Le « paradis » jamaïcain
Troisième île des Caraïbes en superficie, la Jamaïque est à peine plus grande que la Corse. Son climat est tropical, sa végétation luxuriante. Montagnes, chutes d’eau, barrières de corail et plages de sable blanc font rêver. Mais c’est aussi un pays qui évoque en nous des notions porteuses d’une symbolique forte : Reggae, cannabis, rastas, Bob Marley, solidarité, respect, cool... un vrai petit paradis. Si cette vision idyllique peut paraître vraie pour un touriste « aveugle », en quête de repos et de dépaysement, la réalité est loin d’être aussi « cool » pour les habitants de l’île. Les problèmes sociaux et économiques sont énormes. Pauvreté, violence (« Kingston se classe parmi les dix villes les plus dangereuses des Amériques »), habitations insalubres, installations sanitaires déficitaires, équipement public déficient, ... font partie du quotidien de la majorité des Jamaïcains. Et les perspectives d’amélioration sont maigres, voire nulles. L’Etat est en effet asphyxié sous le poids d’une dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
énorme. Le gouvernement doit à l’heure actuelle consacrer 65% de son budget au remboursement de la dette. Alors que 9% sont consacrés à l’éducation, et 4% à la santé ! La Jamaïque est aujourd’hui dans une impasse...
1972 - La naissance d’un espoir
En février 1972, dix ans après l’acquisition de l’indépendance de l’île, Michael Manley est élu Premier Ministre. Amateur de reggae, tiers-mondiste, son projet politique est résolument de gauche. Egalité des salaires entre hommes et femmes, instauration d’un revenu minimum, augmentation des dépenses publiques de santé, élargissement de la gratuité de l’éducation, lutte contre l’illétrisme, réforme agraire, sont autant de mesures qu’il s’applique à mettre en œuvre dès son arrivée au pouvoir. Et les résultats sont manifestes (en 1985, le taux de mortalité est inférieur à celui des USA). Mais le choc pétrolier de 1973 va paralyser le pays. Le prix du pétrole est multiplié par quatre du jour au lendemain. Il faut dire que « la principale richesse minière du pays est la bauxite (...). Il se trouve que la transformation de la bauxite en alumine, première étape de la préparation de l’aluminium, nécessite beaucoup d’énergie (...). La facture pétrolière explose » [« La Jamaïque dans l’étau du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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- La dette expliquée aux amateurs de reggae, aux fumeurs de joints et aux autres » - Damien Millet, François Mauger - L’Esprit Frappeur.]].
David Contre Goliath
M. Manley a besoin d’argent pour financer ses réformes. Les USA ne supportent pas ses liens avec Cuba. Les créanciers privés n’apprécient guère ses objectifs progressistes qui menacent leurs perspectives de profit. Le FMI (Fonds monétaire international) est donc la seule solution possible. Mais le Fonds ne prête que sous certaines conditions. Le pays devra entreprendre des réformes néolibérales : dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. de sa monnaie, gel des salaires, forte diminution des dépenses publiques, ... Ces mesures sont en totale contradiction avec le programme de M. Manley, qui entendait privilégier les besoins sociaux. Le combat est lancé. Que va-t-il se passer ? Quelle sera l’issue du combat ? M. Manley pliera-t-il ? Qu’en sera-t-il de ses successeurs ? Quels sont les personnages qui ont marqué de leur empreinte cette histoire ? Quelle est la situation actuelle du pays et quelles en sont les causes profondes ? Dans un langage accessible à tous, ce livre répond à toutes ces questions. Il nous raconte la lutte entre le FMI et la Jamaïque. Une lutte semée de rebondissements, de pressions extérieures, de campagnes de déstabilisation du pouvoir, d’émeutes, d’arnaques politiques, mais aussi de victoires.
« La Jamaïque dans l’étau du FMI » : un outil de compréhension globale
S’intéresser à l’histoire de la Jamaïque est essentiel. En tant que citoyen du monde, il est de notre devoir de comprendre, afin de pouvoir prendre position avec lucidité. Si la Jamaïque ne sort pas du cercle vicieux de la dette, la détresse que connaît son peuple s’annonce sans issue. Une situation révoltante et intolérable, qui ne peut qu’éveiller en nous un sentiment de solidarité et l’envie de s’engager à ses côtés.
Mais cet ouvrage est bien plus que cela. En mettant en évidence le rôle central qu’a joué la dette dans l’explication du sous-développement du pays, il nous permet d’avoir une vision claire sur la situation critique de la quasi totalité des pays du tiers-monde. L’exemple jamaïcain est riche d’enseignements, car sous bien des aspects, l’histoire de la Jamaïque n’est malheureusement pas un cas particulier.
