8 septembre 2008 par Hugo Ruiz Diaz Balbuena
L’Equateur en tant qu’Etat souverain a décidé la mise en œuvre d’un audit de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour se prononcer sur sa légalité ou son illégalité, sa légitimité ou son illégitimité.
En ce sens, l’audit est un acte de gouvernement légitime en soi, un véritable acte unilatéral souverain – relevant fondamentalement du champ des compétences inhérentes au gouvernement et largement reconnues en droit international. Nous développerons plus loin cette question.
La décision de mettre en œuvre un audit est un acte unilatéral en tant que tel pour la simple raison que le gouvernement équatorien n’avait pas à consulter les créanciers pour décider d’un audit et que l’acte interne produit ses pleins effets juridiques. Cette décision est fondée et n’affaiblit ni ne viole aucune obligation internationale. Elle est un acte juridico-politique doté des mêmes caractéristiques que tout autre acte juridique international.
Par ailleurs, lorsque le gouvernement équatorien a pris la décision de l’audit, il aurait très bien pu exercer de manière tout à fait licite son droit à suspendre le paiement ou à déclarer simplement un moratoire
Moratoire
Situation dans laquelle une dette est gelée par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus. Cependant, généralement durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir.
Un moratoire peut également être décidé par le débiteur, comme ce fut le cas de la Russie en 1998, de l’Argentine entre 2001 et 2005, de l’Équateur en 2008-2009. Dans certains cas, le pays obtient grâce au moratoire une réduction du stock de sa dette et une baisse des intérêts à payer.
jusqu’au moment d’obtenir tous les résultats par rapport à la partie de la dette concernée par l’audit et la détermination de son caractère licite ou illicite.
En effet, une mesure comme celle-là aurait préventivement permis d’arrêter de rembourser le service de dette que l’audit pourrait caractériser d’illicite au lieu de devoir par la suite entreprendre de longues et difficiles procédures pour récupérer ces montants. En procédant ainsi, des créanciers publics ou privés n’auraient sans doute pas pu avancer un quelconque argument juridique sérieux pour contrecarrer la décision de suspension in temporis.
Il ne fait aucun doute – et il ne peut y en avoir – que la décision d’effectuer un audit est un acte juridique unilatéral souverain et qu’il s’agit d’un acte licite entièrement reconnu par le droit international. Voici un premier constat qui se manifeste comme une simple évidence.
Ainsi, avant même de procéder à l’analyse de fond sur le caractère légal ou illégal, l’audit repose entièrement sur un acte unilatéral de l’Etat équatorien relatif à la question complexe et délicate de la dette publique externe.
Cet acte ne viole ni le principe de la continuité de l’Etat ni de potentielles obligations internationales de rembourser des dettes légalement contractées, pas plus que ne sont affaiblis les droits des créanciers qu’ils soient bilatéraux, multilatéraux ou privés. Il n’y a pas eu de représailles ni de rétorsions ou, comme on les appelle aujourd’hui, de contre-mesures. L’Equateur n’a pas été isolé, c’est un fait qui parle de lui-même.
Vu de cette manière, l’acte souverain unilatéral apparaît comme un mécanisme, une action, une voie privilégiée face à d’autres actions qui devraient servir de mesures complémentaires aussi importantes que serait par exemple des demandes introduites par des citoyens devant les tribunaux en demande de réparation. Les actions des citoyens et des mouvements sociaux se renforcent mutuellement et sont alimentées par l’acte souverain.
La seule différence avec ces actions réside dans le fait que l’acte unilatéral est un acte souverain de l’Etat. C’est l’Etat même à travers un de ses organes reconnus en droit international (pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire) qui se prononce sur le caractère illicite et ce, directement par un acte interne. Cet acte apparaît, au-delà de son caractère souverain, comme un mécanisme qui - cela vaut la peine de le répéter - renforce à son tour les actions judiciaires entreprises par les citoyens.
Cette mesure ouvre également les voies d’application du régime de la responsabilité internationale des institutions financières internationales auprès de l’Etat lui-même et de ses organes. Il en va de même pour les créanciers privés.
La conséquence en est l’obligation de réparation reconnue par le droit international.
