La situation internationale et l’action du CADTM entre 2009 et 2013

1er mai 2013 par Eric Toussaint


Belém 2009



Dans le préambule de la charte politique du CADTM adoptée à Belém (Brésil) en janvier 2009, nous écrivions : « En 1989, ‘l’appel de la Bastille’ est lancé à Paris : il invite toutes les forces populaires du monde à s’unir pour l’annulation immédiate et inconditionnelle de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays dits ‘en développement’. Cette dette, écrasante, ainsi que les réformes macro-économiques néolibérales imposées au Sud à partir de la crise de la dette de 1982, ont provoqué l’explosion des inégalités, une pauvreté de masse, des injustices criantes et la destruction de l’environnement. C’est en réponse à cet appel, et pour lutter contre la dégradation générale des conditions de vie de la majorité des peuples, que le CADTM est créé en 1990. Aujourd’hui, le CADTM International est un réseau constitué d’une trentaine d’organisations actives dans plus de 25 pays répartis sur 4 continents. Son travail principal, axé sur la problématique de la dette, consiste en la réalisation d’actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
et l’élaboration d’alternatives radicales visant l’émergence d’un monde basé sur la souveraineté, la solidarité et la coopération entre les peuples, le respect de la nature, l’égalité, la justice sociale et la paix [1]. »

Le préambule, écrit en 2008 et adopté en 2009, prenait en considération certains changements intervenus entre 1990 et 2008 : « Depuis la création du CADTM, le contexte international a évolué. Sur le plan de l’endettement, une évolution importante est à prendre en compte : la dette publique interne augmente très fortement. Globalement, deux grandes tendances opposées sont à l’œuvre à l’échelle internationale. D’une part, l’offensive capitaliste néolibérale, menée principalement par le G7 G7 Groupe informel réunissant : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Japon. Leurs chefs d’État se réunissent chaque année généralement fin juin, début juillet. Le G7 s’est réuni la première fois en 1975 à l’initiative du président français, Valéry Giscard d’Estaing. , le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, la BM Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et l’OMC OMC
Organisation mondiale du commerce
Créée le 1er janvier 1995 en remplacement du GATT. Son rôle est d’assurer qu’aucun de ses membres ne se livre à un quelconque protectionnisme, afin d’accélérer la libéralisation mondiale des échanges commerciaux et favoriser les stratégies des multinationales. Elle est dotée d’un tribunal international (l’Organe de règlement des différends) jugeant les éventuelles violations de son texte fondateur de Marrakech.

L’OMC fonctionne selon le mode « un pays – une voix » mais les délégués des pays du Sud ne font pas le poids face aux tonnes de documents à étudier, à l’armée de fonctionnaires, avocats, etc. des pays du Nord. Les décisions se prennent entre puissants dans les « green rooms ».

Site : www.wto.org
, toutes au service des transnationales et du capital financier international, s’est poursuivie et approfondie. D’autre part, une contre-tendance se développe depuis la fin des années 1990 : puissantes mobilisations populaires contre l’offensive néolibérale, en particulier en Amérique latine, renforcement du mouvement social international qui lutte pour ‘d’autres mondes possibles’, élection de présidents prônant une rupture avec le néolibéralisme, initiatives en matière d’audit de la dette et de suspension de paiement de la dette extérieure publique, début de récupération du contrôle de l’État sur des secteurs stratégiques et sur les ressources naturelles, échec de projet néolibéraux tels que l’ALCA, résistances à l’impérialisme en Irak, en Palestine et en Afghanistan. L’évolution du rapport de force entre ces deux grandes tendances dépendra largement des réactions populaires face à la crise internationale à multiples facettes (financière, économique, sociale, politique, alimentaire, énergétique, climatique, écologique, culturelle). »

L’assemblée mondiale du CADTM réunie du 19 au 22 mai 2013 au Maroc analyse l’évolution intervenue entre 2008 et 2013.

Frankfurt 2012

La crise du système capitaliste global a affecté très durement les conditions de vie des peuples au cours des 5 dernières années.

