Le FMI poursuit sa route en Ukraine (partie 4)

La réforme sur la répartition des droits de vote du FMI est à nouveau bloquée par son actionnaire majoritaire

20 mai 2014 par Jérôme Duval


Au cours de cette série, l’histoire tumultueuse du FMI en Ukraine est décryptée depuis le déclenchement de la crise de 2007/2008 jusqu’à aujourd’hui, avec une attention particulière sur la période post-insurrectionnelle de 2014. Le plan d’endettement approuvé au forceps par le gouvernement non élu à l’issue du mouvement révolutionnaire est une aubaine pour l’institution et lui permet de renforcer ses recettes capitalistes dans l’ancienne Union soviétique.



La réforme du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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est rejetée et le versement pour l’Ukraine approuvé

Depuis sa création, la structure du pouvoir au sein du FMI bénéficie aux États-Unis et à ses alliés victorieux au sortir de la seconde guerre mondiale. Profondément inégale, cette répartition du pouvoir qui repose sur la règle « 1 dollar = 1 vote », est de plus en plus contesté par les pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». qui veulent leur part du gâteau. Cette querelle exclue de fait les pays pauvres et appauvris, comme l’Ukraine, qui n’ont jamais eu et n’auront pas voix au chapitre au sein de cette institution tant que celle-ci existera. En effet, les États-Unis possèdent une minorité de blocage puisque les décisions importantes nécessitent 85% des voix alors qu’ils détiennent à eux seuls 16,75% des droits de vote. Ils conservent ainsi leur droit de veto depuis la création du Fonds en 1945. L’Ukraine qui fait partie d’un groupe de 16 pays ayant droit à un seul siège sur 24 au Conseil des gouverneurs, n’en détient actuellement que 0,57% [1].


Les États-Unis bloquent à nouveau la réforme des quotes-parts du FMI

Pour tenter d’établir un semblant de démocratie, et satisfaire la demande des pays émergents, une réforme sur l’augmentation des quotes-parts [2] et le transfert des droits de vote est finalement approuvée par les États membres à la réunion de printemps du FMI en avril 2008 [3]. Le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. à Pittsburgh en 2009, confirme son accord pour transférer 5% des droits de vote - 3% pour la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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qui fonctionne aussi selon la règle « 1 dollar = 1 vote » - des pays riches sur-représentés (notamment la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France) vers les pays émergents. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, a à nouveau interpellé les pays membres du Fonds en janvier 2014 pour une meilleure répartition donnant plus de pouvoir aux pays émergents. Alors qu’elle détient à peine plus de droits de vote que l’Italie (3,81 % contre 3,16 % respectivement) et moins que la France (4,29 %), l’enjeu permettrait à la Chine de devenir le 3e membre le plus important de l’institution.

La réforme poursuit son cours interminable et est approuvée cette fois par le Conseil d’administration du FMI fin 2010. Elle renforcerait par ailleurs les moyens d’intervention du Fonds en doublant les ressources permanentes des quotes-parts, pour les porter à environ 755 milliards de dollars [4] sans que les États-Unis aient a contribuer plus. En apportant plus de capitaux cela permet aussi aux pays émergents, comme la Chine, la Turquie, l’Inde, le Brésil, le Mexique ou la Corée du Sud de relever leur quotes-parts, et leurs droits de votes en conséquence. Les pays émergents et en développement passeraient de 39,4% à 44,7%, au dépend des pays les plus riches qui ne perdraient que 5,3 points de pourcentage et conserveraient plus de 55 % des voix. Cette « mini-réforme » ne remettrait donc pas en cause le rapport de force en faveur des États-Unis et des pays riches qui règne au sein de l’institution basée à Washington depuis sa création. Les grands perdants seraient sans surprise les pays appauvris – aussi appelés pays en développement - et notamment les pays africains qui perdraient 0,4 points de pourcentage alors qu’il ne détiennent que 6,8 % de droits de vote.


L’Ukraine révèle le refus catégorique des républicains à tout changement au sein du FMI

La crise ukrainienne a été le prétexte pour les États-Unis de relancer le débat sur cette réforme de la gouvernance du Fonds. L’administration Obama (démocrate) a voulu l’inclure dans un projet de loi dans le cadre de l’aide d’un milliards de dollars promise en toute hâte à l’Ukraine. En effet, en augmentant les quotes-parts et donc en stimulant les ressources disponibles du Fonds grâce à l’apport supplémentaire de pays émergents, celui-ci serait en mesure d’accroître les disponibilités pour l’Ukraine et d’autres futurs candidats qui ne manqueront pas de se présenter. L’Ukraine serait ainsi éligible à 18,6 milliards de dollars sur trois ans, sans obtenir de financement exceptionnel, contre 12,6 milliards actuellement. De plus, la Maison blanche presse depuis un an le Congrès d’approuver un transfert de 63 milliards de dollars des fonds de crise du FMI vers les ressources générales de l’organisation. Cependant les républicains y sont défavorables et ne souhaitent plus envoyer autant de capitaux dans un contexte de crise. Ils jugent disproportionnée l’augmentation du poids des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine..) et craignent pour la suprématie étasunienne au sein du FMI. « Je trouve inexcusable qu’une telle mesure, voulue par Poutine, soit incluse dans une proposition de loi destinée à aider notre allié assiégé » souligne le sénateur républicain Ted Cruz [5]. Devant l’opposition des républicains, le texte a finalement été retiré et abandonné par ses promoteurs démocrates le 25 mars afin de voter au plus vite le prêt d’un milliard de dollars à Kiev, une aide de 150 millions pour l’Ukraine et les pays voisins ainsi que des sanctions aux russes et ukrainiens responsables de corruption.

En définitive, les États-Unis nous apportent la preuve une fois de plus, qu’ils contrôlent le Fonds en faisant l’impasse sur l’entrée en vigueur d’un changement structurel minime de l’institution, pourtant approuvée par les Parlements des 187 autres pays membres. Celle-ci est toujours en attente de ratification par le Congrès étasunien depuis décembre 2010.


Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4
Partie 5


Notes

[1Le groupe des 16 pays auquel appartient l’Ukraine détient 6,57% de droit de vote. Voir la répartition des droits de vote des pays membres du FMI : http://www.imf.org/external/np/sec/memdir/members.aspx#U

[2La quote-part d’un pays membre détermine son engagement financier maximum envers le FMI ainsi que son pouvoir de vote. Fin mars 2008, le total des quotes-parts s’établissait à 217,4 milliards de droit de tirage spécial (DTS) (soit environ 354,3 milliards de dollars).

[3http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/banque-mondiale-fmi/chronologie.shtml Communiqué de presse du FMI, 29 avril 2008 : Le Conseil des Gouverneurs du FMI adopte à une large majorité les réformes des quotes-parts et de la représentation. http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2008/pr0893f.htm

[4Ce montant est valable au taux de change de l’époque vis à vis des Droits de Tirage spéciaux, le panier de devises du FMI. http://www.imf.org/external/french/np/sec/pr/2010/pr10418f.htm

[5Le Monde, Le congrès américain abandonne la réforme du FMI, AFP, 25 mars 2014.

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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