Contre une bureaucratie tatillonne ou prédatrice, pour une approche véritablement participative

La passion institutionnelle

27 décembre 2006 par Charles Bonifacio




L’aide internationale a tendance à stagner et de nombreux grands pays diminuent leur intervention (Italie, Royaume Uni, Canada, France). De toute façon, cette aide correspond-elle aux besoins des populations les plus démunies de la planète - 20% de la population mondiale - dans le cadre de la globalisation Globalisation (voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)

Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
triomphante des dernières décennies ?

En fait, la manière dont les ressources de l’APD APD On appelle aide publique au développement les dons ou les prêts consentis à des conditions financières privilégiées accordés par des organismes publics des pays industrialisés à des pays en développement. Il suffit donc qu’un prêt soit consenti à un taux inférieur à celui du marché pour qu’il soit considéré comme prêt concessionnel et donc comme une aide, même s’il est ensuite remboursé jusqu’au dernier centime par le pays bénéficiaire. Les prêts bilatéraux liés (qui obligent le pays bénéficiaire à acheter des produits ou des services au pays prêteur) et les annulations de dette font aussi partie de l’APD, ce qui est inadmissible. sont allouées est aussi déterminante sinon plus que leur montant ou leur allocation. En effet, de nombreux programmes ne correspondent pas aux priorités des populations ou alors, quand les études préalables ont été correctement réalisées, leur mise en œuvre est laissée à des administrations irresponsables qui « utilisent mal les fonds » selon la langue de bois de la gouvernance... Que penser, d’ailleurs, de tous ces projets orientés vers le soulagement de la pauvreté dont les fonds servent essentiellement à payer des salaires ou des 4X4, des voyages ou des résidences à des nantis issus des hiérarchies locales ou internationales ? Les experts de la Banque Mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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voyagent en business class et ne descendent que dans les meilleurs hôtels. La dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des Etats « bénéficiaires » est alourdie en augmentant le désespoir des plus pauvres.

Les experts se cachent derrière le parapluie de l’approche participative en interrogeant superficiellement des fonctionnaires plus ou moins compétents sans toucher vraiment les « bénéficiaires » qu’ils survolent au cours de rapides missions sur le terrain. Souvent, l’approche participative ne sert qu’à vérifier des présupposés (ou cadres logiques) issus de l’expertise internationale plutôt qu’à établir une véritable communication avec des bénéficiaires d’accès difficile à cause des distances géographiques ou du fossé culturel qui les sépare des « développeurs. Il arrive même que des bailleurs (Banque Mondiale) créent des associations artificielles récipiendaires de l’aide pour représenter les bénéficiaires (projets d’irrigation au Mali, au Niger et au Burkina). En fait, ces associations représentent la même classe de nantis qui s’enrichit grâce à l’aide aux plus pauvres. Que dire de certains systèmes de microfinance (inutiles, coûteux et prédateurs) qui bénéficient aux bureaux d’études internationaux qui les mettent en œuvre en profitant de la mode de la microfinance, l’une des rares réussites de ces décennies désespérantes de non développement ?
Car seuls les missionnaires, les fous ou les artistes s’impliquent dans les projets de développement où le progrès socio-économique est le dernier souci d’acteurs-prédateurs. Blancs et Noirs se partagent le gâteau, les projets représentant avant tout des ressources économiques ou des avantages politiques pour les cadres et techniciens locaux, les experts européens ou occidentalisés, les représentants des gouvernements et des administrations, la bureaucratie internationale, nouvelle nomenklatura qui gère le développement depuis les grandes capitales...

