L’Afrique fracassée. Fric-frac : assez !

La dette de l’Afrique aujourd’hui

L’Afrique sans dette : Chapitre 9

29 mars 2005 par Damien Millet


Présenté à Addis Abéba le 21 mars 2005 pour le CADTM par Eric Toussaint [1]



Depuis vingt-cinq ans, la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
et l’ajustement structurel fracassent l’Afrique et la vie de la plupart des quelque 850 millions d’Africains. Après l’historique des dernières décennies, un bilan spécifique sur la dette africaine en 2005 s’impose. Ses ravages sur l’économie et les populations africaines sont tels que son annulation totale et inconditionnelle devient une exigence minimale de justice, et les arguments dans ce sens sont multiples. Mais il faut aussi détricoter le modèle économique néolibéral et le passage obligé est la rupture avec la logique imposée par le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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, afin que les peuples africains reprennent en main les leviers de commande, et soient en mesure de choisir un avenir conforme à leur identité. Car comme le dit Joseph Ki-Zerbo : « On ne développe pas, on se développe
 [2]. »

L’Afrique sans dette

Chapitre 1 L’Afrique libérée ?
Chapitre 2 L’Afrique ligotée
Chapitre 3 L’Afrique bridée
Chapitre 4 L’Afrique brisée
Chapitre 5 L’Afrique mutilée
Chapitre 6 L’Afrique trahie
Chapitre 7 L’Afrique incomprise
Chapitre 8 L’Afrique muselée
Chapitre 9 La dette de l’Afrique aujourd’hui

 Un endettement colossal

Depuis 1980, la dette extérieure publique (c’est-à-dire contractée par les pouvoirs publics ou garantie par eux) à long terme [3] de l’Afrique a continué sa progression effrénée. Celle de l’Afrique subsaharienne a été multipliée par 4, passant de 45 milliards de dollars en 1980 à 175 milliards en 2003. Les quatre pays d’Afrique du Nord [4] étaient déjà très endettés en 1980 (44 milliards de dollars à eux quatre, soit presque autant que tous les autres pays au sud du Sahara), et leur dette a doublé dans les années 1980 avant de se contracter légèrement : 75 milliards de dollars en 2003. La dette extérieure publique de l’ensemble de l’Afrique est donc passée de 89 milliards de dollars en 1980 à 250 milliards en 2003.

Pendant ce temps, les revenus par habitants ont stagné [5]. Dans le palmarès des pays africains endettés, on distingue facilement les fameux garde-chiourmes du Nepad (voir chapitre 8) :

 Un profil de dette qui se modifie

L’étude de la répartition suivant les différents créanciers montre qu’en 1980, les banques privées sont encore impliquées en Afrique, mais les institutions multilatérales sont assez peu présentes [6] :

Après la crise de la dette, les banques cherchent à se retirer des pays à risque. Depuis les années 1990 notamment, le reflux de la part privée de la dette (notamment la part bancaire) s’est accentué. Pour les pays pauvres, qui ne reçoivent plus de nouveaux prêts de la part des banques et qui n’ont pas accès aux marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
, les institutions internationales (Banque mondiale en tête) sont des interlocuteurs privilégiés. La part multilatérale s’accroît de façon importante :

 Afrique vache à lait

Le service de cette dette extérieure publique est bien sûr très élevé en regard des capacités financières du continent : 20 milliards de dollars en 2003, dont 10,5 pour l’Afrique subsaharienne. Afin d’y faire face, les institutions internationales prônent sans relâche des réformes économiques pour attirer les investissements privés, provenant notamment des firmes multinationales, à travers des privatisations ou des prises de participation. Mais ces investissements conduisent souvent à une perte de souveraineté de l’Etat dans des domaines stratégiques (énergie, eau, télécoms, etc.) et génèrent des profits qui fuient très vite le pays pour gagner la maison-mère des grands groupes et leurs principaux actionnaires. Ces rapatriements de profits se sont élevés à environ 9 milliards de dollars en 2003 et sont encouragés par la libéralisation de l’économie imposée par les programmes d’ajustement structurel.

