Deux grandes questions autour de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
étaient à l’ordre du jour du G8
G8
Ce groupe correspond au G7 plus la Fédération de Russie qui, présente officieusement depuis 1995, y siège à part entière depuis juin 2002.
américain, début juin : l’initiative en faveur de pays pauvres très endettés
PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.
Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.
Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.
Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.
Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.
Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(IPPTE) et l’Irak.
Reculer pour mieux sauter ?
L’IPPTE de 1996 avait déçu par la lenteur de sa mise en œuvre. L’IPPTE de 1999 devait résoudre la question : fin 2000, la dette ne devait plus être un problème pour les pays pauvres... On connaît la suite : report à fin 2002, puis report à fin 2004. Alors que l’échec est toujours patent, on aurait pu penser que les 8 pays les plus riches du monde se résoudraient à en tirer les leçons. La mise en place d’une évaluation indépendante, s’appuyant sur les propositions de tous les acteurs concernés (pays endettés, pays créanciers, institutions internationales, société civile, experts), semble s’imposer afin d’apporter une solution réellement large, juste et durable à la question de la dette des pays du Sud.
Et pourtant, le G8 persiste et signe. Dans la déclaration finale de Sea Island, il se contente de proroger l’initiative jusque fin 2006 et de prendre des mesures « de raccroc » (topping-up) pour que le ratio dette/exportations ne dépasse pas trop le seuil arbitraire des 150% qu’il a fixé. Et même ces mesures risquent de faire l’objet d’âpres discussions au sein des IFI pour chaque nouveau pays concerné, comme ce fut le cas récemment pour le Niger et l’Ethiopie. Le montant total en jeu est pourtant mince : 1 Md $.
Pour l’Irak, tous les efforts sont permis
Concernant la dette irakienne, les termes du débat ne sont évidemment pas les mêmes : l’énorme marché de la reconstruction et la manne pétrolière sont en jeu et les concessions envisagées par les différents pays du G8 ne sont que le reflet des intérêts en présence. Les Etats-Unis mènent le bal : ils ont plaidé pour une annulation de 95% de la dette irakienne (estimée à plus de 120 Mds $). Hormis Poutine et Schröder, qui marchandent ouvertement le « pactole » irakien, les dirigeants du G8 habillent leurs intérêts économiques respectifs de moult considérations morales.
L’administration Bush a ainsi brandi la doctrine de la dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, avant de se replier sur la rhétorique de l’apitoiement sur le sort du peuple irakien. A Sea Island, Washington aurait même, selon The Guardian (08/06/2004), envisagé un temps une annulation de 100% de la dette des PPTE, en échange d’un soutien international à l’annulation massive de la dette irakienne et à son plan de démocratisation - forcée - du Grand Moyen Orient. Selon des sources officieuses, le Trésor US aurait en fait avancé seul cette hypothèse, contre l’avis de la Maison blanche... et dans le but de diminuer le poids de la Banque mondiale
Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.
En 2022, 189 pays en sont membres.
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(perçue comme trop progressiste) [1]. Quant à la France, elle fait de la résistance, en ne concédant pas plus de 50%. Jacques Chirac, estime en effet qu’il ne serait « pas convenable » de « faire en trois mois pour l’Irak plus que l’on a fait en dix ans pour les trente-sept pays les plus pauvres et les plus endettés du monde ».
Sa critique est pertinente, mais sa conclusion, erronée. Car il ne s’agit pas d’opposer le sort de l’Irak à celui des pays pauvres, ni d’annuler la dette de l’un OU de l’autre. Il s’agit de mettre en place des critères précisant quand il faut annuler, ou non, une créance. En dénonçant, implicitement, le fait que les annulations de dette répondent aujourd’hui à la loi du plus riche, Chirac devrait aller au bout du raisonnement et demander la mise en place d’un droit international de la dette, défini conjointement pas les pays débiteurs et créanciers, qui préciserait les conditions de validité de l’endettement et les critères d’un endettement supportable. Or, si l’on se fonde sur les principes généraux du droit des contrats, qui sont à la base de la doctrine de la dette odieuse, et sur les travaux sur la dette de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies, il est probablement juste d’annuler 100% de la dette de la plupart des PPTE ET de l’Irak, sans même parler des autres pays du Sud.
Extrait de Info Dette n°3, avril- juillet 2004. « Info Dette » est le bulletin d’information électronique de DETTE & DEVELOPPEMENT, la plate-forme d’information et d’action sur la dette des pays du Sud (France). Visitez www.dette2000.org.
[1] Les montants consacrés à une annulation de 100 % auraient probablement empiété sur le renflouement, en cours de négociation, de l’association internationale pour le développement (AID) de la Banque mondiale.
Le Monde
Les pays pauvres éternelles victimes de la crise30 novembre 2008, par Jean Merckaert