raboté, la gratuité des soins de santé et de l’accès à l’enseignement abolie [2]. La seconde reforme agraire de 2000 fut aussi un échec car la redistribution de la quasi-totalité des fermes commerciales, soit 8,3 millions d’hectares sur un total de 11 millions, ne s’est malheureusement pas accompagnée d’une réduction des inégalités sociales. En effet, les bénéficiaires ne sont pas des cultivateurs en manque de terres cultivables mais des vétérans de la guerre de libération, ou supposés tels, qui apparaissent plutôt comme des commandos téléguidés par le régime.
La mauvaise orientation de cette réforme agraire, l’importation minime des denrées essentielles et la flambée des prix plongent alors le Zimbabwe dans une crise alimentaire sans précédent entraînant par la même occasion une épidémie de choléra. Cette crise a connu un point critique en 2008 avec près de 7 millions de la population zimbabwéenne survivant avec l’aide humanitaire (soit 60 % de la population). Le choléra, quant à lui, a fait 4000 décès entre août 2008 et mars 2009 et 90 000 personnes infectées.
Toutes ces souffrances subies par la population zimbabwéenne témoignent de la précarité de la situation et de l’impossibilité pour le Zimbabwe de subvenir aux besoins de sa population. Malgré les aides en nature (assistance technique, aide humanitaire), le Zimbabwe a surtout besoin d’aide financière pour satisfaire les besoins humains fondamentaux de sa population. Or, cette aide financière cruciale pour le Zimbabwe est actuellement conditionnée par la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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au paiement des arriérés de dettes. Ce qui est inacceptable quand on sait que ces dettes, contractées par le dictateur Mugabe avec la complicité des bailleurs de fonds comme la Banque mondiale et le FMI, n’ont pas profité à la population qui doit se saigner aux quatre veines pour les rembourser ! Comment peut-on exiger d’un pays déjà à genoux de payer les arriérés [3] de sa dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
, si ce n’est en opprimant davantage sa population par le biais des ajustements structurels ? Les programmes d’ajustement structurel imposent la privatisation d’entreprises publiques et la réduction des budgets de l’Etat dans les domaines vitaux comme la santé, l’éducation ; interdisent les subventions pour les produits de première nécessité, gèlent les salaires des fonctionnaires. Or, dans le passé, ces mesures impopulaires ont déjà largement témoigné de leur échec.
Le nouveau gouvernement inclusif mis en place depuis février 2009 avec à sa tête Morgan Tsvangirai [4], a accompli quelques avancées. L’épidémie de choléra a été contenue et la suspension de la monnaie nationale dans les transactions a permis de maîtriser une hyperinflation devenue incalculable avec un point culminant de 500 milliards % en septembre 2008 [5] ! Les rayons des supermarchés ne sont plus aussi vides qu’avant même si l’essentiel des denrées alimentaires proposées restent inaccessibles pour la majorité des Zimbabwéens. Enfin, les écoles et les hôpitaux ont rouvert.
La tournée internationale du chef de gouvernement zimbabwéen au mois de juin 2009 s’est soldée une fois de plus par des conditionnalités
Conditionnalités
Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt.
à une éventuelle aide directe au Zimbabwe. En effet, à Paris, Morgan Tsvangirai a écouté la même musique qu’à Washington, Berlin, Bruxelles ou Londres : « Effectuez les réformes promises de l’appareil sécuritaire, rétablissez l’Etat de droit, mettez un terme aux violations des droits de l’Homme et nous reprendrons l’aide directe » [6]. Certains Etats comme les USA et le Royaume-Uni ont annoncé l’octroi d’aide indirecte (via les ONG) pour se donner une bonne image. La France, quant à elle a annoncé une renégociation de la dette dans le cadre du Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
. Ces conditionnalités de démocratie et ces « aides » servent simplement à faire distraction sur leur politique rapace qui est de pousser les Etats africains à rembourser leurs dettes. En mai 2009, le gouvernement Zimbabwéen a cédé à la pression de ses créanciers en s’engageant à payer les arriérés de sa dette envers le FMI à hauteur de 100 000 dollars par trimestre. Or, cette solution n’est absolument pas durable pour le Zimbabwe pris dans la spirale infernale de la dette.
Dès lors, une étape indispensable pour sortir de cette crise serait pour le gouvernement du Zimbabwe de mener un audit de la dette pour fonder le non-remboursement de toutes les dettes odieuses et illégitimes. Rappelons que l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de respecter les droits humains de sa population prime sur les obligations financières des Etats [7].
[1] En 1999, du fait de pluies excessives et de pénuries d’intrants, le Zimbabwe a eu une récolte céréalière inférieure à la moyenne, de l’ordre de 2 millions de tonnes ; ce qui était loin de correspondre aux besoins de consommation.
[2] Colette Braeckman, « Bataille pour la terre au Zimbabwe », archives Monde Diplomatique Mai 2002. http://www.monde-diplomatique.fr/2002/05/BRAECKMAN/16432
[3] Au 31 avril, le Zimbabwe devait 438 millions de dollar à la BAD. Au 31 mai il devait respectivement 138 millions et 675 millions de dollar au FMI et à la BM selon l’article du Sénateur Obert GUTU sur africa.com « Economy in transition dialogue Conference : Towards a subtainable public Debt for Zimbabwe ».
[4] Actuel Premier Ministre du Zimbabwe et fondateur du parti politique « Mouvement pour le Changement Démocratique (MDC) »
[5] http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/AFRICAINFRENCHEXT/0,,contentMDK:21422333~pagePK:146736~piPK:146830~theSitePK:488775,00.html
[6] Extrait de l’article « Morgan Tsvangirai à Paris » publié par RFI le 23 juin 2009, http://www.rfi.fr/actufr/articles/114/article_82120.asp