Une autre différence avec les actions judiciaires est qu’en principe, celles-ci sont limitées à la demande de réparation ; elles ne peuvent déclarer l’illégalité ou l’illégitimité de la dette. Cette décision est du ressort non pas des organes de l’Etat mais des tribunaux d’autres pays ou des tribunaux internationaux dans le cas où la norme interne le prévoit.
Un point important dans le cas qui nous occupe est que nous nous référons à un acte unilatéral souverain dont l’intention est de confirmer les droits de l’Etat équatorien. Il s’agit là d’un élément clé lorsque l’on prend en compte les travaux effectués au sein de la Commission d’audit de l’Equateur (CAIC) ainsi que les constats effectués lors de la rencontre de juristes qui s’est tenue en juillet 2008 à Quito (voir les conclusions Conclusions de la 1re Rencontre Internationale de Juristes ).
Et dès le moment de la confirmation de ces droits, cet acte signifiera en même temps le droit à la réparation comme le prévoit le droit international.
Une première chose importante : les effets d’un acte souverain ou unilatéral prennent cours au moment de la formulation de cet acte, c’est-à-dire que celui-ci peut être opposé au sujet de droit international contre lequel il est dirigé et peut être exigé [1]
Il en est ainsi car l’intention de l’Etat est que l’acte souverain, manifestation d’un droit souverain sous la figure juridique de l’acte unilatéral, produise des effets juridiques par rapport à d’autres sujets de droit international.
Les actes unilatéraux ou, si l’on veut, l’exercice d’un droit souverain sont choses courantes en droit international et font partie de l’exercice des pouvoirs concédés aux Etats en vertu du droit international.
L’acte unilatéral est par conséquent, un acte entièrement autorisé par le droit international : c’est le constat effectué par des juristes spécialistes de la matière dans le domaine doctrinal.
Il s’agit en effet d’un acte juridique interne, de forme unilatérale, qui produit des effets juridiques dans le domaine international.
Le 4e rapport de la Commission de droit international de l’ONU sur les actes unilatéraux stipule que ceux-ci « … produisent des effets juridiques directs sur leur destinataire. Mais, ils peuvent également produire des effets indirects comme ceux qui contribuent à la formation ou au renforcement de normes d’origine coutumière ou à la formation des principes généraux du droit… » [2].
En résumé, il s’agit d’actes de nature juridique formulés par un ou plusieurs sujets qui, dès leur affirmation, peuvent produire des effets qui ne sont pas conditionnés par l’acceptation ou la conduite postérieure d’un autre Etat ou d’un autre sujet de droit international [3].
Une fois l’acte souverain énoncé, on ne peut plus contester l’Etat qui proteste ou qui émet un acte sous la forme d’annulation, de déclaration de nullité, de non reconnaissance d’un état, d’une situation ou d’un fait, etc.
La jurisprudence internationale a traité largement divers aspects de cette question. Nous observons par exemple, parmi bien d’autres, les cas d’arbitrage de Chamizal entre les Etats-Unis et le Mexique [4], les décrets de nationalité entre la Tunisie et le Maroc [5] et le cas de Minquiers et Ecréhos [6].
Lors du jugement rendu dans le cas intitulé « des intérêts allemands en Haute Silésie polonaise », la Cour internationale de justice signale que « le représentant devant la Cour de la partie poursuivie, en sus des déclarations mentionnées plus bas relatives à l’intention de son gouvernement de ne pas exproprier les parties déterminées des immeubles qui ont fait l’objet d’une notification, a fait d’autres déclarations analogues qui seront examinées plus loin, la Cour ne met pas en doute le caractère obligatoire de toutes ces déclarations [7]. » . Ce jugement parle de l’acte unilatéral souverain en tant que source du droit et, surtout, en tant qu’acte générateur d’obligations internationales ou créateur de droit.
La doctrine reconnaît également la pratique constante des actes unilatéraux souverains. C’est le cas de bien d’autres juristes éminents du droit international comme Paul Reuter [8], Philippe Cahier [9], Charles Rousseau [10], Alain Pellet [11], Antonio Remiro Brotons [12], Jean-Marie Dupuy [13], E. Suy [14]. G. Schwartzenberger [15], etc.
