La nature évolutive de la dette des pays en développement et solutions pour le changement

Un document d’analyse Eurodad

14 mars 2017 par Bodo Ellmers


CC - Flickr - AK Rockefeller

Ce document d’analyse Eurodad est publié alors que les conséquences de la dernière crise financière mondiale, qui a débuté il y a presque dix ans, se font toujours ressentir dans de nombreux pays. Au même moment, une nouvelle crise de la dette, provoquée par des flux de capitaux volatiles et une chute du prix des matières premières, a déjà touché certains pays des régions en développement.



Résumé :

Dans les pays en développement, le poids de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
a atteint des sommets record. Lorsque les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ont été adoptés en 2000, les pays en développement se sont vus mis au défi de financer la mise en œuvre de ces objectifs tout en assumant une dette extérieure s’élevant à 1400 milliards d’USD. Maintenant que les Objectifs de développement durable (ODD), dont la portée est beaucoup plus vaste mais qui sont également plus coûteux, ont été adoptés, ces pays doivent ajouter le financement de ces objectifs au service d’une dette contractée par des débiteurs privés et publics et dont le montant a entre-temps triplé pour atteindre les 5400 milliards d’USD. Le service de ces dettes en cours coûte 575 milliards d’USD par an aux pays en développement.

Étant donné que la plupart des économies concernées se sont fortement développées au cours des 15 dernières années, la portion du revenu national ou de la recette d’exportation que représente la charge de la dette a diminué. Cette diminution découle en partie des initiatives d’allègement de la dette lancées au cours des premières années de mise en œuvre des OMD. Ces initiatives ne pourront cependant pas appuyer la mise en œuvre des ODD car elles n’existent plus. Si le poids relatif des dettes a chuté entre 2000 et 2010, la tendance s’est ensuite inversée. Ainsi, depuis 2011, la dette grimpe, même lorsqu’elle est estimée sous forme de ratios.

Le plus frappant reste cependant les changements en termes de composition et d’instruments de la dette. Dans les pays en développement, la dette publique provient de plus en plus d’emprunts contractés auprès de prêteurs privés. Cette tendance minimise le rôle des prêteurs publics, et plus particulièrement des prêteurs bilatéraux, qui ne représentent plus que 16 % de l’encours de la dette, contre un pourcentage presque deux fois plus élevé auparavant (33 %). Les prêteurs privés ont eux aussi changé : les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
ont détrôné les emprunts en tant que forme prédominante d’emprunt à des prêteurs privés. Simultanément, la proportion d’obligations a doublé, passant de 21 à 42 % de l’encours de la dette. Depuis 2004, 23 pays ont commencé à lancer des obligations sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Les prêts et emprunts nationaux sont également à la mode, tout comme les prêts octroyés par de nouveaux créanciers publics issus d’économies émergentes.

La nature évolutive de la dette implique que les nouvelles crises de la dette seront différentes des crises précédentes. Une pléthore de porteurs d’obligations et d’investisseurs d’origines diverses s’est mise à octroyer des prêts à des pays qui jusqu’ici ne pouvaient emprunter qu’à une poignée de banques privées et publiques. L’ancien régime de gestion de la dette, dont a hérité le programme de développement durable (à l’horizon 2030), n’a jamais vraiment permis de mettre les emprunts au profit du développement, de prévenir les crises de la dette ou de résoudre ces dernières de façon équitable, rapide, et durable. La mauvaise nouvelle, c’est que la situation ne fait qu’empirer.

Certaines institutions spécialisées ont été créées à une époque où la dette provenait principalement de créanciers publics. Il s’est avéré que ces institutions, dont le rôle était de gérer la problématique de la crise, travaillaient bien trop lentement et étaient sous la coupe des créanciers. Au final, elles ont causé bien des torts.

Certains prêteurs ont mis en place des mesures de sauvegarde afin d’éviter ces torts. On compte parmi les exemples les mesures de sauvegarde de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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ou le Cadre de viabilité de la dette du Fonds monétaire international FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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(FMI). Cependant, les sommes provenant de ces prêteurs représentent une portion décroissante du financement total reçu par les débiteurs. Aujourd’hui, l’institution prépondérante dans le domaine de la résolution des crises de la dette est le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
. Le type de dette auquel s’intéresse ce groupe de créanciers publics bilatéraux représente toutefois une portion décroissante de la dette totale, et donc des problèmes que celle-ci implique.

Une proportion croissante de crédits n’est couverte par aucune forme de réglementation en vigueur et tombe donc dans un vide réglementaire. Si la configuration de la dette a considérablement changé, les institutions chargées de prévenir et de résoudre les crises de la dette n’ont pas réussi à se moderniser en conséquence. Le nombre croissant de créanciers représentant différents types de dette rend la mise en place d’une solution globale et coordonnée de plus en plus difficile.

La nature évolutive de la dette implique qu’il est nécessaire de trouver des solutions adaptées à la situation actuelle afin d’évoluer vers un régime de gestion de la dette qui permettra aux pays concernés de continuer à se développer tout en mettant au point un système de prévention et de résolution des crises de la dette capable de s’attaquer à l’ensemble de l’encours de la dette (dette des secteurs privé et public, extérieure comme intérieure). La bonne nouvelle, c’est que ça ne date pas d’hier.

Beaucoup d’efforts ont déjà été fournis afin de concevoir des régimes de gestion de la dette qui favoriseraient le développement des pays concernés en ce 21e siècle. Nous retiendrons trois procédés visant la mise en place d’un tel régime à l’échelle internationale :

- Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté des Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme afin d’augmenter la contribution des prêts au développement et de protéger le peuple et ledit développement des dommages que peut causer la dette.

- La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement
CNUCED
Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Elle a été créée en 1964, sous la pression des pays en voie de développement pour faire contrepoids au GATT. Depuis les années 1980, elle est progressivement rentrée dans le rang en se conformant de plus en plus à l’orientation dominante dans des institutions comme la Banque mondiale et le FMI.
Site web : http://www.unctad.org
(CNUCED) s’est basée sur des concepts développés auparavant par des organisations de la société civile telles qu’Eurodad pour créer des Principes pour la promotion de prêts et d’emprunts souverains responsables afin d’augmenter la contribution des prêts au développement et d’éviter les crises de la dette.

- Les Nations Unies et le FMI ont quant à eux tenté de ettre au point un régime d’insolvabilité pour les débiteurs souverains (en d’autres termes, un mécanisme de résolution de la dette pour les États) afin de résoudre les crises de la dette de façon équitable, rapide et durable.

La prochaine étape consiste principalement à surmonter les blocages politiques en place afin de mettre en pratique ces propositions. L’établissement d’un régime est un processus laborieux. En fonction des opportunités politiques qui y sont liées, les innovations peuvent se produire progressivement ou par coups d’éclat ; elles peuvent découler d’un accord international ou être réalisées à l’échelle nationale et prendre de l’ampleur jusqu’à atteindre, par la suite, l’échelle internationale. Dans tous les cas de figure, l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
citoyenne jouera un rôle clé.


Source : Eurodad