1. Dans les pays les plus industrialisés, la crise bancaire et économique qui a démarré en 2007-2008 aux États-Unis et les politiques mises en œuvre par les gouvernements et les institutions internationales ont entraîné des pertes d’emplois par dizaines de millions, une perte du pouvoir d’achat importante pour la masse de la population, une augmentation de la pauvreté, une accélération de l’accroissement des inégalités, une explosion de la dette publique, des atteintes aux libertés syndicales et aux négociations collectives, une limitation des droits civils et politiques avec une concentration du pouvoir au niveau du pouvoir exécutif et dans le cas de l’Union européenne un renforcement du pouvoir de la Commission européenne et d’autres organes exécutifs… Les pays du Nord où les peuples ont été jusqu’ici les plus touchés sont la Grèce, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Espagne, Chypre, la Roumanie, la Hongrie, les républiques baltes, la Bulgarie, l’Italie. Les politiques imposées aux peuples du Sud par les créanciers qui ont provoqué et instrumentalisé la crise de la dette du tiers monde initiée dans les années 1980 sont aujourd’hui progressivement imposées dans les pays les plus industrialisés.

2. Dans les pays du Sud global (pays dits « en développement »), la crise alimentaire de 2008-2009 a eu des effets dévastateurs, 120 millions de personnes se sont ajoutées au 900 millions souffrant de la faim. Cette crise a directement été le produit de politiques décidées dans les pays du Nord par les grandes entreprises transnationales de l’agrobusiness, par les sociétés financières privées (banques, assurances, fonds de pension Fonds de pension Fonds d’investissement, appelé aussi fonds de retraite, qui a pour vocation de gérer un régime de retraite par capitalisation. Un fonds de pension est alimenté par l’épargne des salariés d’une ou plusieurs entreprises, épargne souvent complétée par l’entreprise ; il a pour mission de verser des pensions aux salariés adhérents du fonds. Les fonds de pension gèrent des capitaux très importants, qui sont généralement investis sur les marchés boursiers et financiers. ), par les gouvernants nord-américains et européens, par les institutions internationales multilatérales (Banque mondiale, FMI, OMC…). Parmi les facteurs qui ont causé la crise alimentaire et qui maintiennent de manière permanente un être humain sur sept dans la sous-alimentation, on peut citer la spéculation Spéculation Opération consistant à prendre position sur un marché, souvent à contre-courant, dans l’espoir de dégager un profit.
Activité consistant à rechercher des gains sous forme de plus-value en pariant sur la valeur future des biens et des actifs financiers ou monétaires. La spéculation génère un divorce entre la sphère financière et la sphère productive. Les marchés des changes constituent le principal lieu de spéculation.
sur les aliments (et les combustibles), la promotion des agrocombustibles dans les pays du Nord et dans certains pays du Sud, à commencer par le Brésil, l’accaparement des terres, l’ouverture commerciale imposée aux pays du Sud, l’abandon des subventions aux aliments de base et aux producteurs des pays du Sud, la priorité donnée aux cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières Vivrières Vivrières (cultures)

Cultures destinées à l’alimentation des populations locales (mil, manioc, sorgho, etc.), à l’opposé des cultures destinées à l’exportation (café, cacao, thé, arachide, sucre, bananes, etc.).

3. Les effets du changement climatique commencent à faire sentir leurs effets négatifs, principalement dans un certain nombre de pays du Sud. Le pire est à venir.

4. Dans certaines contrées des pays du Sud, il faut ajouter les conflits régionaux entretenus par les intérêts prédateurs des entreprises transnationales et par certains États à la recherche de ressources minières ou autres.

A l’échelle planétaire, les femmes ont été les plus affectées, tant dans leurs conditions de vie matérielle que dans leur statut.
Ces évolutions négatives sont directement imputables à la crise du système capitaliste et patriarcal global. Les différentes facettes de la crise sont directement interconnectées.

Du nord au sud de la planète, partout le « système dette » est utilisé par les pouvoirs en place, par les grandes entreprises privées, par les institutions multilatérales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC, pour pousser plus loin les privatisations, la marchandisation, les attaques contre les conquêtes sociales et politiques des peuples.

Les peuples en tant que sujets collectifs sont victimes du « système dette ». Les individus le sont aussi : paysans indiens surendettés et poussés au suicide (plus de 270 000 paysans indiens se sont suicidés entre 1995 et 2011 en espérant libérer leur famille du fardeau de la dette) ; familles dépossédées par millions de leur logement par les banques créancières principalement aux Etats-Unis, en Espagne, en Irlande ; femmes victimes d’un système de microcrédit prédateur dans les pays du Sud ; étudiants nord-américains surendettés plongés dans le besoin ou carrément la misère (le montant total de dettes étudiantes aux Etats-Unis dépassent 1000 milliards de dollars, soit l’équivalent de la dette publique externe de l’Amérique latine et de l’Afrique subsaharienne réunies)…