 Une aide intéressée

Dans l’autre sens, les médias insistent à tort sur la prétendue générosité des pays riches, alors que les sommes sont ridicules à l’échelle de l’économie mondiale : entre 1958 et 2002, soit en 45 ans, le total de l’aide publique au développement (APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. ) reçue par l’Afrique s’élève à 1250 milliards de dollars [7], soit quinze mois de dépenses militaires mondiales. De plus, cette APD ne se dirige pas en priorité vers les pays qui en auraient le plus besoin et sert avant tout les intérêts géopolitiques du pays donateur : le principal récipiendaire de l’aide délivrée par les Etats-Unis est l’Egypte, et c’est l’Inde pour celle du Royaume-Uni. En 2002-2003, seulement 41 % de l’APD mondiale se dirigeait vers les 49 pays les moins avancés (PMA Pays moins avancés
PMA
Notion définie par l’ONU en fonction des critères suivants : faible revenu par habitant, faiblesse des ressources humaines et économie peu diversifiée. En 2020, la liste comprenait 47 pays, les derniers pays admis étant le Timor oriental et le Soudan du Sud. Elle n’en comptait que 26 il y a 40 ans.
) selon l’OCDE OCDE
Organisation de coopération et de développement économiques
Créée en 1960 et basée au Château de la Muette à Paris, l’OCDE regroupait en 2002 les quinze membres de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Suisse, la Norvège, l’Islande ; en Amérique du Nord, les USA et le Canada ; en Asie-Pacifique, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. La Turquie est le seul PED à en faire partie depuis le début pour des raisons géostratégiques. Entre 1994 et 1996, deux autres pays du Tiers Monde ont fait leur entrée dans l’OCDE : le Mexique qui forme l’ALENA avec ses deux voisins du Nord ; la Corée du Sud. Depuis 1995 et 2000, se sont ajoutés quatre pays de l’ancien bloc soviétique : la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie. Puis d’autres adhésions se sont produites : en 2010, le Chili, l’Estonie, Israël et la Slovénie, en 2016 la Lettonie, en 2018 la Lituanie et, en 2020, la Colombie est devenue le trente-septième membre.

Site : www.oecd.org
 [8], et la part qu’elle représente dans le revenu national brut d’un pays est très variable : moins de 5 % pour le Congo, le Soudan et le Kenya, contre plus de 50 % pour le Mozambique et Sao Tomé et Principe. Le montant total de l’aide délivrée à l’Afrique en 2002 s’élevait à 22,3 milliards de dollars, soit seulement 27 dollars par habitant. En termes absolus, les principaux bénéficiaires étaient le Mozambique (2,1 milliards de dollars), l’Ethiopie, l’Egypte et la Tanzanie (1,2-1,3 milliard de dollars). Mais une part non négligeable de cette aide est sous forme de prêts qui alourdissent encore la dette... Les dons représentent seulement 15 milliards de dollars.

Par ailleurs, l’efficacité de l’aide est très discutable puisqu’une part importante (achat d’aliments, de médicaments, d’équipements, coût du transport, missions d’experts, etc.) reste dans le pays qui fournit l’aide. Selon le président de la Banque mondiale lui-même [9], James Wolfensohn, il y a plus de 1500 projets en cours au Burkina Faso, et 63000 dans l’ensemble des pays en développement ; mais les frais d’étude, de voyage et de séjour d’experts originaires des pays industrialisés sont très élevés et absorbent entre 20 et 25 % de l’aide totale. En revanche, les sommes économisées par les travailleurs migrants et envoyées dans leur famille restée au pays fournissent des revenus essentiels, gérés très sagement, notamment dans des tontines ou des mutuelles de village : 11 milliards de dollars en 2003, dont 7 pour la seule Afrique du Nord.

 Redistribution en faveur des créanciers

Afin de comprendre en profondeur le mécanisme de la dette, il est important de s’intéresser au transfert net Transfert net On appellera transfert net sur la dette la différence entre les nouveaux prêts contractés par un pays ou une région et son service de la dette (remboursements annuels au titre de la dette - intérêts plus principal).

Le transfert financier net est positif quand le pays ou le continent concerné reçoit plus (en prêts) que ce qu’il rembourse. Il est négatif si les sommes remboursées sont supérieures aux sommes prêtées au pays ou au continent concerné.
, à savoir la différence entre les nouveaux prêts et le montant total des remboursements sur une période donnée. Ce transfert net est positif si les pays étudiés ont globalement profité de l’endettement sur cette période (même si cela appelle des remboursements importants pour l’avenir) ; il est négatif si, tous comptes faits, les pays ont transféré à leurs créanciers plus d’argent qu’ils n’en ont reçu. Alors, pour les pays africains, positif ou négatif ?

