Nos habitudes alimentaires touchent à la base même de notre organisation
vitale autant qu’à notre imaginaire gustatif. Pourtant, l’alimentation « à
l’occidentale », majoritairement à base de protéines animales, nous
précipite dans le mur : surconsommation de viande, destruction de la
forêt, détournement d’une grande partie de l’eau disponible, aggravation
du réchauffement climatique [1] Dans ces conditions, une nécessaire révolution alimentaire, pourtant difficile à accepter d’emblée, devient possible.
Il existe trois raisons essentielles pour s’engager dans cette direction :
sortir de la sous-alimentation chronique le milliard d’êtres humains qui y
sont plongés ; faire face aux dérèglements climatiques actuels ; améliorer
la santé de ceux qui osent quitter les voies tracées par le marketing
agroalimentaire. Avons-nous vraiment le choix ?
De manière indéniable, la situation s’est gravement détériorée en quelques
années [2]. En 2050, la planète devrait compter 9 milliards d’individus, soit 60 millions de bouches supplémentaires – l’équivalent de la France - à nourrir chaque année. En outre, avec l’amélioration de leur niveau de vie, les Chinois, les Indiens et toutes les classes moyennes et aisées des pays émergents
Pays émergents
Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ».
adoptent de nouvelles habitudes culinaires. En moins d’une génération, la consommation annuelle de viande d’un Chinois est passée de 20 à 50 kilogrammes. Avec l’urbanisation galopante et l’érosion, les terres arables se font plus rares. La tendance ne prête pas à l’optimisme.
Comment accomplir cette révolution salvatrice à plus d’un titre ? La
solution pourrait résider dans « l’alimentation vivante », méthode
pertinente mise au point il y a 50 ans aux Etats-Unis. Elle s’inspire du
mode d’alimentation des tribus montagnardes Hunzas au nord du Pakistan et
des Esséniens qui vivaient au Moyen Orient il y a plus de 2000 ans. Son
principe de base est simple : se nourrir de végétaux crus et de graines
germées. Ce qui implique d’abandonner à la fois toute nourriture d’origine
animale et toute forme de cuisson des aliments.
De manière directe par le pâturage ou indirecte par la production
d’aliment pour le bétail, l’élevage utilise 70% des terres agricoles. Au
moins 70% de l’eau douce disponible sur la planète – de plus en plus rare - sert pour l’irrigation des cultures intensives dont la majeure partie
est destinée à la nourriture animale. Il faut en moyenne 10 000 litres
d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf. Ce type d’agriculture rejette
des polluants qui font que toutes les eaux de surface et une majorité des
eaux souterraines contiennent de grandes quantités de nitrates et de
pesticides, inquiétantes pour la santé partout où l’agriculture intensive
existe.
Dans le système de « l’alimentation vivante », tous les aliments sont
dégustés crus. Ce que l’on perd d’un côté en supprimant la consommation
animale, on le gagne de l’autre par une meilleure qualité nutritionnelle.
En effet, au-delà de 45°C, il n’y a plus d’enzymes ; à 90°C, ce sont les
vitamines et une part des oligo-éléments qui disparaissent. Les taux de
vitamines, minéraux, oligo-éléments, enzymes et protéines sont
démultipliés grâce à la germination. Dans un germe de blé, on trouve même
certains éléments, tels que la vitamine C, absente du blé sec. Haricots
mungo et lentilles germées contiennent la fameuse et indispensable
vitamine B12, sans compter une grande quantité de protéines [3].
A Befotaka, au nord de Madagascar, les habitants de la brousse cultivent
du riz pendant la saison des pluies. Après moisson et battage à la main,
ils obtiennent un riz paddy de qualité biologique. Ensuite, ils le
décortiquent avec un pilon jusqu’à ce qu’il devienne blanc, puis le font
cuire sur un feu de charbon de bois. Partant d’un produit de base
excellent, ils aboutissent à un résultat nutritionnel pauvre. Le riz blanc
cuit ne contient plus que des glucides et quelques minéraux. Une famille
malgache pourrait manger son propre riz complet après quelques jours de
germination. En mélangeant le riz germé avec le pilon traditionnel des
feuilles vertes (brèdes), elle obtiendrait une pâte crue offrant un repas
d’une qualité nutritionnelle bien supérieure au riz blanc cuit. Les
Malgaches mangent entre 500 et 700 grammes de riz par jour, mais la moitié de ce poids en riz complet germé suffirait.
L’ « alimentation vivante » nourrit donc mieux tout en diminuant
l’empreinte écologique puisqu’elle implique moins de prélèvement sur les
ressources de la planète. Mais ce n’est pas tout : elle est aussi
précieuse dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les particules
noires de carbone émises par la cuisson au charbon de bois dans les pays
en développement sont responsables de 18% du réchauffement planétaire [4]. Non seulement elle réduit considérablement les dégâts écologiques liés au transport d’aliments d’un endroit de la planète à un autre, mais aussi chaque particule déposée par les vents sur les glaciers, en concentrant la chaleur, accélère fortement la fonte de la glace. La diminution des glaciers de l’Himalaya entraînerait un affaiblissement des grands fleuves qui irriguent les zones agricoles des régions les plus peuplées de la planète : Inde, Chine, Pakistan, Bangladesh… Leur disparition les
assécherait momentanément et entraînerait des famines aux conséquences
incalculables.