Un autre éminent juriste, le professeur Pastor Ridruejo, se référant aux comportements unilatéraux de l’Etat, signale avec justesse que « sous la dénomination de comportements unilatéraux de l’Etat, nous nous référons à trois types de comportements que l’on suppose différents dont le premier est celui des actes unilatéraux au sens propre… » [16]
Les professeurs de droit international Combacau et Sur signalent à ce propos que « bien que (les actes unilatéraux) ne soient pas mentionnés dans l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, ils sont aussi nombreux que variés et leur fonction est considérable » [17]
Comme nous pouvons le voir, l’acte unilatéral souverain est une constante en droit international. De plus, il s’applique également dans le cadre de la responsabilité internationale de l’Etat où l’on observe la mise en œuvre de contre-mesures en réaction à des actes illicites ; ces contre-mesures sont permises par le droit international en réponse à la violation d’une obligation internationale et pour faire cesser ladite situation ou obtenir réparation.
Il a été largement reconnu – y compris au sein de la Commission des droits de l’homme de l’ONU - que les politiques mises en œuvre par les IFI ont entraîné des violations massives des droits humains contraires au droit coutumier qui les oblige à respecter et à faire respecter les droits humains. Il s’agit per se d’un acte internationalement illicite. La réaction normale est de réparer cet acte illicite - dans le cas présent, celui commis par la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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et le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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- par la mise en œuvre d’un autre acte.
L’Etat peut, comme le reconnaît la Commission de droit international de l’ONU dans le domaine de la responsabilité internationale, adopter des contre-mesures à l’encontre d’un sujet de droit international responsable d’un fait internationalement illicite dans l’objectif de l’obliger à répondre aux obligations qui lui incombent [18]
La logique générale des contre-mesures, comme le notent Combacau et Sur, « s’inscrit dans le cadre de la dialectique des actes et comportements unilatéraux [19] ».
En résumé, un Etat peut adopter des contre-mesures de différentes manières : actes, actions et comportements qui se traduisent par des mesures unilatérales constituant des actes juridiques qui produisent des effets en droit international.
De la même manière, dans le cas où un autre sujet viole le droit international – c’est le cas du FMI et de la Banque mondiale par rapport à la dette équatorienne-, l’Etat qui a assumé les obligations de respecter et de faire respecter les droits humains, peut et doit de manière licite et légale adopter les mesures nécessaires pour réparer la conduite illicite des sujets de droit qui ont violé les normes fondamentales du droit international.
Comme nous l’avons déjà vu, les actes souverains sont reconnus en droit international - tant au sein de la Commission de droit international de l’ONU [20] que dans la doctrine et la jurisprudence - comme des actes unilatéraux et largement admis. Il n’y a aucun problème par rapport à cet aspect et aucune objection possible.
Leur utilisation fréquente de la part des Etats dans leurs relations internationales ainsi que leur importance en fait une réalité quotidienne. Et ce dans les domaines les plus variés. Ces actes unilatéraux souverains – cela vaut la peine de le répéter – sont destinés à produire de pleins effets juridiques en droit international auprès d’autres sujets de droit et ils découlent de l’exercice de la souveraineté des Etats. Ils peuvent de plus être destinés à réparer les violations du droit international (droits humains et autres règles) mettant en cause la responsabilité internationale de ceux qui l’ont violé ainsi que l’obligation de réparation.
Revenons à l’Etat équatorien pour mieux illustrer cette question. Un autre exemple récent d’acte unilatéral souverain classique – dont on peut difficilement concevoir que des juristes n’en aient pas mesuré la portée contrairement à des avocats, des économistes ou des historiens - a été la décision souveraine prise par le gouvernement de communiquer sa décision de retirer l’Equateur de la juridiction du CIRDI
CIRDI
Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a été créé en 1965 au sein de la Banque mondiale, par la Convention de Washington de 1965 instituant un mécanisme d’arbitrage sous les auspices de la Banque mondiale.
