Contrairement aux affirmations de Adnen Mansar, la Belgique n’a pas décidé la conversion ou l’annulation de la dette tunisienne. La question est encore en discussion.
Début avril dernier, le président provisoire de la république Moncef Marzouki a profité de sa participation aux travaux du 4e Sommet Union Européenne-Afrique à Bruxelles pour demander au gouvernement belge d’annuler les dettes tunisiennes ou de les convertir en projets d’investissement.
L’effet d’annonce
A l’issue d’une conférence de presse, tenue le 5 avril, le porte-parole de la présidence de la république a assuré que les milieux officiels en Belgique avaient accepté la demande du président provisoire de la république de convertir les dettes de la Tunisie envers la Belgique en projets de développement. C’est une demi-vérité ou, plutôt, un demi-mensonge. Pour redorer l’image de son patron...
Contacté par Kapitalis, Christopher Barzal porte-parole du ministre belge de la Coopération au développement nuance (c’est un euphémisme) cette annonce. « L’accord de principe est toujours en discussion. Il faut une coordination de trois ministères belges : le ministère des Affaires étrangères, le ministère des Finances et celui de la Coopération au développement. Nous espérons arriver à un accord de principe avant le 25 mai, c’est-à-dire avant les prochaines élections en Belgique. Si cet accord est conclu avant cette date, la responsabilité de l’appliquer incombera au prochain gouvernement (issu des élections en préparation NDLR) qui pourra aussi décider de ne pas l’appliquer. Il y a un consensus de la coalition actuelle sur la question mais tout dépendra des résultats des élections ».
En février dernier, lors d’une visite du président de l’Assemblée nationale constituante (ANC) Mustapha Ben Jaafar à Bruxelles, le journal télévisé de la chaîne Watania 1 a annoncé, dans une séquence reprise par la page officielle du président de l’Assemblée, un accord sur la question de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
tunisienne envers la Belgique. Or, une source officielle du gouvernement belge a, à l’époque, précisé à Kapitalis que la question avait été évoquée lors de la rencontre entre le Premier ministre belge Elio Di Rupo et le président de l’ANC, mais qu’il n’y avait toujours pas d’accord à ce sujet.
Une question toujours pendante
La question de la dette tunisienne envers la Belgique est donc toujours pendante et reste en grande partie tributaire des résultats des prochaines élections en Belgique.
En juillet 2011, le Sénat belge avait adopté une résolution prévoyant un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
sur le remboursement de la dette bilatérale de la Tunisie envers la Belgique, y compris les intérêts, ainsi que d’un audit permettant d’examiner plus en détail les aspects qui relèveraient de la définition de la « dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
» pour envisager une annulation de celle-ci.
Cette lenteur dans le processus d’annulation de la dette tunisienne par la Belgique n’a pas manqué de faire réagir plusieurs acteurs de la société civile en Belgique à l’instar de Renaud Vivien, secrétaire général du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM Belgique).
Dans une lettre, en janvier dernier, adressée au ministre belge des Finances Koen Geens, au sujet du paiement de la dette tunisienne, Renaud Vivien précisait qu’en attendant une éventuelle annulation de cette dette, il était « indispensable, compte tenu de la gravité de la crise en Tunisie, de suspendre le paiement de la dette tunisienne pendant la durée de réalisation de l’audit afin de donner la priorité aux besoins de la population, comme le demande la résolution du Sénat ».
Notons, par ailleurs, que la coopération belge au développement se concentre sur une liste de 18 pays dont ne fait pas partie la Tunisie. L’Algérie, le Maroc et la Palestine bénéficient de cette coopération étroite du gouvernement belge.
Malgré cette situation, Christopher Barzalse se veut rassurant : « Certes, la Tunisie n’est pas un pays prioritaire de la coopération belge au développement mais l’aide de la Belgique reste tout de même importante ».