Enfermés dans leur autisme néolibéral, ceux qui défendent la «
globalisation
Globalisation
(voir aussi Mondialisation) (extrait de Chesnais, 1997a)
Origine et sens de ce terme anglo-saxon. En anglais, le mot « global » se réfère aussi bien à des phénomènes intéressant la (ou les) société(s) humaine(s) au niveau du globe comme tel (c’est le cas de l’expression global warming désignant l’effet de serre) qu’à des processus dont le propre est d’être « global » uniquement dans la perspective stratégique d’un « agent économique » ou d’un « acteur social » précis. En l’occurrence, le terme « globalisation » est né dans les Business Schools américaines et a revêtu le second sens. Il se réfère aux paramètres pertinents de l’action stratégique du très grand groupe industriel. Il en va de même dans la sphère financière. A la capacité stratégique du grand groupe d’adopter une approche et conduite « globales » portant sur les marchés à demande solvable, ses sources d’approvisionnement, les stratégies des principaux rivaux oligopolistiques, font pièce ici les opérations effectuées par les investisseurs financiers, ainsi que la composition de leurs portefeuilles. C’est en raison du sens que le terme global a pour le grand groupe industriel ou le grand investisseur financier que le terme « mondialisation du capital » plutôt que « mondialisation de l’économie » m’a toujours paru - indépendamment de la filiation théorique française de l’internationalisation dont je reconnais toujours l’héritage - la traduction la plus fidèle du terme anglo-saxon. C’est l’équivalence la plus proche de l’expression « globalisation » dans la seule acceptation tant soit peu scientifique que ce terme peut avoir.
Dans un débat public, le patron d’un des plus grands groupes européens a expliqué en substance que la « globalisation » représentait « la liberté pour son groupe de s’implanter où il le veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possible en matière de droit du travail et de conventions sociales »
» persistent dans une logique consumériste de la croissance
à tout prix. Promu par les détenteurs de capitaux et les entreprises
multinationales, un tel modèle économique est structurellement générateur
de faim, de pauvreté, de pollution, de réchauffement, de soumission, sans
oublier une dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
galopante et une corruption incontrôlée. Par exemple,
des pays industrialisés ou émergents achètent actuellement des dizaines de
millions d’hectares de terres dans les pays pauvres qui ont besoin de
devises pour rembourser leur dette et dont nombre de dirigeants détournent
une partie des sommes concernées pour leur usage personnel. Ce faisant,
les pays qui mettent la main sur ces terres remplacent des cultures de
subsistance locale par des cultures - utilisant engrais, pesticides et
machines énergivores - destinées à être exportées pour nourrir leur bétail
ou être transformés en agro-carburants pour leurs automobiles. Tout est
lié.
L’ « alimentation vivante » est un acte immédiatement réalisable, qui
ouvre des perspectives face à l’urgence actuelle. Seule la compréhension
de l’importance vitale de ce choix peut le rendre effectif au niveau
individuel. Mais ce sont des décisions politiques internationales qui
pourront le rendre suffisant d’un point de vue global. Parallèlement à ce
virage radical, il faut aussi faire sauter collectivement le verrou du
modèle économique dominant, pour jeter les bases d’un autre monde centré
sur la garantie des droits humains fondamentaux.
Nicolas Sersiron est vice-président du CADTM France (Comité pour
l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, www.cadtm.org)
[1] L’alimentation de type occidental contribue pour 20% au réchauffement climatique (« Combien de gaz à effet de serre dans notre assiette ? », www.manicore.com).…
[2] Voir George Monbiot, « Cesser d’émettre du CO2 ou aller à la
catastrophe », The Guardian, 16 mars 2009.
[3] Voir J’alimente ma santé et Graines germées, Marcel Meunier, éd. Ambre.
[4] Selon le Dr Ramanathan, spécialiste du climat. Voir The New York
Times du 25 avril 2009.
Président du CADTM France, auteur du livre « Dette et extractivisme »
Après des études de droit et de sciences politiques, il a été agriculteur-éleveur de montagne pendant dix ans. Dans les années 1990, il s’est investi dans l’association Survie aux côtés de François-Xavier Verschave (Françafrique) puis a créé Échanges non marchands avec Madagascar au début des années 2000. Il a écrit pour ’Le Sarkophage, Les Z’indignés, les Amis de la Terre, CQFD.
Il donne régulièrement des conférences sur la dette.
8 octobre 2021, par Nicolas Sersiron
4 juin 2021, par Nicolas Sersiron
10 février 2021, par CADTM Belgique , Nicolas Sersiron , Sushovan Dhar , Camille Bruneau , Pablo Laixhay , Jonathan Peuch
26 octobre 2020, par Nicolas Sersiron
22 avril 2020, par Nicolas Sersiron
3 septembre 2019, par Nicolas Sersiron
19 mars 2019, par Nicolas Sersiron
24 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Cédric Durand , Nathalie Janson , Charles Gave , Frédéric Taddeï
7 janvier 2019, par Nicolas Sersiron , Aznague Ali
18 décembre 2018, par Nicolas Sersiron