Vu les caractéristiques de l’évolution du monde depuis 2008, le combat du CADTM pour l’annulation/répudiation des dettes illégitimes (tant au niveau collectif qu’individuel), pour la mise en place de politiques alternatives, pour la rupture avec le système capitaliste productiviste et patriarcal, pour l’éradication de toutes les formes d’oppression est plus important que jamais car il permet de relier les combats pour l’émancipation des peuples de toutes les parties de la planète.
Une relecture attentive et critique de la charte politique adoptée par le CADTM en janvier 2009 aboutit à la conclusion que ce document est d’une grande actualité et d’une grande utilité, tant dans le diagnostic que dans les propositions qu’il contient et dans son orientation résolument unitaire.

Nairobi 2007

Le nom de l’organisation et ses priorités

Il reviendra à une prochaine assemblée mondiale du CADTM de prendre une décision en ce qui concerne le nom de l’organisation pour répondre à une interrogation légitime qui est régulièrement formulée en particulier dans les pays du Nord : le CADTM doit-il changer de nom ? Faut-il limiter la revendication de l’annulation de la dette aux pays du tiers-monde tel que le nom du comité semble l’indiquer ?
Une autre interrogation légitime est aussi formulée tant au nord qu’au sud de la planète : confronté au renforcement de son action en Europe pour faire face à la crise de la dette qui secoue le Nord, le CADTM n’est-il pas en train de réduire ses efforts pour l’annulation de la dette du tiers-monde ?

Sans trancher la question du nom de l’organisation CADTM aujourd’hui, on peut avancer que la charte politique du CADTM énonce déjà clairement dans son article 1 que « Tant au Nord qu’au Sud de la planète, la dette constitue un mécanisme de transfert des richesses créées par les travailleurs-euses et les petit(e)s producteurs-trices en faveur des capitalistes. L’endettement est utilisé par les prêteurs comme un instrument de domination politique et économique qui instaure une nouvelle forme de colonisation. »

Il suffirait d’apporter quelques compléments pour ouvrir un peu plus la problématique de la dette et prendre mieux en compte d’une part son impact sur les peuples du Nord et d’autre part sur les individus plongés dans le surendettement.

À titre de suggestion, on pourrait en matière de nom de l’organisation garder le sigle CADTM car il a gagné en notoriété et en crédibilité au cours des dernières années tout en donnant comme contenu : « Comité pour l’abolition des dettes illégitimes ».

Visuellement, on garderait le sigle CADTM, suivi de « Comité pour l’abolition des dettes illégitimes ». L’intérêt de cette formule c’est qu’elle ne limite pas la revendication à une partie du monde et qu’en plus elle peut concerner différents types de dettes, y compris les dettes individuelles considérées comme illégitimes.
Il ne s’agit que d’une suggestion pour alimenter la réflexion. Vu que le changement de nom de l’organisation ne fait pas partie de l’ordre du jour de cette assemblée mondiale, la discussion commence et se conclura lors de la prochaine assemblée mondiale du CADTM.

Le CADTM n’est-il pas en train de réduire ses efforts pour l’annulation de la dette du tiers monde ?

En ce qui concerne l’autre interrogation, il est clair que les militantes et militants du CADTM basés en Europe ont entamé depuis 2009-2010 une action forte pour faire face à la dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
dans les pays du Nord. Cette décision a été provoquée par la profondeur de la crise de la dette en Europe, la brutalité des politiques d’austérité qui y sont appliquées ou en préparation, la montée de la prise de conscience dans des couches de plus en plus larges de citoyennes et de citoyens vivant en Europe (une partie d’entre eux ont migré des pays en développement vers l’Europe dans l’espoir de trouver un travail ou/et un refuge ; ces migrants et migrantes sont très fortement affectés par la crise de la dette européenne). Pour autant, les membres du CADTM en Europe et au Japon n’ont pas délaissé le combat nécessaire pour l’annulation de la dette du tiers-monde, notamment dans la lutte pour l’abolition de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
tunisienne, égyptienne, haïtienne (voir plus loin). Ils essaient également de développer la prise de conscience et l’action au Nord sur des problématiques telles que le changement climatique, la dette écologique Dette écologique La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.

La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :


- La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.

- La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.

- Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.

- L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.

Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
, l’accaparement des terres…

La forte implication de tout le réseau international CADTM dans la réussite du Forum social mondial tenu à Tunis en mars 2013 indique aussi qu’il n’y a pas de repli vers l’action au Nord. Dans le cadre du programme du FSM, le CADTM a coorganisé une quinzaine de conférences dont la majorité contenait une dimension Sud. La très réussie assemblée de convergence sur la dette était introduite par des militants du Sud.

Il faut ajouter que la volonté de concrétiser l’option prise par l’assemblée mondiale du CADTM de novembre 2010 de transférer vers le Sud et de partager les tâches du secrétariat international aujourd’hui basé en Belgique démontre que le CADTM ne souhaite aucunement réduire son action dans le sud de la planète.

Retour sur les évènements politico-sociaux de 2009 à 2013 et sur l’action du CADTM

Belém

L’année 2009 avait débuté par un rebond du Forum social mondial qui avait réuni à Belem (Brésil) plus de 130 000 militantes et militants dans un rejet massif de la crise capitaliste globale et dans la volonté de lutter pour une perspective socialiste, féministe, antiraciste, écologique, internationaliste (voir la déclaration finale de l’assemblée des mouvements sociaux à la rédaction de laquelle le CADTM a pleinement participé). Rappelons aussi qu’au niveau du CADTM cette rencontre du FSM a été l’occasion de ratifier la charte politique et la charte de fonctionnement du mouvement. La suite des évènements de 2009 et de 2010 n’a pas été à la hauteur des espoirs soulevés par le Forum même si un élément positif de la situation internationale que nous avions soulignée dans le préambule de la charte politique a été confirmé. En effet, nous écrivions : « D’autre part, une contre-tendance se développe depuis la fin des années 1990 : puissantes mobilisations populaires contre l’offensive néolibérale, en particulier en Amérique latine, renforcement du mouvement social international qui lutte pour ‘d’autres mondes possibles’, élection de présidents prônant une rupture avec le néolibéralisme, initiatives en matière d’audit de la dette et de suspension de paiement de la dette extérieure publique, début de récupération du contrôle de l’État sur des secteurs stratégiques et sur les ressources naturelles (…) ».

De ce point de vue, l’année 2009 a été marquée par la victoire de l’acte unilatéral de suspension du paiement de la dette commerciale de l’Équateur (suite notamment aux travaux de la commission d’audit de la dette à laquelle le CADTM a participé activement). Le gouvernement de l’Équateur, appuyé par la population, a imposé une réduction radicale du poids de la dette en juin 2009. De leur côté, tant en Bolivie qu’au Venezuela, les gouvernements ont poursuivi leur action en faveur de la reprise de contrôle des pouvoirs publics sur une série d’entreprises.

Cela ne s’est pas fait sans réaction des classes dominantes, des sociétés multinationales et de Washington. Pour preuve, un coup d’État (de type nouveau) a mis fin en juin 2009 à une expérience prometteuse au Honduras et a préfiguré le coup perpétré au Paraguay en juin 2011. Le CADTM a condamné ces deux coups et s’est impliqué dans la solidarité.

A propos des expériences en cours en Équateur, au Venezuela, en Bolivie, et dans une certaine mesure en Argentine, le CADTM évite de présenter ces pays comme des modèles à suivre car il est bien conscient des limites des politiques mises en place (sans oublier les différences entre les gouvernants de ces pays). Les autorités de ces pays ne rompent ni avec le modèle extractiviste exportateur, ni avec le système capitaliste, d’ailleurs étroitement liés. Nous soutenons toutes les actions qu’ils entreprennent dans la bonne direction, nous prenons leur défense contre les campagnes de dénigrement dont ils font l’objet, sans abandonner notre indépendance et notre esprit critique. Nous privilégions dans tous les cas nos rapports avec les mouvements sociaux de ces pays. Les organisations membres du CADTM en Argentine et au Venezuela mènent une politique active en gardant strictement leur indépendance et leur esprit critique par rapport au gouvernement.

