Interview de Pascal Franchet au quotidien grec (le plus important) Eleftherotypia (13 Aout 2010)
On se trouve face à une crise de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
qui frappe les pays les plus faibles de la zone euro. A quoi ceci est-il dû ?
Ce n’est pas dû au hasard, si après l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie et l’Islande, la crise de la dette frappe aujourd’hui les pays les plus faibles de la zone euro dont la Grèce. Cette situation est intimement liée à la nature de l’Union Européenne et à l’impasse du capitalisme pour sortir de la crise globale mondiale.
La construction de l’UE s’est faite au profit de la France et de l’Allemagne qui ont décidé les critères « du pacte de stabilité » (sans les respecter eux-mêmes) au détriment de la périphérie sud de l’eurozone devenue le « maillon faible » de cette union.
L’Union monétaire et les traités constitutionnels ont bridé les politiques budgétaires et abolit l’indépendance monétaire des états.
La fiscalité des entreprises et des ménages fortunés a été réduite à sa plus simple expression, générant des déficits publics considérables, eux-mêmes à l’origine de l’endettement massif des Etats.
Le néolibéralisme a privilégié depuis 30 ans la spéculation
Spéculation
Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
financière contre l’économie réelle. Les dégâts sont considérables pour l’outil et l’emploi industriels. Des millions d’emplois industriels ont été détruits et l’appareil productif est aujourd’hui dans l’incapacité de répondre aux exigences de profitabilité de ses propres dirigeants.
Relancer (entres autres avec l’argent public des plans de sauvetage) la démence spéculative est la garantie absolue de la construction de nouvelles bulles qui provoqueront des crises à répétition et qui risquent fort de plonger le monde dans un gouffre sans précédent.
Dans l’immédiat, il s’agit pour les nantis de faire payer la crise aux salariés et à l’immense majorité de la population.
Si les premiers pays cités ont fait figure de « test » pour cette stratégie, la Grèce constitue pour le capital un véritable laboratoire de la régression sociale destinée à être généralisé aux pays riches de l’UE. Les attaques concertées contre les dettes souveraines sont un élément de cette stratégie.
Jusqu’il y a peu, plusieurs grands médias et les responsables de l’UE parlaient uniquement d’une crise grecque due a des falsifications de comptabilité, etc. Comment jugez-vous l’attitude de l’UE envers la Grèce ?
L’UE, qui reproche à l’Etat grec d’avoir dissimulé une partie de son endettement, fait preuve d’une belle hypocrisie en la matière. Elle feint, par médias dociles interposés, de découvrir en 2009 un procédé utilisé en 2001 pour dissimuler l’ampleur des déficits publics grecs.
Les comptes nationaux de la Grèce ont déjà fait l’objet de plusieurs rectifications par Eurostat en 2003, 2004 et 2005 et cette pratique répandue en Europe avait déjà été dénoncée en 2005 par le ministre grec des finances de l’époque. Les ministres des finances de l’UE, dès 2000, refusaient que soient publiés les recours aux produits dérivés
Produits dérivés
Produit dérivé
Famille de produits financiers qui regroupe principalement les options, les futures, les swaps et leurs combinaisons, qui sont tous liés à d’autres actifs (actions, obligations, matières premières, taux d’intérêt, indices...) dont ils sont par construction inséparables : option sur une action, contrat à terme sur un indice, etc. Leur valeur dépend et dérive de celle de ces autres actifs. Il existe des produits dérivés d’engagement ferme (change à terme, swap de taux ou de change) et des produits dérivés d’engagement conditionnel (options, warrants…).
.
Cette « tricherie » (dissimuler des emprunts derrière une pseudo-transaction monétaire) était chose habituelle pour nombre de pays européens et n’avait rien de particulièrement secret.
L’UE, et plus précisément les industriels allemands et français avaient aussi tout intérêt à ce que la Grèce et d’autres pays « périphériques », intègrent la zone euro. Ces 2 pays dominants de l’UE ont conçu cette intégration comme une ouverture supplémentaire pour leurs excédents commerciaux.
Aujourd’hui, ce sont les mêmes qui spéculent contre la dette souveraine grecque…
Dernièrement, il y a un débat concernant la « cessation des payements ». Est-ce une solution ?
Le CADTM ne fait pas de l’annulation de la dette un dogme en soi. Il considère que les citoyens doivent savoir à quoi ont servi les emprunts de leurs Etats, de pouvoir dire avec précision si cet argent emprunté et son remboursement ont eu pour objet une amélioration des conditions sociales de leurs pays ou non.
Cette question est légitime puisqu’in fine, ce sont les contribuables, ceux qui paient l’impôt direct et/ou les taxes indirectes qui en rémunèrent le tribut.
Pour y répondre, nous proposons un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
unilatéral (sans accumulation d’intérêts de retard) sur le paiement de la dette, le temps de réaliser un audit public des emprunts contractés. Sur la base des résultats de cet audit, il reviendra aux citoyens de décider si cette dette est toute ou partie illégitime et dans ce cas, de prononcer son annulation.
Au cas particulier de la Grèce, cette question est essentielle car c’est en son nom que les plans d’austérités imposés par le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
Cliquez pour plus de détails.
et l’UE sont présentés et le pays est dépossédé de sa propre gouvernance.
Les causes de ses déficits budgétaires sont notoires : il y a l’injustice fiscale, un budget militaire colossal, une logique de malversations institutionnalisées. Les divers gouvernements de droite comme de gauche ont laissé vivre et encouragé un dérèglement inacceptable de la société grecque qui a profité aux classes économiques dirigeantes.