Jusqu’en 1996, le CIRDI a fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de sa première affaire (la seule de l’année), l’année 1974 suivit avec 4 affaires, et suivirent de nombreuses années creuses sans aucune affaire inscrite (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991). L’envolée du nombre d’affaires par an depuis 1996 (1997 : 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) s’explique par l’effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires (voir graphique)). Ce pourcentage s’élève à 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l’année 2011.
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(Cour internationale de Règlement des Différends en matière d’Investissement). Cette décision a été officiellement communiquée au sous-secrétariat du CIRDI par le biais de la note 4-3-74/07 datée du 4 décembre 2007 qui complète la note 5635/64 provenant du ministère des Relations extérieures du 23 novembre 2007.
Il s’agit d’un acte unilatéral souverain par excellence !
C’est un acte interne qui produit - cela vaut aussi la peine de le répéter - tous les effets juridiques en droit international et devant les instances internationales. Il s’agit d’un acte unilatéral qui cadre parfaitement dans la pratique internationale et il s’agit d’un acte substantiellement licite comme exercice des compétences de l’Etat. Il ne peut y avoir aucun doute sur ce point.
Il est important de citer cet exemple car il a une relation directe avec la problématique de la dette externe. En effet, les politiques d’ajustement imposées par le FMI, la Banque mondiale et les organismes régionaux de financement ainsi que les conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. , comprennent entre autres la libéralisation des flux de capitaux et particulièrement la réduction drastique – si ce n’est la suppression – des restrictions imposées aux investissements étrangers par les lois nationales. C’est particulièrement clair en ce qui concerne l’exigence de renoncer à l’exercice de la compétence des tribunaux nationaux et d’octroyer ce droit à des tribunaux étrangers – normalement ceux des pays développés – ou à des tribunaux d’arbitrage comme le CIRDI.
Un autre cas plus récent encore de véritable acte souverain – en tant qu’institution de droit international – de l’Etat équatorien qui produit tous les effets juridiques en dehors de son territoire, c’est la disposition de la nouvelle Constitution relative à la dette et aux modalités de la contracter, adoptée par l’Assemblée constituante et devant encore l’être par référendum par le peuple équatorien. Dans ce cas, le point principal est que la disposition, interne, qui émane d’un organe de l’Etat (comme l’a été la décision de dénoncer la juridiction du CIRDI), produit les pleins effets juridiques non seulement au niveau interne mais également au niveau international.
Au-delà des critères retenus et énumérés, cette disposition constitutionnelle s’adresse aux futurs créanciers y compris hors du territoire équatorien.
Ceux-ci, même soumis à d’autres règles d’autres Etats (par exemple une banque allemande est soumise aux lois allemandes), régis par d’autres normes du droit international (par exemple FMI, BID, BM) ou même situés en dehors du territoire équatorien, doivent impérativement se soumettre à cette disposition indépendamment du lieu de signature du contrat ou de l’accord international de prêt.
Si la disposition est définitivement adoptée dans sa version actuelle, aucun de ces créanciers ne pourrait exiger l’application de ces lois – loi allemande dans l’exemple mentionné ou d’autres dispositions décidées en dehors du territoire national par d’autres instances. De plus, pour que les prêts soient considérés comme licites, tous les futurs créanciers devront impérativement se soumettre à cette disposition constitutionnelle sauf à encourir le risque de nullité absolue.
Face à tout cela, quelle organisation financière internationale ou quel Etat oserait prendre des mesures de représailles, de boycott ou d’autres contre-mesures, couper les crédits à l’Etat équatorien, l’isoler, le suspendre ou l’expulser des Nations unies, de la Communauté andine des nations, de l’OMC
OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.
L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».
Site : www.wto.org
, du FMI ou de la Banque mondiale, de l’UNESCO ou de toute autre institution internationale ?
Le 31 mai 2005, le Tribunal fédéral suisse a émis un jugement contre l’Etat paraguayen par rapport à une dette publique paraguayenne contractée auprès de banques suisses. Face à cette décision arbitraire, l’exécutif paraguayen a promulgué le Décret 6295 du 26 août 2005 notifiant le refus de l’Etat paraguayen de payer cette dette.
On peut assimiler cet acte à une répudiation de dette, chose qui fait partie du droit international et de la pratique des Etats. De plus, cette décision a été communiquée officiellement par la voie diplomatique au gouvernement suisse pour consolider les droits de l’Etat paraguayen.