En Europe, d’importantes luttes sociales ont eu lieu en 2009-2010 (dans certains pays d’Europe de l’Est, en Islande, en Grèce, en Espagne, en France avec le grand mouvement social pour s’opposer à la contre réforme des retraites voulue par Sarkozy) et les membres du CADTM ont pris à bras le corps la question de la dette et du refus des politiques d’ajustement en développant toute une série d’activités en faveur de l’audit citoyen de la dette et de la nécessité de la suspension du paiement de la dette dans les pays les plus affectés par la crise. Ces efforts ont grandement contribué à ce que différents mouvements qui ne se prononçaient pas jusque là en faveur de l’audit citoyen de la dette adoptent cette revendication et cette forme d’action. L’effort du CADTM n’explique pas tout, loin de là, mais c’est incontestable qu’il a véritablement influé positivement sur le choix qu’ont fait d’autres mouvements en faveur de l’audit citoyen et en direction d’une radicalisation de leurs positions sur la question de la dette illégitime. C’est le cas en France, en Grèce, au Portugal, en Espagne, et plus récemment en Italie et en Belgique. La liste devrait encore s’allonger dans les mois et les années qui viennent. Le CADTM a également joué un rôle très important dans la création du réseau ICAN, le réseau international d’audit citoyen qui comprend à la fois des organisations européennes et nord-africaines, notamment en Tunisie et en Égypte [2].

En Asie, le CADTM a été particulièrement actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
en 2010 dans une campagne pour l’annulation des dettes du Pakistan dans la foulée des inondations catastrophiques qui ont endeuillé le pays.

En 2009-2010, l’action du CADTM en Afrique a été très intense : activité en liaison avec la Marche mondiale des femmes à Goma en RDC, préparation intense du Forum social mondial qui allait se tenir en février 2011 à Dakar figurent parmi les activités les plus marquantes.

Dakar 2011

Au cours de l’année 2011, le mouvement social et politique rebelle a refait irruption dans les rues et sur les places publiques aux quatre coins de la planète. Il a pris une nouvelle forme et de nouvelles appellations : le printemps arabe, les indignés, le mouvement Occupy Wall Street (OWS)… Les principales régions concernées étaient l’Afrique du Nord et le Moyen Orient (y compris Israël), l’Europe et l’Amérique du Nord. Certes, tous les pays de ces régions n’ont pas été touchés par cette vague de mobilisations et les nouvelles formes d’organisation, mais tout le monde en a entendu parler. Dans les pays où il n’a pas pris une forme massive, des minorités agissantes ont essayé de lui faire prendre racine avec des résultats divers [3]. Dans l’hémisphère sud de la planète, en 2011, seul le Chili a vécu un mouvement proche de celui des Indignés [4].

Dakar 2011

En Tunisie et en Égypte, pays non exportateurs de matières premières (sauf à la marge), les conditions de vie des populations se sont aggravées au cours des dernières années, conduisant à des protestations sociales réprimées très durement. Cela provoque, en Tunisie d’abord, une réaction massive qui prend rapidement une dimension politique. Le peuple réuni dans la rue et sur les places publiques affronte la répression (qui fait 300 morts) et exige le départ du dictateur Ben Ali. Il doit abandonner le pouvoir le 14 janvier 2011. A partir du 25 janvier 2011, le mouvement s’étend à l’Égypte dont la population a été soumise à des décennies de contre-réformes néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI combinées à un régime dictatorial allié comme celui de Tunisie aux puissances occidentales (et totalement compromis dans une alliance avec les autorités israéliennes). Le 11 février 2011, moins d’un mois après Ben Ali, Moubarak est obligé de quitter le pouvoir. D’autres pays de la région s’embrasent, la répression s’abat. Les luttes sont toujours en cours, le processus n’est pas terminé au niveau régional. Des mouvements de protestation de masse se développent ailleurs dans la région notamment au Maroc (mouvement du 20 février).
En Tunisie et en Égypte, les classes dominantes locales essaient, avec l’aide des grandes puissances occidentales, du FMI et de la Banque mondiale, de contrôler la situation afin que le mouvement ne débouche pas sur une révolution sociale.

Le Forum social mondial qui se tient à Dakar en février 2011 est positivement influencé par les mouvements en cours en Tunisie et en Égypte. Le CADTM est fortement présent, une importante délégation du CADTM Afrique (complétée par le CADTM Europe et d’Amérique latine) multiplie les activités. Le FSM est précédé par des caravanes qui partent des pays de la région (avec une bonne participation du CADTM) pour confluer vers Dakar en passant préalablement par Kaolack où le CADTM réalise un atelier féministe international. L’assemblée mondiale des mouvements sociaux qui clôt en quelque sorte le FSM est très fournie et très combative. Le CADTM y a apporté sa pierre.