Négatif, et largement ! Entre 1997 et 2002, les pays africains ont envoyé l’équivalent de 45,5 milliards de dollars à leurs riches créanciers, dont 34,8 pour la seule Afrique du Nord. La dette provoque donc une véritable hémorragie de capitaux pour les pays les plus pauvres, les privant de ressources nécessaires à la satisfaction des besoins humains fondamentaux.

Dans le même ordre d’idées, le rapport 2004 de la CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
 [10] sur la dette africaine est très percutant sur le mécanisme de la dette qui appauvrit les pauvres pour enrichir les riches : « Entre 1970 et 2002, l’Afrique a reçu 540 milliards de dollars environ en prêts ; mais bien qu’elle ait remboursé près de 550 milliards de dollars en principal et intérêts, elle affichait encore un encours de dette de 295 milliards de dollars fin 2002 [11]. Les chiffres sont encore plus déconcertants pour l’Afrique subsaharienne, qui, ayant reçu 294 milliards de dollars en prêts et remboursé 268 milliards de dollars en service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. , reste cependant débitrice de quelque 210 milliards de dollars. La conclusion du rapport est que cela équivaut à un transfert inverse de ressources en provenance du continent le plus pauvre du monde [12]. »

 L’échec du modèle actuel

La logique imposée par le FMI et la Banque mondiale, et à travers eux par les créanciers les plus puissants, conduit sans aucun doute possible l’Afrique, et le monde, dans une impasse. Les déclarations empreintes d’autosatisfaction n’y changent rien. Quelle dose d’aveuglement peut permettre à Flemming Larsen, directeur du bureau européen du FMI, de déclarer : « L’Afrique a assez bien résisté à la crise mondiale [13]. » ? Comment ne pas voir que le point central est ailleurs, dans la misère galopante, conséquence du modèle économique que le FMI impose ? En 2000, le sommet de l’ONU a mis l’accent sur quelques indicateurs-cibles, appelés objectifs de développement du millénaire. Ces objectifs, fort modestes car ils ne visent pas la satisfaction universelle des besoins fondamentaux, sont les suivants :

  • Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est inférieur à 1 dollar par jour
  • Réduire de moitié, entre 1990 et 2015, la proportion de la population souffrant de la faim
  • Donner, d’ici 2015, à tous les enfants, garçons et fille, partout dans le monde, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires
  • Eliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici 2005 si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015 au plus tard
  • Réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de 15 ans
  • Réduire des trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle
  • Enrayer, d’ici à 2015, la propagation du VIH/sida et commencer d’inverser la tendance actuelle d’autres moyens de contraception
  • Enrayer, d’ici à 2015, la propagation de la malaria et d’autres grandes maladies, et commencer d’inverser la tendance actuelle
  • Intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales et inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales
  • Réduire de moitié, d’ici 2015, la proportion de la population dans les campagnes et dans les villes privée d’un accès régulier à l’eau potable
  • Parvenir, d’ici à 2020, à améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis
  • Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Tous les ans, un bilan est dressé. Très vite, les dés ont été jetés : la partie est perdue. Le PNUD PNUD
Programme des Nations unies pour le développement
Créé en 1965 et basé à New York, le PNUD est le principal organe d’assistance technique de l’ONU. Il aide - sans restriction politique - les pays en développement à se doter de services administratifs et techniques de base, forme des cadres, cherche à répondre à certains besoins essentiels des populations, prend l’initiative de programmes de coopération régionale, et coordonne, en principe, les activités sur place de l’ensemble des programmes opérationnels des Nations unies. Le PNUD s’appuie généralement sur un savoir-faire et des techniques occidentales, mais parmi son contingent d’experts, un tiers est originaire du Tiers-Monde. Le PNUD publie annuellement un Rapport sur le développement humain qui classe notamment les pays selon l’Indicateur de développement humain (IDH).
Site :
est formel [14] : « Au rythme actuel, l’Afrique subsaharienne ne respectera l’objectif de la scolarisation universelle dans le primaire qu’en 2129, ou l’objectif concernant la réduction de la mortalité infantile des deux tiers qu’en 2106 - dans 100 ans, au lieu des 11 ans qu’exigeraient les objectifs. Pour trois des objectifs, - la faim, la pauvreté du revenu et l’accès aux sanitaires -, on ne peut même pas fixer de date, car la situation dans la région, loin de s’améliorer, est en train de se dégrader. » Pour réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici 2015, il faudrait une croissance du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
par habitant de 5 % par an au moins, alors qu’elle fut en moyenne de -1,2 % dans les années 1980 et de -0,4 % dans les années 1990. Ainsi, sur l’ensemble du continent, seuls 6 pays sont susceptibles d’y arriver (Bénin, Cap Vert, Botswana, Guinée équatoriale, Malawi et Ouganda), tandis que 7 devraient attendre au moins jusqu’au siècle prochain (Guinée Bissau, Liberia, Sierra Leone, Zambie, RDC, Centrafrique, Zimbabwe)...