Le président de la république du Paraguay, confirmant l’acte unilatéral et le refus de payer, a affirmé ce qui suit devant l’Assemblée générale de l’ONU :
« Cette dette frauduleuse a été contractée par les membres d’une dictature corrompue qui, en connivence avec un groupe de banquiers internationaux, prétendent nous dépouiller de ce dont nous avons besoin d’urgence pour la paix sociale de notre pays » (3 octobre 2005).
L’acte unilatéral de l’Etat paraguayen ainsi que la déclaration de son président nous placent face à un thème pertinent et d’actualité en droit international et surtout face au caractère fondamentalement licite de l’acte unilatéral mais aussi devant des voies concrètes à la disposition de l’Etat équatorien dans le cas ou l’illégalité de la dette se vérifierait.
Dans le cas présent, en plus de déclarer le caractère frauduleux de la dette produisant tous ses effets y compris devant l’Etat suisse, le gouvernement paraguayen a confirmé son droit reconnu par le droit international d’exiger de la Suisse – devant la Cour Internationale de Justice de La Haye – le paiement de réparations en tant qu’obligation internationale. Il en est ainsi parce qu’un tribunal suisse a, de façon arbitraire et ignorant les preuves présentées pendant le procès, émis un jugement favorable aux créanciers privés. Le tribunal suisse est un organe de l’Etat et de ce fait, lorsqu’il se prononce, il s’agit d’un acte de l’Etat suisse. Il s’agit d’un acte internationalement illicite qui entraîne la responsabilité de l’Etat. Ce cas est significatif en ce qui concerne la pertinence de l’acte souverain, son caractère licite et son importance en tant que mécanisme de préservation et de confirmation de droits.
L’acte unilatéral, mieux, les actes unilatéraux mentionnés entre/nt en vigueur au moment de sa/leur formulation à condition bien sûr que soient remplies les conditions de validité exigées, l’acceptation de tout acte ou comportement de la part de l’Etat ou des Etats ou de l’organisation ou des organisations internationales destinataires (BID, FMI, BM…) ou de personnes particulières, morales ou physiques (banques privées).
Le 2 mai 2007, l’Etat bolivien a dénoncé intégralement la juridiction du CIRDI (Cour Internationale de Règlement des Différends en matière d’Investissement) dans tous les domaines. Cette décision a été précédée par la nationalisation des hydrocarbures ainsi que la soumission des personnes physiques et morales ou juridiques aux lois et aux tribunaux internes. Il s’agit d’un acte souverain unilatéral précédé par un autre qui a produit des effets directs en droit international. La Bolivie a ainsi récupéré pleinement ses compétences souveraines.
Cela veut dire que, depuis la date de la dénonciation de la juridiction du CIRDI, la Bolivie récupère ses compétences pleines et entières. C’est, de plus, la mise en œuvre et la réactualisation de la doctrine Calvo. La rupture avec le CIRDI implique qu’il n’existe plus de consentement pour aucune forme d’arbitrage devant ce tribunal de la Banque mondiale.
L’acte souverain bolivien n’est pas un acte quelconque car il s’agit d’un défi ouvert aux transnationales du Nord, aux pays du Nord ainsi qu’aux institutions financières internationales contrôlées par ces mêmes pays.
La conséquence de l’acte souverain unilatéral de l’Etat bolivien ne peut faire l’objet d’aucun questionnement en droit international sauf à considérer des positions idéologiques et juridiques prooccidentales.
Il s’agit - comme la Bolivie, l’Equateur et le Paraguay nous le démontrent – de la seule issue à laquelle tout Etat peut recourir pour garantir les droits humains et remplir ses obligations internationales.
Il est important d’insister sur ce point. En effet, avant la dénonciation de la juridiction du CIRDI, le gouvernement bolivien a pris un autre acte unilatéral qui, du point de vue occidental, revêt une gravité particulière à savoir la nationalisation des hydrocarbures.
Les sociétés transnationales n’ont pas quitté le pays : elles ont renégocié les contrats, tous les contrats ; la Banque mondiale continue à proposer de prêter à la Bolivie de même que les banques privées internationales.