La situation est grave à la ville comme à la campagne. En ville, l’intermède colonial a abouti à une reformulation du pouvoir en accordant des privilèges exorbitants à une bureaucratie qui n’a pas le sens de l’Etat et utilise sa position pour s’enrichir ou placer sa (grande) famille. Le système est dans un état avancé de délabrement avec la chute du cours des matières premières, l’accumulation de la dette et la faillite des Etats. La vie de la population urbaine (dont la croissance est d’environ 6% par an) est devenue une course de fond épuisante à la recherche de moyens de subsistance. Dans le monde rural, où la croissance démographique moyenne a été de 3% au cours de la dernière décennie, la croissance agricole n’a pas suivi : elle s’élève à 2%. Quant à l’aide internationale dans ce désastre, elle a surtout servi à maintenir au pouvoir la classe urbaine et prédatrice des fonctionnaires en finançant « des structures d’encadrement » (voir la plupart des grands projets agricoles) plutôt que des politiques agricoles. Elle a aussi permis à une caste cosmopolite de « développeurs » de vivre confortablement une aventure exotique. Economiquement, ses résultats sont presque nuls ! Quant aux populations-cibles, elles bénéficient d’un faible pourcentage des dépenses engagées (35% au maximum). Sont-elles seulement consultées, interrogées ou informées ? Non, elles sont absentes des circuits de décision et elles ignorent les règles d’un jeu qui les concerne au plus haut point... Quid de l’intérêt général dans ce guêpier ? Le mot est ésotérique. D’ailleurs, récompense-t-on ou sanctionne-t-on la gestion d’un programme en appliquant ici l’un des crédos du libéralisme ? Non, murmurent quelques renégats, autrement une grande partie des développeurs aurait disparu...

Ainsi, les procédures et le juridisme de l’Union Européenne nuisent considérablement à la mise en œuvre des projets de l’UE à travers le monde. Il faut, par exemple, répondre systématiquement à des Appels d’Offre avant la réalisation d’une quelconque action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
sur le terrain, ce qui profite en général aux grands bureaux d’études qui connaissent la technologie très complexe des Appels d’Offre de l’UE (voir les sites de l’Union Européenne dans ce domaine). De surcroît, ces procédures retardent considérablement la mise en œuvre des projets et, souvent, les sommes budgétées pour des programmes de développement ne peuvent pas être dépensées à cause des retards accumulés pour être en conformité avec des procédures inutiles pour ne pas dire kafkaïennes. Et quand, la personne chargée de faire appliquer ces procédures est « tatillonne », alors c’est l’enfer, un conseiller financier pouvant bloquer ou ralentir tous les projets à l’intérieur du pays où il sévit.

Seules quelques ONGs et agences bilatérales, souvent celles de petits pays sans ambition (néo)coloniale, obtiennent de meilleurs résultats sur le terrain. Leur approche est plus orientée vers les bénéficiaires que vers les administrations supposées les représenter. Les procédures de l’aide sont simplifiées et c’est le bon sens plutôt que l’application de procédures compliquées qui décide de la réalisation d’un projet. L’approche administrative a été réduite à son minimum. D’ailleurs, la coopération au raz du sol et la communication avec les bénéficiaires sont les clefs de la réussite sur le terrain.

Au contraire, les coopérations plus lourdes qui, parfois, n’ont pas un seul assistant technique pour suivre les décaissements et la mise en œuvre de leurs projets, enregistrent échec sur échec. Quand un projet devient une success story, c’est toujours grâce au dynamisme exceptionnel des équipes en place qui ont voulu et su passer à travers le tissu complexe des procédures, des oukases gouvernementaux et/ou des diktats lancés par des bureaucrates internationaux à mille lieux des réalités du terrain. Par exemple, le PPPMER financé au Rwanda par la FIDA - projet pour la promotion des petites et micro entreprises rurales - a obtenu des résultats remarquables : entre 1998 et 2002, 78% des entreprises touchées ont augmenté leur fonds de roulement et leur chiffre d’affaires ; 75% la valeur de leurs biens et équipements. L’accès au crédit a été généralisé et le nombre des épargnants a doublé dans les districts couverts par le projet. L’impact du projet a été aussi important sur les conditions de vie des communautés rurales...

En fait, tout repose sur l’équipe chargée de manager le projet sur le terrain et sur le coaching qui est fait au niveau des bailleurs de fonds ! Le développement est possible et la pauvreté peut être combattue, mais il faut la traquer au quotidien par des puits, des écoles, des canaux d’irrigation plutôt que par l’injection de millions de dollars que l’on surveille à travers un arsenal administratif. Si l’augmentation de l’aide au développement est un devoir pour les plus riches nations de la planète, les procédures d’octroi de cette aide doivent changer de manière drastique car, souvent, cette aide ne sert à rien.