La CNUCED renchérit dans ce sens : « dans les conditions actuelles, il est illusoire d’escompter que le continent africain puisse atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Comme le Chancelier de l’Échiquier du Royaume-Uni, M. Gordon Brown, l’a déclaré avec force au début de cette année, »Au rythme actuel des choses, aucun des objectifs de développement du Millénaire ne sera réalisé en Afrique non seulement au cours des 10 prochaines années, mais au cours des 100 prochaines années.« . Cet échec peut être en partie imputé à l’endettement »insupportable« qui étouffe les perspectives de croissance du continent depuis deux décennies, d’après Jeffrey Sachs, conseiller économique spécial du Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan. Les dirigeants africains, dont le Premier Ministre éthiopien Meles Zenawi, ont commencé de se demander si l’Initiative PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
avait la capacité d’apporter un allégement approprié en matière de dette à ses bénéficiaires.
 » La dette est identifiée comme un facteur central dans cet échec : elle fut effectivement l’instrument des promoteurs du système actuel.

 Annuler, sans hésitation

Pourtant, rien ne peut autoriser le monde à choisir d’autres priorités majeures que la satisfaction universelle des besoins humains fondamentaux et la recherche de bien-être pour les populations les plus vulnérables. On est bien loin des critères financiers et géopolitiques qui dominent le système néolibéral, dont la dette est un centre nerveux. C’est pourquoi il est particulièrement pertinent de prendre comme angle d’attaque l’annulation de la dette extérieure publique du Tiers Monde et l’abandon des politiques d’ajustement structurel. Une synthèse des différents arguments dans ce sens s’impose, pour proclamer avec le réseau Jubilé Sud : “Nous ne devons rien, nous ne payons rien !

 Des arguments moraux

Tout d’abord, l’argument “quand on a des dettes, on les paie” ne tient plus dans le cas des pays africains, car la situation de crise a été déclenchée par des facteurs extérieurs indépendants de leur volonté (hausse des taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
, chute des cours des matières premières). De surcroît, cette dette est largement immorale car elle fut souvent contractée par des régimes non démocratiques, voire dictatoriaux, qui n’ont pas utilisé les sommes reçues dans l’intérêt de leurs populations. Les créanciers ont prêté en connaissance de cause, pour leur plus grand profit, ils ne sont donc pas en droit d’exiger des peuples qu’ils remboursent. La CNUCED parle de « l’impératif moral d’une responsabilité partagée, si l’on considère en particulier que les institutions de Bretton Woods ont exercé la plus grande influence sur les politiques de développement dans le continent par le biais des programmes d’ajustement structurel et des prêts correspondants, lesquels n’ont pas donné les résultats escomptés en matière de croissance et de développement. De plus, les prêts publics étaient dans une large mesure aussi assujettis à l’exécution de ces programmes, et une très grande partie de la dette de pays qui présentaient un intérêt géopolitique ou stratégique et étaient dotés de régimes corrompus est considérée comme »odieuse« . »

De plus, la dette est le principal obstacle à la satisfaction des besoins humains fondamentaux, comme l’accès à l’eau potable, à une alimentation décente, à des soins de santé de base, à une éducation primaire, à un logement correct, à des infrastructures satisfaisantes. En 2002, plus de 320 millions d’Africains étaient contraints de vivre avec moins de 1$ par jour et 210 millions d’Africains souffrent de la faim [15]. Environ 300 millions d’Africains n’ont pas un accès régulier à l’eau potable et sont privées d’infrastructures sanitaires. Chaque année, 5,5 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent en Afrique, soit plus de 15000 par jour, « victimes invisibles de la pauvreté », comme le dit le PNUD.

