La Belgique ouvre la voie à la taxe Tobin-Spahn

6 juillet 2004 par Benito Pérez




FINANCE - La taxe sur les mouvements de capitaux votée jeudi par la Chambre belge des représentants n’entrera en fonction que si les douze pays de l’eurozone l’adoptent.

« Historique », « rôle pionnier », « signal fort » ... Les mouvements altermondialistes belges n’ont pas lésiné sur les qualificatifs, vendredi passé, pour qualifier le vote intervenu à la Chambre basse du Parlement belge. La veille au soir, en effet, il s’est trouvé une majorité alternative de socialistes, sociaux-chrétiens et Verts pour doter la Belgique d’une taxe « Tobin-Spahn ». Inspiré des travaux des économistes Bernd Spahn et James Tobin, ce mécanisme doit permettre de freiner la spéculation financière et de financer l’aide au développement grâce à un prélèvement sur les mouvements de capitaux sur le marché des changes Marché des changes Marché sur lequel s’échangent et sont cotées les devises. . Bémol de taille, cependant, le texte n’entrera en vigueur que lorsque les douze Etats de la zone euro disposeront de ce même dispositif. Sans impact immédiat, le vote belge marque surtout l’ouverture d’un nouveau cycle prometteur. Depuis le 1erjuillet 2004, les partisans européens d’un contrôle des marchés financiers disposent d’une législation complète -clé en main- à défendre auprès de leurs décideurs nationaux. Car avant même d’être ratifié par le Sénat, le texte belge est devenu une « référence », se réjouit le réseau « Action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
contre la spéculation financière » dans un communiqué. Cette coalition [1] d’une cinquantaine de mouvements, qui mènent depuis cinq ans un intense lobbying à Bruxelles, affirme que la future loi a déjà été traduite en moult idiomes et qu’elle circule dans les travées de plusieurs autres Parlements européens.

Motif d’optimisme supplémentaire : les longs débats en commission -débutés en 2000- ont aussi permis de bousculer les « arguments techniques » très souvent opposés à la taxe Tobin Taxe Tobin Taxe sur les transactions de change (toutes les conversions de monnaie), proposée à l’origine en 1972 par l’économiste américain James Tobin pour stabiliser le système financier international. L’idée a été reprise par l’association ATTAC et par d’autres mouvements altermondialistes dont le CADTM, dans le but de diminuer la spéculation financière (de l’ordre de 1.200 milliards de dollars par jour en 2002) et de redistribuer le bénéfice de cette taxe aux plus démunis. Les spéculateurs internationaux qui passent leur temps à changer des dollars en yens, puis en euros, puis en dollars, etc., parce qu’ils estiment que telle monnaie va s’apprécier et telle autre se déprécier, devront payer une taxe minime, entre 0,1 % et 1 %, sur chaque transaction. Selon ATTAC, elle pourrait rapporter au moins 100 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Qualifiée d’irréaliste par les classes dirigeantes pour justifier leur refus de la mettre en place, l’analyse méticuleuse de la finance mondialisée menée par ATTAC et d’autres a au contraire prouvé la simplicité et la pertinence de cette taxe. . Même le ministre libéral des Finances, Didier Reynders, a fini par admettre qu’une telle disposition serait praticable à défaut, selon lui, d’être souhaitable. Son groupe s’est abstenu lors du vote parlementaire.

Taux variable

Concrètement, la loi instaure une taxe de 0,01 ou 0,02% sur les transactions de plus de 10000 euros. Mais si les taux de change venaient à varier brutalement, la niveau de la taxe serait provisoirement augmenté à 80%, dissuadant du coup toute attaque contre une monnaie.

Outre ce « rôle correctif par rapport aux comportements spéculatifs excessifs », la taxe Tobin-Spahn permet enfin d’atteindre une « masse financière qui échappe pour le moment à l’impôt et qui prend une place considérable dans l’économie », note le communiqué de victoire diffusé par le Parti socialiste wallon.

Selon les partisans de la nouvelle loi, ce prélèvement -malgré sa modestie- pourrait à l’échelle de l’Union européenne rapporter près de 50milliards d’euros par an. Le texte adopté à Bruxelles attribue cette manne à « la coopération au développement, à la lutte contre l’injustice sociale et écologique et à la préservation des biens publics internationaux ».

Fiscalité internationale

Réagissant au vote des députés, « Action contre la spéculation financière » n’a pas hésité à le qualifier d’« historique », l’Etat belge étant le premier au monde à se doter d’une taxe antispéculation opérationnelle [2]. Plus largement, le réseau estime que le Parlement belge a « ouvert la voie à une fiscalité internationale » qui doit « répondre à la mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
de la finance ». « Tout comme pour le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, la Belgique peut, une fois de plus, se targuer de jouer un rôle moteur au sein de l’Union européenne », exulte la coalition.

Quant aux socialistes wallons, ils voient dans ce vote un « signal fort » lancé « aux autres Parlements nationaux de l’Union européenne qui veulent aussi humaniser la mondialisation et la finance mondiale ».

Responsabilité belge

Pour la suite, les partisans de la taxe espèrent que l’Exécutif belge prendra ses responsabilités et plaidera les vertus de la régulation des marchés financiers auprès de ses homologues européens et dans les instances internationales. Le ministre des Finances s’est en tout cas engagé à transmettre le texte à la Banque centrale Banque centrale La banque centrale d’un pays gère la politique monétaire et détient le monopole de l’émission de la monnaie nationale. C’est auprès d’elle que les banques commerciales sont contraintes de s’approvisionner en monnaie, selon un prix d’approvisionnement déterminé par les taux directeurs de la banque centrale. européenne et à « informer » ses collègues l’Union.


Source : Le Courrier, Genève.

Notes

[2La France a adopté en 2001 une modification à son budget prévoyant l’instauration d’une telle taxe. Quant au Parlement canadien, il s’est prononcé en faveur du principe d’une taxe Tobin en 1999. Mais aucune législation formelle n’avait encore été édictée.

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