Primo, le FMI impose depuis plus de trente ans des pressions énormes pour faire « rentrer dans le rang » tous les Etats du tiers-monde. D’autant plus quand ceux-ci ont, comme la Jamaïque, voulu décider par eux-mêmes de leur avenir, en élaborant des modèles de développement autonomes et en harmonie avec leurs visions politiques. Si la mondialisation
Mondialisation
(voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.
Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».
La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
néolibérale n’a pas oublié la Jamaïque, beaucoup d’autres en ont connu les affres : le Chili, Cuba, le Congo, ou encore le Brésil et le Vénézuela n’en sont que quelques exemples.
Secundo, les gouvernements et les multinationales du Nord ont réussi, de manière très subtile, à remplacer une colonisation politique par une colonisation économique. En Jamaïque comme ailleurs, le FMI a été l’instrument de cette colonisation ; la dette, l’arme du crime. Parce que les pays du Sud sont endettés, le FMI peut leur imposer des politiques économiques conformes aux intérêts des puissances économiques et financières du Nord.
Tertio, la diversité historique, politique et économique des pays en développement doit être prise en compte lorsqu’il s’agit de créer un modèle de développement viable. C’est une évidence. Le FMI, quant à lui, nie cette diversité. A l’heure actuelle, aux côtés de la Jamaïque, c’est plus de 100 pays et 80% de la population mondiale qui doivent subir les politiques d’ajustement structurel dévastatrices d’un point de vue humain.
Quarto, contrairement au discours officiel qui met l’accent sur la générosité du Nord en médiatisant l’aide au développement, la Jamaïque rembourse à l’heure actuelle plus que ce qu’elle ne reçoit en aide. La dette est un véritable mécanisme de transfert de richesses du Sud vers le Nord. De nouveau, cette constatation est valable pour l’ensemble des pays du tiers monde. En 2002, les pays en développement ont remboursé au titre du remboursement de la dette 343 milliards de dollars, alors que l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) s’élevait à environ 37 milliards de dollars !
Que faire ?
Créé en 1944 lors des accords de Bretton Woods, le FMI a pour objectif officiel d’assurer la stabilité financière internationale et de contribuer à la croissance et au développement de l’ensemble des pays en développement. Après vingt ans de politiques d’ajustement structurel, force est de constater que partout, la pauvreté et les inégalités ont augmenté. Partout. Les théories du FMI ont chaque fois été contredites par la réalité. Ses calculs et ses conseils n’ont pas atteint leurs objectifs proclamés. Il a clairement participé à la dégradation des conditions de vie de milliards de personnes et porte une part évidente de responsabilité dans l’apparition des crises financières de ces dernières années (au Mexique en 1982 et 1994, en Asie du Sud-Est en 1997, en Russie l’année suivante, en Argentine en 2000... ). Un constat s’impose : le FMI a échoué. Malgré cela, son pouvoir se renforce, son impunité reste totale, et ses objectifs sont clairement de pousser encore plus loin « l’intégration » des pays du Sud à l’économie mondiale. Que faire ?
Drop the debt !
La Jamaïque, tout comme les autres pays en développement, est dans une impasse. L’annulation de la dette est prioritaire. Les arguments contre une annulation pure et simple ne résistent pas à l’analyse. En revanche, les arguments historiques, politiques, écologiques, moraux et juridiques qui justifient sa suppression sont indiscutables. Mais l’annulation de la dette financière ne suffira pas. Elle n’est qu’une première étape. Il faut proposer des alternatives concrètes. Avec efficacité, simplicité, et pédagogie, « La Jamaïque dans l’étau du FMI » développe toutes ces réflexions et questionnements. Un livre à se procurer... et à lire avec toute l’attention qu’il mérite. Il est en vente au CADTM au prix de 4 euros.
est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017).
Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles
11 juin, par Olivier Bonfond , Laurent Pirnay
22 mars, par Olivier Bonfond
31 août 2023, par Olivier Bonfond
Cycle de formation du CADTM
La dette publique belge avec Olivier Bonfond30 mai 2023, par Olivier Bonfond
3 avril 2023, par Eric Toussaint , Collectif , Olivier Bonfond , Christine Pagnoulle , Paul Jorion , Jean-François Tamellini , Zoé Rongé , Économistes FGTB , Nadine Gouzée
13 mars 2023, par Olivier Bonfond
14 décembre 2022, par Olivier Bonfond
13 janvier 2022, par Olivier Bonfond
31 mars 2021, par Collectif , Olivier Bonfond
5 février 2021, par Eric Toussaint , Olivier Bonfond , Catherine Samary , Thomas Piketty , Laurence Scialom , Aurore Lalucq , Nicolas Dufrêne , Jézabel Couppey-Soubeyran , Gaël Giraud , Esther Jeffers