Aucun autre Etat du Nord n’a utilisé la menace du recours à la force ou n’a décidé d’imposer des sanctions économiques, commerciales ou financières.
Comme on peut le constater, contrairement à l’idéologie de l’ « isolement » qui apparaît davantage comme un prétexte ou un frein pour la récupération de la souveraineté, ni l’Equateur, ni le Paraguay, ni la Bolivie n’ont fait l’objet de représailles ou d’autres types de mesures. J’insiste sur ce point.
Les Etats du Nord – comme l’Etat suisse dans l’exemple précédent – et les institutions comme la Banque mondiale n’ont pas eu d’autre choix que de reconnaître la validité et les effets juridiques de ces actes.
La raison en est très simple : ces actes sont licites par nature et corrigent de précédentes violations des obligations internationales de la part d’autres sujets de droit international.
Dans tous les cas, la meilleure issue au problème de la dette multilatérale comme solution juridiquement fondée sont la revendication et la mise en œuvre de notre propre tradition juridique, particulièrement la doctrine Calvo [21] et les normes impératives erga omnes du droit international.
Pour conclure, on peut également mentionner la clause rebus sic stantibus, contenue dans la Convention de Vienne sur le droit des Traités car elle joue également en faveur de l’acte souverain.
Cette clause est une voie d’exception reconnue de manière explicite par ladite convention.
Cela vaut la peine de signaler que, pour son application, le régime de la responsabilité internationale et la convention mentionnée prévoient justement l’exercice de ce droit souverain de l’Etat comme n’entraînant pas une responsabilité internationale dans le cas d’une réaction à des actes internationaux illicites. L’Etat ne fait alors que réagir face aux violations du droit international ou face à la violation d’accord ou d’autre instrument.
La dette externe et les programmes politico-économiques connexes sont de toute manière illégitimes et illégaux et entraînent de ce fait la nullité d’actes juridiques. D’où le fait que l’acte souverain ne fait que mettre la conduite de l’Etat en concordance avec le droit international et particulièrement en conformité avec les exigences de respecter et de faire respecter les droits humains [22], allant à l’encontre des compétences qui sont le propre d’organes internes de l’Etat et de la population qui a souffert dans sa chair ces violations.
Dans un contexte où des efforts sont effectués pour la récupération de compétences pleines et entières, y compris les efforts d’actualisation de la doctrine Calvo, se soumettre à nouveau à des tribunaux étrangers – en général des Etats-Unis ou d’Europe - entraînerait de manière explicite la renonciation à ces efforts.
Un autre point important qui renforce l’acte souverain est qu’on a déjà constaté suffisamment d’éléments forts de nature illégitime et illicite.
C’est ce qu’ont fait les juristes participant à la Déclaration finale de la rencontre internationale des juristes à Quito en juillet 2008, constatant d’emblée les violations de normes internationales y compris les violations des droits humains.
Il est également important de mentionner que ce document (la Déclaration finale), résultat de débats et d’échanges démocratiques – a reconnu et fondé de manière explicite le droit de l’Etat équatorien de réagir par le biais de contre-mesures face à ces faits internationalement illicites, ouvrant la voie au régime de responsabilité tant pour les créanciers multilatéraux que privés. Les juristes ont reconnu conformément au droit international le droit de tout Etat de recourir à des actes souverains comme conséquence logique des violations que l’ensemble des juristes présents ont reconnues.
Tout ce qui a été développé montre que l’Etat équatorien est suffisamment fondé à répudier la dette externe en se basant sur son illégitimité et son caractère illicite. Les travaux d’audit confirment pleinement cette affirmation. Cet acte correspond parfaitement à l’évolution qui se précise dans toute l’Amérique latine quant à la récupération de la souveraineté et des compétences pleines et entières de l’Etat.
De la même manière, un tel acte renforce l’action de citoyens et de mouvements qui ont subi des dommages directs (licenciements dans la fonction publique, réduction des garanties Garanties Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome). de travail, violations des droits humains…). Dans ce cas, il s’agirait de mettre en question la responsabilité internationale des IFIs par rapport au régime de la responsabilité internationale et au problème de l’illégitimité étroitement lié avec le caractère illicite.