La dette opère donc une ponction insupportable sur les budgets des pays du Sud, les empêchant de garantir des conditions de vie décentes pour leurs citoyens. En moyenne, 38 % des budgets des pays d’Afrique subsaharienne vont au remboursement de la dette [16]. Il est immoral de demander en priorité le remboursement de la dette pour des créanciers aisés ou des spéculateurs plutôt que la satisfaction des besoins fondamentaux.

 Des arguments politiques

Suite aux plans d’ajustement structurel imposés par le FMI, l’essentiel de la politique économique des pays du Sud est décidée à l’extérieur du pays concerné, notamment à Washington, à Londres, à Paris ou à Bruxelles. La dette permet aux créanciers d’exercer des pouvoirs exorbitants sur les pays endettés. Les pays qui se sont soumis au diktat des créanciers représentés par le FMI et la Banque mondiale ont été au fil du temps contraints d’abandonner toute souveraineté. Les gouvernements ne sont plus en mesure de mettre en place la politique pour laquelle ils ont été élus. C’est une nouvelle colonisation.

Les ingérences sont nombreuses. L’année 2004 a vu par exemple une tentative grotesque de coup d’Etat en Guinée équatoriale, organisée par un groupe de 70 mercenaires dirigés par le Sud-Africain Nick du Toit et par Simon Mann, cofondateur de l’officine de mercenaires Executive Outcomes, dissoute en 1999. Tout porte à croire que l’opération fut financée par le fils de l’ancien Premier ministre britannique Mark Thatcher, dans le but d’installer au pouvoir l’opposant Severo Moto, soutenu par l’Espagne et la Grande-Bretagne. L’opération a échoué lamentablement, un avion de mercenaires se faisant intercepter au Zimbabwe, mais l’opération est révélatrice d’habitudes malsaines.

D’autre part, l’évacuation de plusieurs centaines de Français présents en Côte d’Ivoire en novembre 2004 n’est pas sans rapport avec la mainmise d’acteurs économiques français sur l’économie ivoirienne. Il faut savoir [17] qu’à la fin 2000, 210 filiales de grands groupes français étaient installées en Côte d’Ivoire, ayant réalisé des investissements pour 2,2 milliards d’euros, dans des domaines aussi divers que l’eau (Bouygues-Saur), l’électricité (EDF), les télécoms (France Télécom), le raffinage du pétrole (Total), les transports (Bolloré), la banque (BNP Paribas, Crédit lyonnais, Société générale), etc. Ces entreprises françaises assurent 25 % du PIB de la Côte d’Ivoire et plus de la moitié de ses recettes fiscales. L’exaspération des Ivoiriens devant cet état de fait, instrumentalisée par un pouvoir sans scrupules, conduit à l’impasse actuelle. Pourtant, la France maintient ses bases militaires en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad, au Gabon, à Djibouti, en Centrafrique, mais jusqu’à quand ?

La responsabilité écrasante des grands argentiers est reprise par la CNUCED, qui dénonce « l’idée couramment répandue que le surendettement de l’Afrique est tout simplement l’héritage de gouvernements africains irresponsables et corrompus. Si cette idée n’est pas entièrement dénuée de fondement, en particulier au regard de ce qu’a été la politique de la guerre froide, ce sont bien les chocs extérieurs, la dépendance à l’égard des produits de base, des programmes de réforme mal conçus et l’attitude des créanciers qui ont joué un rôle décisif dans la crise de la dette. Une analyse plus nuancée montre que le profil de la dette est passé de la »viabilité« dans les années 70 à la »crise« dans la première moitié des années 80, la majeure partie de la dette ayant été contractée entre 1985 et 1995 dans le cadre des programmes d’ajustement structurel et sous la surveillance étroite des institutions de Bretton Woods. »

Loin de favoriser les dictatures, contrairement au système actuel, une véritable annulation de la dette et la rétrocession, sous l’entier contrôle des populations, des fonds détournés par les dirigeants du Sud avec la complicité des créanciers seraient en mesure de mettre à bas des régimes autoritaires et corrompus. Dette, corruption et dictature sont des facettes d’un même problème, la preuve en est faite par la situation du monde d’aujourd’hui.

