La restructuration de la dette congolaise

21 décembre 2006 par Arnaud Zacharie


Intervention d’Arnaud Zacharie, directeur de recherche au CNCD à l’occasion d’une journée consacrée à l’audit de la dette de la République Démocratique du Congo (RDC) au sénat belge.



En 2001, le retour de la République démocratique du Congo dans le giron financier international bute sur un problème : le pays a hérité d’une dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
extérieure publique colossale accumulée par le Zaïre de Mobutu et quasiment impayée depuis la rupture de 1993  seuls quelques remboursements d’arriérés ont été opérés par le gouvernement Kengo wa Dondo au milieu des années 1990, puis par Laurent-Désiré Kabila en juin et juillet 1998, mais ils ont respectivement cessé dès le début de la première guerre (1996-1997), puis de la deuxième (août 1998). Or, les statuts du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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en font des « créanciers prioritaires », c’est-à-dire que les prêts qu’ils octroient doivent être remboursés intégralement et en priorité. La République démocratique du Congo se trouve donc en 2001 dans une situation irrégulière, ce qui influe également sur l’aide versée par les pays créanciers. Dépendant des financements extérieurs pour sa reconstruction, le pays doit régler de manière urgente le problème de ses arriérés, afin de régulariser sa situation financière, de profiter de nouveaux prêts et de participer à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(PPTE). La réaction de Joseph Kabila et de son ministre des Finances ne se fait pas attendre : les remboursements reprennent vigoureusement à partir de 2002. Cette régularisation permet au gouvernement congolais d’accéder à une gigantesque opération de restructuration de sa dette, puis d’entrer dans le cadre de l’initiative PPTE.

La première phase de juin-juillet 2002 consiste à régler le remboursement des arriérés congolais envers le FMI et la Banque mondiale. Le processus vise à garantir le remboursement des vieilles dettes impayées par une opération de « consolidation », c’est-à-dire en remplaçant les arriérés par de nouvelles dettes à un taux d’intérêt Taux d'intérêt Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
« concessionnel » de 0,5 %. Concrètement, quatre pays (Belgique, France, Suède, Afrique du Sud) prêtent la somme nécessaire au gouvernement congolais pour qu’il rembourse ses arriérés au FMI. Ensuite, le FMI prête la somme nécessaire (522 millions de dollars) au gouvernement congolais pour qu’il rembourse ces prêts d’États. Dans le même temps, la Banque mondiale prête 330 millions de dollars au Congo pour que le pays liquide ses arriérés à son égard. Au final, la République démocratique du Congo a troqué ses arriérés multilatéraux contre une nouvelle dette à 0,5 % due au FMI et à la Banque mondiale. Un mécanisme d’apurement a également été conclu avec la Banque africaine de développement.

La seconde phase, en septembre 2002, consiste à restructurer la dette congolaise due aux quatorze pays créanciers rassemblés dans le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
 cinq de ces quatorze pays (États-Unis, France, Belgique, Allemagne et Italie) concentrent 65 % du total des créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). . La dette congolaise due au Club de Paris est évaluée à 10,3 milliards de dollars, dont près de 90% sont des arriérés accumulés depuis le dernier accord entre le Club de Paris et le Zaïre de Mobutu, en 1989. L’accord de septembre 2002 débouche sur l’annulation de 4,6 milliards de dollars de dettes  ce qui correspond au montant des arriérés sur le principal de la dette extérieure congolaise  et sur le rééchelonnement de 4,3 autres milliards.

Si l’on additionne la portée des deux phases de l’opération, 60 % de la dette extérieure congolaise ont été restructurés. L’allègement permet une réduction du service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. de 36 millions de dollars en 2003, 100 millions en 2004 et 173 millions en 2005. Sur ces montants, 55 % sont affectés prioritairement aux secteurs de la santé et de l’éducation. Cette opération permet également au pays d’atteindre le « point de décision » de l’initiative PPTE, le 24 juillet 2003. À ce stade, sorte de « mi-parcours » de l’initiative, la République démocratique du Congo reçoit une modeste aide intérimaire et le staff du FMI calcule le montant de l’allégement de dette que le pays pourrait recevoir au « point d’achèvement » de l’initiative, prévu en 2006. Au total, 80 % de la dette congolaise devraient être restructurés et sa valeur nominale devrait être ramenée à terme à 2,5 milliards de dollars. Cependant, malgré l’ampleur de cette opération, une nouvelle dette persiste, à laquelle s’ajouteront les nouveaux emprunts que le pays devra immanquablement contracter dans le futur pour financer sa reconstruction. Ils seront d’autant plus importants que le coût de la réunification du pays, qui n’a pas été pris en compte par le plan de financement défini à Paris en décembre 2002, est le plus élevé des différents volets financiers de la reconstruction. Selon les estimations du FMI, le service de la dette continue de mobiliser depuis 2004 près de 30 % du maigre budget congolais - et même plus de 40 % si l’on ne prend pas en compte le montant de l’aide prévue [1].

Certes, les projections à plus long terme sont plus optimistes, mais forcément aléatoires. Il est en réalité difficile de parler d’allègement dans un pays qui de toute façon ne remboursait quasi rien d’une dette totalement contractée par le régime de son ancien tyran. Les quelques dizaines de millions libérés pour les services sociaux, de toute façon insuffisants, ne peuvent masquer une autre réalité. Sous couvert de stratégie de réduction de la pauvreté, l’économie congolaise doit une nouvelle fois s’ajuster pour que les populations récoltent des fruits dont elles ont souvent entendu parler, mais dont elles n’ont jamais vu la couleur. En attendant, le fardeau budgétaire de la dette léguée par Mobutu pèse de tout son poids sur la reconstruction du pays. En outre, cette gigantesque opération de restructuration consiste en réalité à refinancer de vieilles dettes impayables et impayées par de nouveaux emprunts à taux avantageux. Du coup, le monticule de dettes impayables est remplacé par un stock plus modeste de dettes « payables ». Résultat de l’allègement, les remboursements reprennent.

Enfin, la dette extérieure contractée par Mobutu est un archétype de la doctrine de la « dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
 » qui existe dans le droit international. Selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’État entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée. Par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir. » [2] Mobutu et son clan, qui entretenaient certaines amitiés avec des banquiers occidentaux, ont dilapidé ces emprunts et en ont détourné une bonne partie. Selon les études, le montant des biens mal acquis par Mobutu varie de 4 à 8 milliards de dollars ! Comme le souligne Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque mondiale et Prix Nobel d’économie 2001 : « Quand le FMI et la Banque mondiale prêtaient de l’argent à Mobutu, (...) ils savaient (ou auraient dû savoir) que ces sommes, pour l’essentiel, ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays mais à enrichir Mobutu. On payait ce dirigeant corrompu pour qu’il maintienne son pays fermement aligné sur l’Occident. Beaucoup estiment injuste que les contribuables des pays qui se trouvaient dans cette situation soient tenus de rembourser les prêts consentis à des gouvernants corrompus qui ne les représentaient pas. » [3] Mais au lieu de l’effacer, on a « consolidé » cette dette. Elle reprend ainsi naissance sous une nouvelle forme, que d’aucuns sont tentés de ne plus considérer comme « odieuse ». Affaire de points de vue... !


Notes

[1IMF, Democratic Republic of the Congo : 2003 Article IV Consultation, Washington, June 2003.

[2P. Adams, « Odious debts », Probe International, 1991.

[3J. Stiglitz, La grande désillusion, Fayard, 2002.

Arnaud Zacharie

Secrétaire général du CNCD-11.11.11

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