Ce qui a été dit indique que l’Etat dispose de plusieurs options qu’il peut utiliser immédiatement. Il peut pour cela se baser y compris de manière explicite sur le précédent paraguayen utilisant une des mesures suivantes :
L’Equateur dispose également d’autres options comme :
Ces actions contribueraient à la mise en place d’une architecture internationale alternative correspondant aux besoins fondamentaux du peuple équatorien et d’autres comme le laissait présager la Banque du Sud. Il faut signaler que ces actions disposeraient du soutien des mouvements sociaux (indigènes, syndicats, paysans, femmes, jeunes, mouvements des droits humains, mouvements écologistes, progressistes, etc.). En font partie également les mouvements et organisations européens qui travaillent sur cette question ainsi que de puissantes organisations de juristes représentées à l’ONU et dans d’autres instances comme les représentations auprès de l’Union européenne.
En dehors de la décision d’opérer un acte souverain fondé sur les résultats du travail d’audit et qui peut sans aucun doute être pris dès maintenant, les autres actions exigeront la mise sur pied d’une Commission spéciale de juristes en Equateur, commission chargée d’analyser toutes les voies alternatives sérieuses, y compris la question délicate de la responsabilité civile et pénale des autorités responsables de cette situation ainsi que celles de la Banque mondiale et d’autres créanciers.
Il existe encore d’autres options à ne pas écarter en fonction de la situation :
Hugo Ruiz Diaz Balbuena est docteur en droit international spécialisé en droit international des relations économiques, financières et commerciales internationales et en droit pénal international. Il est représentant permanent de l’Association américaine des juristes auprès des organes de l’ONU et conseiller juridique du CADTM
Traduction Virginie de Romanet
[1] ONU- CDI, Cuarto informe sobre los actos unilaterales del Estado, mai 2001, § 112.
[2] ONU- CDI, Cuarto informe, Op. Cit., § 77.
[3] ONU- CDI, Cuarto informe, Op. Cit. § 47
[4] Jugement du 15 juin 1911, AJIL, vol. 5, 1911, pages. 785 a 833
[5] Opinion consultative, Recueil CPJI, 1923, série B, No. 4.
[6] France vs Royaume Uni, CIJ, Recueil 1953.
[7] C.P.J.I., Serie A, Recueil, numero 7, page 13
[8] « Principes de Droit International », RCADI, 1961, vol. II, pages. 564 et ss.
[9] “Le comportement des Etats comme source de droits et des obligations”, Recueil d’Etudes de droit international en hommage à Paul Guggenheim, Ginebra, IHEI, 1968, pages. 247 – 248 et ss.
[10] Droit international public, tome I : Introduction et sources, Paris, Sirey, 1970, pages. 421 et ss.
[11] Droit international public, Paris, LGDJ, 2003, pages. 358 et ss.
[12] Derecho Internacional, Madrid, McGraw-Hill, 1997, pages. 175.
[13] Droit International Public, Paris, Dalloz, 1995, page 267.
[14] Les actes juridiques unilatéraux en droit international public, París, 1962, pages 110.
[15] International Law, vol. I, 3e édition Londres, 1957, pages 549.
[16] Curso de Derecho Internacional y Organizaciones Internacionales, Madrid, Tecnos, 1996, page 168.
[17] Droit international public, París, Montchrestien, 1993, page. 213.
[18] Lire à ce propos parmi de nombreux autres rapports pour une information et une analyse de fond, ONU-CDI, Septième rapport sur les actes unilatéraux d’Etat, 22 avril 2004 ; ONU-CDI, Quatrième rapport sur les actes unilatéraux d’Etat, 30 mai 2001 ; ONU-CDI Second rapport sur les actes unilatéraux d’Etat, 14 avril 1999 ; ONU-CDI, Premier rapport sur les actes unilatéraux d’Etat, 5 mars 1998.