Le manque de volonté politique est manifeste, selon la CNUCED : « Au cours des deux dernières décennies, nombreuses ont été les grandes opérations de sauvetage engagées au niveau national ou international dès lors que l’on appréhendait un risque pour les marchés financiers. Si la dette extérieure de l’Afrique représente un énorme fardeau pour les pays endettés, elle n’a néanmoins pas encore mobilisé la volonté politique requise pour que les créanciers prennent des initiatives analogues. »

 Des arguments économiques

D’une part, la dette a déjà été remboursée plusieurs fois : pour 1 $ dû en 1980, les Etats africains ont remboursé 4 $ mais en doivent encore 2,5 ! Elle a donc cessé de faire l’objet d’un remboursement équitable dans des conditions régulières, pour devenir un instrument de domination implacable, dissimulant racket et pillage. Tout compte fait, la dette organise un transfert de richesses des populations du Sud vers leurs riches créanciers, on l’a vu en étudiant le transfert net, fortement négatif pour l’Afrique. Comme le dit la CNUCED, prônant « une annulation totale de la dette de l’Afrique » : « La poursuite du service de la dette par les pays africains constituerait un transfert inverse de ressources au profit des créanciers de la part d’un groupe de pays dont tout indique qu’ils en ont moins que d’autres les moyens ».

En outre, les infrastructures et les services publics essentiels représentent de puissants facteurs de croissance endogène. Or tout investissement public conséquent est rendu impossible par le poids de la dette et la contrainte d’austérité budgétaire qu’il implique. L’annulation de la dette peut donc être un puissant facteur de relance de l’économie mondiale.

 Des arguments juridiques

Le droit international reconnaît la nécessité de prendre en compte la nature du régime qui a contracté les dettes, et l’utilisation qui a été faite des fonds versés. Cela implique une responsabilité directe des créanciers. La doctrine de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
a été conceptualisée en 1927 par Alexander Nahum Sack, ancien ministre de du tsar Nicolas II et professeur de droit à Paris : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. » Ainsi, si un régime dictatorial est remplacé par un régime légitime, ce dernier peut prouver que les dettes n’ont pas été contractées dans l’intérêt de la nation ou l’ont été à des fins odieuses. Dans ce cas, elles peuvent être frappées de nullité et les créanciers n’ont qu’à se retourner vers les dirigeants de la dictature à titre personnel. Le FMI, la Banque mondiale ou tout autre créancier est tenu de contrôler que les prêts octroyés sont licitement utilisés, surtout qu’il ne peut ignorer qu’il traite avec un régime illégitime. Les mouvements sociaux doivent rappeler avec force que le droit international, et en particulier la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, sont incompatibles avec le remboursement d’une dette immorale, et bien souvent odieuse.

 Des arguments écologiques

Depuis plusieurs siècles, les ressources du Sud sont exploitées au bénéfice exclusif des pays riches. La force, nécessaire à l’époque pour s’emparer de ces richesses, est désormais remplacée par les plans d’ajustement structurel. Pour se procurer les devises nécessaires au remboursement de la dette ou se maintenir au pouvoir, les gouvernements sont prêts à surexploiter et à brader les ressources naturelles, à mettre en péril la biodiversité, à favoriser la déforestation, l’érosion des sols, la désertification. En Afrique, 65 % des terres cultivables ont été dégradées au cours des cinquante dernières années. Selon Joseph Ki-Zerbo, « la Côte d’Ivoire a perdu les deux tiers de sa forêt au cours du 20e siècle  [18] ».

Les plans d’ajustement structurel exigés par les créanciers impliquent des politiques qui structurellement aboutissent à une dégradation de l’environnement car elles ôtent à l’État la responsabilité de gérer dans l’intérêt commun le territoire, les ressources naturelles, les équilibres écologiques... Les conditions environnementales sont donc très insuffisamment prises en compte dans le système actuel, contrairement aux intérêts économiques, financiers et géopolitiques. Annuler la dette et permettre enfin aux populations de décider de l’affectation des fonds les concernant est l’unique moyen d’intégrer la donne écologique à la notion de développement.

