Jour 2 : La Commission pour la vérité sur la dette grecque fait sa rentrée !
24 septembre 2015 par Emilie Paumard
Avant les auditions du jeudi 24 septembre au cours desquelles seront entendus le secrétaire d’État à la défense du gouvernement Tsipras I et le réseau de citoyens contre les suicides, cette première journée publique de la commission a été l’occasion pour ses membres de présenter l’état d’avancement des travaux et d’apporter leurs lectures sur l’évolution du contexte en Grèce et dans le monde vis-à-vis des dettes souveraines. Que ce soit parmi les journalistes présents, les membres des délégations de la société civile [1] et les citoyens et citoyennes grec-que-s qui pouvaient suivre l’ensemble des présentations en direct sur la chaîne parlementaire, nombreuses [2] sont celles à avoir pu entendre hier que le combat contre les dettes illégitimes est loin d’être fini !
C’est plus que jamais déterminée que Zoé Konstantopoulou a ouvert cette journée publique de la Commission pour la vérité sur la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique grecque. Rappelant le caractère inédit d’une telle initiative sur le continent européen, la présidente de la Vouli a tenu à souligner la pertinence de cette commission qui :« a fait peur à ceux qui connaissent très bien la vérité car ils savent que lorsqu’on la cherche on la trouve. » Elle a ainsi invité toutes les énergies et notamment la jeunesse grecque et européenne à être porteur de cette vérité :« pour que la justice soit faite et pour que les citoyens ne se sentent pas coupables pour des choix qui n’étaient pas les leurs. »
Fort de ce discours combatif et face à un public manifestement enthousiaste et réceptif à l’impulsion donnée par la présidente du parlement, Eric Toussaint a énuméré les nombreux [3] impacts des travaux de la commission au cours des dernières semaines. Il a notamment mentionné l’importance de l’appel international de soutien à la Grèce qui résiste [4] qui a réuni la signature de plus 24 000 personnalités. Le fait de réunir sous un même message tant de sommités aux horizons géographiques, thématiques et idéologiques multiples prouve une fois de plus que l’asservissement du peuple grec à la dette représente un enjeu crucial de notre époque. Le coordinateur scientifique a également tenu à souligner qu’au-delà de la société civile le travail de la commission a un impact sur les représentants politiques puisqu’il a été ou sera présenté au parlement européen ainsi que dans plusieurs instances onusiennes. Enfin, monsieur Toussaint a rappelé que la commission est en contact étroit avec toutes les initiatives d’audit existantes et notamment celle impulsée par le parlement argentin qui rendra ses travaux dans un mois et demi.
Il a par ailleurs insisté sur l’importance du cas argentin, car c’est ce pays qui a été à l’initiative d’une importante résolution approuvée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 septembre dernier [5]. Cette résolution qui a pour objectif de créer un cadre juridique international pour la restructuration des dettes d’États et qui se base sur neuf principes reconnus par le droit international (impartialité, transparence, bonne foi, traitement équitable, immunité souveraine, légitimité, durabilité, application de la règle majoritaire, souveraineté) a d’ailleurs été commentée par de nombreux-euses intervenant-e-s. En effet les conditions dans lesquelles elle a été adoptée et les pays qui l’ont approuvée ou pas, nous en apprennent beaucoup sur les (non) liens entre dette et démocratie pour la Grèce comme pour les autres pays de la planète.
C’est d’abord ce « qui » qui pose question. Car si la résolution a été approuvée par une très large majorité (136 voix pour, 6 contre et 41 abstentions), l’identité et les raisons de ceux qui ne l’ont pas adoptée sont interpellantes. Parmi eux on retrouve notamment, les États-Unis, les pays de l’Union européenne et le groupe JUSCANZ [6]. Ces pays justifient leur vote en avançant que l’ONU ne serait pas le cadre approprié pour aborder la question des restructurations de dettes souveraines et qu’il revient au Club de Paris
Club de Paris
Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.
Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.
Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
et au FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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de gérer ces questions. Face à cet argument, l’ancien expert sur la dette de l’ONU, monsieur Cephas Lumina a apporté des réponses très claires lors de son allocution ! Le fameux Club de Paris ne disposant d’aucun cadre juridique, ne revêt d’aucune légitimité. Quant à l’institution de Bretton Woods, il interrogea l’assemblée :« Qui peut contester que dans la majorité des prêts le FMI se trouve à la fois être juge et partie ? »
Quant au « comment », une série de témoignages ont apporté hier des éléments qui en disent long sur l’état de nos démocraties européennes. Ainsi Zoé Konstantopoulou a rapporté avoir rencontré la représentante permanente de la Grèce à l’ONU à l’occasion de l’assemblée des présidents de parlements à New York le 2 septembre dernier [7]. Surprise d’apprendre que cette dernière n’avait reçu aucune consigne de vote quant à l’adoption de la résolution, elle interpella le ministère des affaires étrangères dès son retour. Monsieur Nikos Kotzias a indiqué alors à la présidente du parlement qu’il avait donné l’instruction de s’abstenir sur ce vote. Mais au lendemain de l’adoption de la résolution coup de théâtre, ce dernier affirme pourtant publiquement avoir donné l’instruction de voter « oui » et donc s’étonne devant l’abstention grecque. Face à ces événements troublants et pour faire toute la transparence, la commission s’est engagée à demander officiellement la preuve écrite de l’instruction du ministre.
Au-delà de ces faits, Zoé Konstantopoulou s’est dite extrêmement surprise qu’il y ait pu avoir ne serait-ce qu’un doute sur la position à adopter. Prenant en compte que l’ensemble des principes contenus dans cette résolution onusienne ont été violés dans le cas de la Grèce, il paraît en effet déconcertant de ne pas se prononcer en faveur d’un texte qui va dans le sens des intérêts de son peuple. La prise de parole de l’ancien expert de l’ONU sur la dette a permis de mieux comprendre quelle pression s’est exercée sur la Grèce et sur d’autres pays européens pour qu’ils se plient à cette position. Muni du document officiel du conseil de l’Union européenne qui invite à l’abstention sur la résolution, Cephas Lumina fait la lecture :« Un vote non unifié entre les différents États membres [de l’Union européenne] saperait les efforts entrepris jusqu’ici pour établir et maintenir une position commune sur ce sujet très sensible, qui est d’une importance capitale pour l’UE a fortiori dans le contexte actuel » [8]. Et le professeur de droit de s’interroger devant l’assemblée : « Ce document est troublant ! Il s’agit d’un groupe qui indique à une série de pays qu’ils doivent suivre la démocratie. Mais comment s’exerce cette démocratie ? »
Une question cruciale, qui est précisément au centre de toutes les dynamiques d’audit actuellement en cours en Europe. C’est d’ailleurs ce que nous ont donné à voir les deux dernières interventions qui ont présenté les dynamiques d’audits français et espagnol. Sergi Cutillas nous rapportait ainsi les propos du maire de Cadiz nouvellement engagé dans un audit municipal et qui affirme dans un courrier envoyé au Comité d’audit grec que « l’audit est clé pour permettre aux citoyens de relever toutes les irrégularités qui ont pu porter préjudice à l’équilibre des comptes publics, à l’intérêt général et à celui des classes populaires en particulier ». Des propos qui ont fait échos à ceux de Patrick Saurin, un des principaux animateurs du Comité d’audit français qui concluait la journée par ces mots : « Toute initiative d’audit est salutaire car il s’agit d’un acte d’auto-défense citoyenne contre une menace qui se propage de façon sourde : la menace de la dette illégitime, illégale, odieuse et insoutenable. Mais au-delà de ça il s’agit d’un geste pour la démocratie, pour la justice et pour la solidarité entre les peuples. »
Pour la suite des sessions d’auto-défense des peuples rendez-vous demain au parlement grec ou dans tout bon comité d’audit près de chez vous !
[1] notamment des délégations de la Via Campesina, d’ATTAC France et du comité pour les réparations allemandes
[2] prise de liberté sur nos règles grammaticales qui peuvent et doivent être interrogées sous le prisme des rapports sociaux de sexe !
[3] une partie de ces impacts ont été présentés dans le compte rendu de la première journée de réunion interne du comité voir : http://cadtm.org/La-Commission-pour-la-verite-sur
[6] Japon, USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande
[7] assemblée au cours de laquelle elle a notamment présenté le travail de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque. Voir son discours : http://cadtm.org/Zoe-Konstantopoulou-a-l-ONU-La
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