[19] Combacau et Sur, Op. Cit., page 213. Je recommande également la lecture de D. Anzilotti, Cours du droit international public 1929 ; Garner F., “The International Binding Force of Unilateral Oral Declarations”, American Journal of International Law, vol. 27 (1933), pages. 493 à 497 ; P. Guggenheim, “La Validité et la nullité des actes juridiques internationaux”, Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye, vol. 74 (1949-I), pages. 191 a 268 ; Kiss, “Les Actes unilatéraux dans la pratique française du droit international”, Revue générale de droit international public, vol. 65 (1961), pages. 317 a 331 ; L. Venturini, “La Portée et les effets juridiques des attitudes et des actes unilatéraux des États”, Recueil des cours ..., vol. 112 (1964-II), pages. 363 a 467 ; R. Quadri, “Cours général de droit international public”, Recueil des cours, vol. 113 (1964-III), pages. 237 à 483 ; Miaja de la Muela, “Los Actos Unilaterales en Las Relaciones Internacionales”, Revista Española de Derecho Internacional, vol. 19 (1967), pages. 429 à 464 ; J.-P., Jacqué, Éléments pour une théorie de l’acte juridique en droit international public (1972) ; F. Degan, “Acte et norme en droit international public”, Recueil des cours, vol. 227 (1991-II), pages. 357 a 418 ; De Visscher, “Remarques sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour internationale de Justice relative au fondement obligatoire des certains actes unilatéraux”, in J. Makarczyk (ed.), Études en l’honneur du Juge Manfred Lachs (1984), pages. 459 a 465 ; A. Dehaussy, “Les Actes juridiques unilatéraux en droit international public : à propos
d’une théorie restrictive”, Journal du droit international, vol. 92 (1965), pages. 41 a 66 ; Degan, “Unilateral Act as a Source of Particular International Law”, Finnish Yearbook of International Law, vol. 5 (1994), pages. 149-266 ; J. Barberis, “Los Actos Jurídicos Unilaterales como Fuente de Derecho Internacional Público”, in Hacia un nuevo orden internacional y Europeo : Estudios en homenaje al Profesor Don Manuel Diez de Velasco (1993), pages. 101 à 116 ; Charpentier Ch., “Engagements
unilatéraux et engagements conventionnels : différences et convergences”, in J. Makarczyk (ed.), Theory of international law at the threshold of the 21st century : essays in honour of Krzysztof Skubiszeswki (1997), pages. 367-a 380 ; Villagrán Kramer, “Les Actes unilatéraux dans le cadre de la jurisprudence internationale”, in Naciones Unidas, Le Droit international à l’aube du XXIe siècle : Réflexions de codificateurs (1997), pages. 137 à 161 ; y U. Skubiszewski, “Unilateral Acts of States”, en M. Bedjaoui (ed.), International Law : Achievements and Prospects (1991), pages 221 à 240.
[20] Voir note 16.
[21] La Doctrine Calvo du nom de son auteur, le juriste et diplomate argentin Carlos Calvo, est une doctrine latino-américaine de droit international établie en 1863 qui prévoit que les personnes physiques ou morales étrangères doivent se soumettre à la juridiction des tribunaux locaux pour les empêcher d’avoir recours aux pressions diplomatiques de leur Etat ou gouvernement. Cette doctrine bien qu’ayant revêtu une grande importance historique a été battue en brèche par l’action du CIRDI et la soumission croissante depuis les années 1980-1990 des pays latinoaméricains à celui ci ainsi qu’aux tribunaux étrangers des pays industrialisés (Note du Traducteur).
[22] Voir à ce sujet Ruiz Diaz Balbuena Hugo, Les IFIs : quelles obligations en matière des droits humains ? La question de la Responsabilité internationale pour violations des droits humains, Forum Mondial des Droits de l’Homme, Université de Nantes, juillet 2006. Egalement, Ruiz Diaz Balbuena Hugo, Chaire Facultés Saint Louis, Faculté de Droit, Spécialisation en Droits de l’Homme, Les Droits humains : la question de la Responsabilité internationale pour des violations des normes erga omnes et jus cogens, Bruxelles, 2007.
Avocat, chercheur au CADTM, Licence Spéciale en Droit International et Droit Européen, Maîtrise en Droit International et Droit Européen, Doctorat en Droit International (Droit des Relations économiques et commerciales internationales).
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