 Des arguments historiques

Après cinq siècles de pillage, d’esclavage et de colonisation et vingt années d’ajustement structurel, les populations du Sud sont en droit d’exiger des réparations pour toutes les souffrances subies et causées par un mécanisme invisible mis en place par les créanciers du Nord et les classes dominantes du Sud qui les appuient. L’annulation totale de cette dette est la première des réparations. A ce titre, les mouvements sociaux doivent réclamer aux gouvernements du Sud la répudiation de la dette financière envers le Nord. Pourtant, la plupart des gouvernements du Sud s’inscrivent dans la logique néolibérale qui a organisé ce système inique de l’endettement, alors qu’ils sont censés œuvrer pour le bien de leur pays. Par conséquent, les populations du Sud sont en droit de réclamer aux classes dominantes du Nord et du Sud des réparations exigibles immédiatement.

 L’Afrique révoltée ?

Cette annulation totale de la dette extérieure publique devra aller de pair avec des procédures judiciaires sur les fonds détournés par les classes dominantes. Ils devront alors être rétrocédés aux populations et placés dans des fonds de développement nationaux destinés à financer des projets définis et contrôlés par les populations concernées, par exemple sur le modèle du budget participatif pratiqué à Porto Alegre (Brésil). Par ailleurs, il s’agit de mettre en place un financement alternatif du développement : abandonner l’ajustement structurel, développer des accords régionaux, tripler l’aide publique au développement afin que les États du Nord respectent enfin leurs engagements, taxer la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
internationale, instaurer des mesures fiscales permettant vraiment de redistribuer les richesses, etc. Les populations du Sud doivent enfin pouvoir profiter pleinement de leurs richesses, tant naturelles qu’humaines ou financières, injustement captées aujourd’hui par les riches créanciers du Nord, s’appuyant sur la puissance du FMI et de la Banque mondiale, et bénéficiant de la complicité des riches du Sud. Il est donc primordial de poursuivre pénalement les institutions financières internationales pour complicité avec des régimes dictatoriaux et pillage des ressources naturelles. Il y a urgence à mettre en œuvre ces mesures seules capables de construire des relations justes et équitables entre les populations du monde. Il y a urgence à donner les moyens aux peuples africains de décider seuls de leur avenir. Il y a urgence à démasquer les responsabilités des marionnettistes dans la situation actuelle, pour ne plus laisser une marionnette comme le président centrafricain déclarer : « Les responsables, ce sont tous les Centrafricains. Inutile de chercher ailleurs [19]. »

Forts de ce constat, les peuples africains et tous les mouvements altermondialistes doivent s’attaquer à la logique d’un système dont la faillite est patente mais qui ne pourra changer que sous la pression d’une très large mobilisation internationale. Aujourd’hui, plus d’un Africain sur deux vit sous le seuil de pauvreté [20]. Pourtant l’Afrique rembourse sa dette. De la prise de conscience doit venir l’énergie de dire stop, et de construire un modèle socialement juste et écologiquement soutenable.


Notes

[1Eric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège (Belgique) et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, auteur de La Finance contre les peuples. La Bourse ou la Vie, coédition CADTM / Syllepse / CETIM, Liège, Paris, Genève, 2004, 640 pages.

[2Voir Ki-Zerbo.

[3Contractée sur une durée supérieure à un an.

[4Rappelons que la Libye n’est pas prise en compte ici, car non encore répertoriée dans les statistiques de la Banque mondiale. Mais après le revirement de Kadhafi dans un sens pro-occidental, cela ne saurait tarder...

[5voir cnuced

[6Voir chapitre 2.

[7Voir L’Humanité, 6 août 2004.

[8Voir OCDE, Direction de la coopération pour le développement (CAD), Annexe statistique de la publication ’Coopération pour le développement, Rapport 2004’

[9JAI, 2 mars 2003.

[10CNUCED. Le développement économique en Afrique. Endettement viable : Oasis ou mirage ?, septembre 2004.

[11Ce chiffre inclut toute la dette extérieure de l’Afrique, pas seulement celle qui concerne les pouvoirs publics. On y trouve aussi la dette contractée par des entreprises privées et non garantie par l’Etat.

[12Voir etc

[13Libé, 27/09/2002

[14PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004.

[15FAO, SOFI 2004.

[16Chiffre cité par Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, en 2000, au sommet du G7 d’Okinawa.

[17JAI, 26/10/2003

[18Voir Ki-Zerbo Joseph. A quand l’Afrique ?. L’Aube, 2003.

[19JAI, 31/10/04

[20JAI, 15/8/04

Damien Millet

professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).

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