Nous ne disons qu’une chose : que le peuple grec examine les comptes de la dette et décide collectivement si elle a amélioré la vie du pays, permis des créations d’emplois et un développement des services rendus au public.
Ou si, au contraire, elle n’a profité qu’aux bénéficiaires des réductions d’impôts et aux champions de l’évasion et de la fraude fiscale encouragés par les gouvernements successifs depuis 30 ans.
Y-a-t-il aujourd’hui de possibilité pour que se développe un mouvement revendiquant l’abrogation de la dette grecque ou de celle de tous les pays de la zone euro affrontant ce problème, a l’instar des mouvements analogues pour l’annulation de la dette des pays du Tiers Monde des années 1990 ?
Un Comité grec contre la Dette a été fondé début juillet 2010 à Athènes. Il est composé de représentants de partis et de mouvements sociaux provenant d’un large éventail de la gauche grecque.
Le Comité Grec contre la Dette a annoncé sa volonté de travailler en collaboration avec le réseau international du CADTM.
La cure d’austérité drastique à laquelle la Grèce est sommée de se soumettre trouve son modèle dans les politiques d’ajustement structurels qui ont été imposées par le FMI aux pays du sud après la crise de la dette déclenchée par la remontée des taux de la Fed en 1982.
Nous ne pouvons donc qu’encourager cette initiative et la soutenir pour au moins 3 raisons :
La finance internationale attaque ce maillon faible de la zone euro pour tester la cohésion de l’ensemble, avant éventuellement de spéculer contre d’autres pays pour générer d’énormes profits.
Cette attaque entraîne la mise « sous tutelle » de la Grèce par la Commission européenne et le FMI. A l’instar des pays du Tiers-Monde à partir des années 1980, la Grèce se voit imposer un programme d’ajustement économique et social drastique, traduisant sa Tiers-Mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
qui préfigure celle d’autres pays européens.
L’intention affichée de ce comité est de « contribuer activement à la construction d’un mouvement radical contre la dette aux Balkans et dans toute l’Europe. Un mouvement qui se battra contre la dette au Nord, mais mettra aussi en première ligne de ses priorités la solidarité active envers les peuples du Tiers Monde en lutte depuis des décennies contre la dette au Sud ». (déclaration de fondation)
Il s’agit donc bien là d’une réponse unitaire, solidaire et citoyenne, souhaitant faire la clarté sur la dette et rétablir le peuple grec dans ses droits et sa dignité. C’est aussi un élément encourageant pour les réponses à construire aujourd’hui en Grèce et dans le reste de l’Europe.
Comment l’expérience du CADTM pourrait-elle aider au développement des mouvements analogues en Grèce ?
Depuis 20 ans, le CADTM a développé son expertise de la dette publique tant en matière de diagnostic que d’alternatives dans les pays du Sud de la planète, sur tous les continents.
Depuis 2 ans, il a fortement progressé dans le travail d’analyse de la problématique de la dette publique dans les pays les plus industrialisés.
Ce travail, conjugué à notre expérience, peut être un apport certain pour la constitution de comités dans les pays européens. Cela correspond à un besoin fort aujourd’hui puisque la dette publique est l’angle d’agression qu’a choisi le capital international pour faire payer sa crise aux populations.
Nous avons, au mois de mai dernier, lancé un appel « Pour une mobilisation européenne contre la dictature des créanciers ». Les premiers échos que nous en avons sont plutôt encourageants.
Le capital et les dirigeants des pays de l’Europe sont bien décidés, avec l’appui du FMI et de la Commission Européenne, à faire payer la crise à l’ensemble de la population du continent.
L’enjeu est considérable en termes de reculs sociaux, d’augmentation du chômage et de remise en cause des droits fondamentaux des peuples.
Le CADTM, à son niveau, souhaite contribuer à la réaction unie des peuples européens et de leurs organisations contre cette régression sociale sans précédent.
Quand a-t-il était fondé et comment fonctionne le CADTM ?
Créé en 1990, le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) est un réseau international constitué de membres et de comités locaux basés en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il dispose d’un site internet (en partie traduite en grec : http://www.cadtm.org ).
Son travail principal est l’élaboration d’alternatives radicales visant la satisfaction universelle des besoins, des libertés et des droits humains fondamentaux.
Il ancre son action
Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
au carrefour des luttes des mouvements sociaux populaires, des mouvements d’éducation permanente, des syndicats, des comités de solidarité internationale et des ONG de développement.
Pascal Franchet, vice-président du CADTM France,
Au sein du réseau international du CADTM, je suis co-animateur du groupe de travail dettes publiques des pays du Nord
J’ai rédigé plusieurs articles dont : Le sens de la crise grecque
J’ai 55 ans, je suis également contrôleur des impôts au ministère des finances et militant syndical CGT à Rennes (région Bretagne)
Série « Créances douteuses : La dette n’a pas d’odeur »
Sauvetage de la Grèce : une arnaque à plus de 3 milliards d’euros !12 novembre 2018, par Pascal Franchet , Anouk Renaud
22 mai 2018, par Pascal Franchet , Jérôme Duval , Anouk Renaud
17 juillet 2017, par Pascal Franchet
4 juillet 2017, par Pascal Franchet
23 juin 2017, par Pascal Franchet
26 janvier 2017, par Pascal Franchet
12 janvier 2017, par Pascal Franchet
13 juillet 2016, par Pascal Franchet , Romaric Godin
4 avril 2016, par Pascal Franchet
29 février 2016, par Pascal Franchet , Solidarité France - Grèce