18 octobre 2011 par Eric Toussaint
Même si l’Europe est fortement touchée, la crise ne se limite pas à l’Union européenne : presque toutes les économies des pays les plus industrialisés sont dans un état quasi comateux. Selon les pays, le chômage reste très élevé ou augmente. Même dans les pays dits « émergents », y compris les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), la forte croissance tend à fléchir. Les Bourses de la planète, à quelques exceptions près, ont chuté fortement en 2011 (entre le 1er janvier et 15 octobre 2011, -15% dans la zone euro, au Japon et en Chine ; -4% aux Etats-Unis ; -8% au Royaume-Uni ; -22% au Brésil ; -19% en Russie ; -17% en Inde). L’or, valeur refuge en temps de crise, a fortement grimpé (+20% entre janvier et octobre 2011).
Ce qui est frappant, c’est la très forte volatilité qui caractérise toute une série de prix : les Bourses baissent mais connaissent des rebonds temporaires ; le dollar chute mais connaît des moments de hausse ; les parités entre le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling, le franc suisse (autre valeur refuge) sont très mouvantes ; les prix des matières premières se maintiennent à un niveau élevé mais subissent des secousses importantes. En quelques mots, l’économie réelle (la production) fléchit et la sphère financière est prise de soubresauts. Les banques constituent le maillon faible, elles sont soutenues à bout de bras par les pouvoirs publics.
D’un point de vue des relations Nord-Sud, la situation économique des pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». et en développement est enviable, comparée à celle des pays du Nord [1]. Si on prend l’état des réserves de change comme un indicateur, les pays émergents en détiennent deux fois plus que les pays les plus industrialisés. En effet, les pays émergents disposent de 6 500 milliards de dollars de réserves de change (dont la moitié pour la Chine, 400 milliards pour l’Inde, 350 pour le Brésil, 500 pour la Russie) contre 3 200 milliards pour le Nord (dont un tiers pour le Japon). Le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. , club tout aussi illégitime que le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. qui l’a convoqué, est incapable de trouver des solutions.
Une nouvelle expression devient en vogue : pays riches très endettés (PRTE) qui éclipse une expression à la mode depuis une quinzaine d’années dans les couloirs du FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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et de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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, celle de pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE). La dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique et privée est au centre de la crise.
Si on prend en compte les relations entre classes sociales à l’échelle planétaire, partout les classes dominantes accroissent leur richesse, utilisent la crise pour augmenter la précarité de la condition des salariés et des petits producteurs. Dans les pays de l’Atlantique Nord, de l’Europe méditerranéenne et centrale, le remboursement de la dette publique est utilisé comme prétexte pour imposer une nouvelle vague d’austérité. Le coût des catastrophes produites par le système financier privé est systématiquement à charge des pouvoirs publics qui repassent la facture aux salariés et aux petits producteurs (par le biais des impôts, des réductions de dépenses sociales et des licenciements). Les inégalités sociales s’aggravent. Les mouvements sociaux de ceux et celles d’en bas éprouvent de grandes difficultés à constituer un front cohérent de résistance, sans parler de tenter d’engager une contre-offensive. Des phénomènes nouveaux de protestation de rue apparaissent dans la foulée des printemps tunisien et égyptien. Ainsi, le mouvement des Indignés a pris une grande ampleur en Espagne comme en Grèce, et commence à trouver un certain écho aux États-Unis et sur d’autres continents. Ces mobilisations, quoique très importantes, ne sont pas encore en mesure de renverser la vapeur. Il faut les soutenir activement. A ce titre, le succès de la journée du 15 octobre 2011 est prometteur [2].
[1] Sur internet, voir « Dette des pays en développement : une dangereuse insouciance », 29 décembre 2010 Voir également : Damien Millet, Daniel Munevar, Eric Toussaint, « Les chiffres de la dette 2011 », 19 avril 2011. En livre, voir Damien Millet et Eric Toussaint (dir.), La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011, chapitre 18. Précision essentielle : bien que les indicateurs économiques traditionnels indiquent une croissance économique soutenue des pays émergents, la crise alimentaire (forte augmentation des prix) frappe une grande partie de la population du sud de la planète. Les effets du changement climatique dégradent également les conditions de vie des populations de plusieurs pays particulièrement affectés. L’exploitation frénétique de certaines ressources naturelles en raison des prix élevés de matières premières cause des dégâts humains et environnementaux croissants, en particulier les mines à ciel ouvert et l’exploitation des hydrocarbures dans des endroits particulièrement sensibles (delta du Niger, par exemple).
[2] Voir « 15 octobre 2011 : grande victoire pour les Indignés », 16 octobre 2011
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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