La crise à reculons

6 avril 2009 par Michel Husson




Face à la crise, la bourgeoisie voudrait bien avoir un ou deux coups d’avance. Ainsi l’économiste en
chef de l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
, Klaus Schmidt-Hebbel, admet que « le pire des scénarios est en train de se
matérialiser » [1.]mais reste ferme sur les principes : « La débâcle dans le secteur financier ne
remet pas en question les effets bénéfiques des réformes recommandées des marchés de produits
et du marché du travail ». Dans une version préliminaire de son étude consacrée à la France,
l’OCDE prend ses désirs pour des réalités : « dès la reprise bien engagée, il sera urgent de mettre en
application un programme de réduction du déficit public, conformément aux obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
du pacte
de stabilité et croissance ». C’est l’inconscient bourgeois qui s’exprime ici : les affaires vont
redémarrer en 2010 et il faudra immédiatement éponger les dépenses excessives de 2009 en
engageant un vaste plan d’austérité.

Mais la déception est au coin de la rue. Toutes les prévisions pour 2009 sont d’un noir très
profond : recul de 2,7 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
européen, déficit budgétaire à 5,6 % du PIB en France, plusieurs
centaines de milliers d’emplois détruits, etc. Si c’était seulement une fluctuation un peu forte, on
pourrait, à l’instar de Trichet, imaginer un redémarrage en 2010. Mais l’économie mondiale ne
repartira pas spontanément parce que la crise est structurelle : les modèles de croissance des Etats-
Unis et de la Chine - fondés respectivement sur l’endettement des ménages et sur le tout à
l’export - sont durablement détraqués. Dans les deux cas, il faut mettre en place de nouveaux
arrangements. Et cela prendra du temps, d’autant plus que l’incertitude la plus grande règne sur la
compatibilité des ajustements au niveau mondial en matière de taux de change du dollar, de déficit
US, et de recyclage des excédents chinois.

En dépit des grands discours, l’Union européenne est en train d’imploser en tant qu’entité
économique. Plusieurs pays au bord de la banqueroute, absence de volonté politique et
d’instruments de coordination, relances factices et chacun pour soi : tout cela non plus ne peut
être réglé en quelques mois et nécessiterait une refondation complète du mode de fonctionnement
de l’Union.

Et surtout, la crise financière est loin d’être terminée. Il faut s’attendre à une longue période de
défaillances et de sauvetages, comme le montrent les déboires à répétition d’AIG (American
International Group) : ce groupe d’assurances enfoncé jusqu’au cou dans la garantie de créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
pourries a subi une perte de 62 milliards de dollars au dernier trimestre 2008. D’où une rallonge de
30 milliards de dollars qui se rajoute aux 150 déjà reçus en 2008. Personne ne sait si cela suffira et
AIG trainerait encore quelques 300 milliards de dollars de credit default swaps Swap
Swaps
Vient d’un mot anglais qui signifie « échange ». Un swap est donc un échange entre deux parties. Dans le domaine financier, il s’agit d’un échange de flux financiers : par exemple, j’échange un taux d’intérêt à court terme contre un taux à long terme moyennant une rémunération. Les swaps permettent de transférer certains risques afin de les sortir du bilan de la banque ou des autres sociétés financières qui les utilisent. Ces produits dérivés sont très utilisés dans le montage de produits dits structurés.
douteux. Même la
crise hypothécaire qui a tout déclenché n’est pas résorbée. Au contraire, elle s’étend : après les
subprimes Subprimes Crédits hypothécaires spéciaux développés à partir du milieu des années 2000, principalement aux États-Unis. Spéciaux car, à l’inverse des crédits « primes », ils sont destinés à des ménages à faibles revenus déjà fortement endettés et étaient donc plus risqués ; ils étaient ainsi également potentiellement plus (« sub ») rentables, avec des taux d’intérêts variables augmentant avec le temps ; la seule garantie reposant généralement sur l’hypothèque, le prêteur se remboursant alors par la vente de la maison en cas de non-remboursement. Ces crédits ont été titrisés - leurs risques ont été « dispersés » dans des produits financiers - et achetés en masse par les grandes banques, qui se sont retrouvées avec une quantité énorme de titres qui ne valaient plus rien lorsque la bulle spéculative immobilière a éclaté fin 2007.
Voir l’outil pédagogique « Le puzzle des subprimes »
, c’est au tour des Alt-A (des crédits moins douteux) de se déglinguer et, selon un
analyste financier cité par The Economist, « une vague encore plus grosse se profile à l’horizon et
elle englobe tous les types de prêts ».

La bourgeoisie navigue à vue entre Charybde et Scylla : soit risquer de plomber pour dix ans
l’économie mondiale, soit nationaliser les banques pour faire le ménage. Elle y va à reculons mais
elle va être obligée de le faire, à sa manière évidemment : pas trop et pas trop longtemps. Pourtant
la solution rationnelle consisterait à nationaliser toute la finance. Ce n’est pas le goût de la
surenchère qui conduit à cette conclusion mais la simple observation de ce flux continu de pertes,
de faillites et de sauvetages. Et aussi les faiblesses des autres solutions : injecter de l’argent ne
donne rien, c’est un puits sans fond ; accorder une garantie publique revient à transférer sur le
budget des pertes potentielles énormes ; avec la bad bank Bad bank Une bad bank est une structure créée pour isoler et recueillir les actifs à haut risque d’une banque en difficulté. , l’Etat rachète les actifs Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
toxiques des
banques, sauf que cette toxicité est évolutive et que personne ne sait quel pourrait être le « juste
prix » des actifs pourris. D’un point de vue aussi bien économique qu’éthique, la nationalisation
intégrale est le seul moyen de mettre tout à plat, de faire les comptes puis le tri et de ne pas
pourrir la prochaine décennie au nom de la protection d’intérêts sociaux en faillite.


Article mis en ligne sur le site de Michel Husson http://hussonet.free.fr/

Notes

[1.Les références sont en ligne à : http://tinyurl.com/crise09

Michel Husson

statisticien et économiste français travaillant à l’Institut de recherches économiques et sociales, membre de la Commission d’audit pour la vérité sur la dette grecque depuis 2015.
http://hussonet.free.fr/fiscali.htm