La Grèce a besoin d’une réelle annulation d’une grande partie de la dette

2 février 2015 par Eric Toussaint , Christina Vasilaki


Interview d’Eric Toussaint par Christina Vasilaki de la radio stoKokkino
de SYRIZA



Christina Vasilaki : Quel est le règlement européen sur lequel pourrait se baser la demande de Syriza d’un audit de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
 ?

Eric Toussaint : En mai 2013 le parlement européen et la Commission ont adopté un règlement concernant tous les pays qui signent un Memorandum – comme c’est le cas de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal et de Chypre. L’article 7 de ce règlement stipule que les gouvernements doivent conduire un audit complet de la dette contractée par le pays afin d’identifier d’éventuelles irrégularités. Cet article 7 du règlement permet à un gouvernement mené par SYRIZA de créer, immédiatement, une telle commission.


CV : Un tel audit, que pourrait-il révéler ?

ET : Pour moi il est très clair que la dette contractée par la Grèce auprès de la Troïka, qui représente 80 % de la dette grecque actuellement, est clairement illégitime parce que la Troïka a imposé à la Grèce des politiques qui ont détruit une partie de l’économie de la Grèce et ont détruit les droits sociaux et économiques de la population.


CV : Croyez-vous qu’il est nécessaire d’abolir la dette grecque ? Et quel en serait le résultat en ce concerne l’accès aux marchés internationaux à long terme ?

ET : Comme vous le savez on a vu plus de 600 restructurations de dettes depuis 1950. Beaucoup de pays ont suspendu le remboursement de leur dette. En ce qui concerne la Grèce, si la Grèce réussit à imposer une annulation majeure de sa dette, ce qui est totalement possible, je pense qu’il n’y aura pas de réel problème, après quelques années, pour que la Grèce fasse de nouveau appel aux marchés si elle en a besoin. Mais on pourrait également imaginer une façon alternative de financer le développement grec – la réforme fiscale, la réduction des impôts payés par les plus pauvres et l’augmentation des impôts payés par le 1 % le plus riche de la population et les grandes entreprises privées pourrait permettre au gouvernement de générer suffisamment d’argent pour éviter d’avoir recours aux marchés et de contracter de nouvelles dettes.


CV : La prorogation de la maturité des prêts et la réduction des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
ne pourrait pas être une solution alternative ?

ET : La Grèce a besoin d’une réelle annulation d’une grande partie de la dette. Et pour la partie de la dette qui ne serait pas annulée, abolie, une diminution des taux d’intérêt et une prorogation de la maturité du paiement sont nécessaires aussi, je pense. Mais il ne faut pas voir cela comme une alternative à l’annulation. C’est complémentaire à l’annulation. Les deux sont nécessaires.

Source

Traduit de l’anglais par Snake Arbusto


Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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