Dakar 2011

Ensuite, le vent de la rébellion traverse la Méditerranée de l’Afrique du Nord vers le sud de l’Europe : Portugal (mars 2011), Espagne (avril-octobre 2011), Grèce (mai-juillet 2011). En juillet-août, la protestation sociale secoue également Israël, le boulevard Rotschild à Tel Aviv est occupé mais sans mettre en danger le gouvernement (et sans chercher à faire la jonction avec la cause palestinienne). En septembre, le mouvement réussit à traverser l’Atlantique Nord. Il a atteint les États-Unis par la côte est en commençant par New-York et Wall Street pour s’étendre à une grande partie du territoire des États-Unis jusqu’à la côte ouest où Oakland vit l’expérience la plus radicale. Le 15 octobre 2011, date définie par le mouvement des Indignés en Espagne, plus d’un million de personnes manifestent dans le monde, du Japon à la Côte ouest des États-Unis, essentiellement dans les pays les plus industrialisés. Dans la plupart de ces mobilisations, le thème de la dette, la dénonciation des banques et du 1% dominant la planète occupent une place importante ou centrale.

Le mouvement des Indignés sous ses différentes expressions ne réussit pas à rebondir en 2012-2013 sauf au Portugal (mais sans qu’il y prenne jusqu’ici une forme prolongée à la différence de l’Espagne en 2011). Au Maroc, le mouvement du 20 février s’étiole malgré les efforts développés par ATTAC-CADTM Maroc, notamment.

En Espagne, un des prolongements très positifs du mouvement des indignés est la plate-forme d’audit citoyen de la dette qui s’est développée dans plusieurs villes et ensuite sur le plan de l’État espagnol. Il y a un espoir, pas une certitude, de voir se développer une synergie à l’échelle de la péninsule ibérique (Espagne+Portugal) entre les mouvements citoyens qui agissent sur la thématique de la dette et le rejet de l’austérité.

En Europe, à partir de début 2011, se développe une nouvelle initiative qui vise à remplacer le Forum social européen moribond depuis 2009-2010. Le CADTM Europe participe au comité de coordination et fait le maximum pour que la thématique de la dette illégitime soit traitée de la manière la plus combative possible.

En Afrique, les conflits internationaux, la convoitise pour les matières premières et interventions étrangères armées affligent toujours les peuples. Les militants/tes du CADTM Afrique y sont directement confrontés en RDC, en Côte d’Ivoire et au Mali. Le CADTM Afrique a dénoncé l’intervention militaire de la France et de ses alliés au Mali en janvier 2013. Le CADTM qui dénonce les violences faites aux femmes et les violations des droits humains quels qu’en soient les auteurs s’oppose aussi à l’instrumentalisation de ces crimes pour justifier l’ingérence étrangère et les guerres qui visent le contrôle des matières premières [5]. Le CADTM international a exprimé son soutien à l’action de la CAD Mali membre du réseau CADTM. Sous d’autres latitudes, le CADTM international appuie l’action de la PAPDA (membre du CADTM) et de tous les mouvements qui luttent contre le maintien de la présence militaire étrangère à Haïti où, là aussi, l’humanitaire sert de prétexte à l’ingérence.

Tunis 2013

Le Forum social mondial se tient en mars 2013 à Tunis avec une forte participation tunisienne et une radicalité qui n’est pas de façade. Le CADTM y intervient très activement avec une importante délégation africaine (principalement) et le renfort du CADTM Europe et latino-américain. Les militants/tes du CADTM de Tunisie (RAID ATTAC CADTM Tunisie) et du Maroc (ATTAC-CADTM Maroc) jouent un rôle de tout premier plan notamment dans la préparation et le déroulement de l’assemblée mondiale des mouvements sociaux. Le local de RAID ATTAC CADTM Tunisie se transforme pendant une semaine en une fourmilière où travaillent ensemble un grand nombre de délégués/déléguées des mouvements sociaux du monde entier.

Il faut ajouter que, principalement grâce au travail de RAID ATTAC CADTM, se tient la première « Rencontre méditerranéenne de Tunis contre la dette, les politiques d’austérité et la domination étrangère, pour une méditerranée libre, démocratique, sociale, solidaire et respectueuse de l’environnement » [6]. Une vingtaine de formations politiques y participent en répondant à l’invitation lancée par le Front populaire de Tunisie (au sein duquel sont actifs les militants de RAID ATTAC CADTM Tunisie). Le CADTM y est associé pour apporter son point de vue sur le combat pour l’annulation de la dette odieuse et illégitime [7]. Le Manifeste final reprend largement sur cette question le point de vue développé par le CADTM [8].

FSM Tunis Photo : P.E. Dupret

Entre 2009 et 2013, comme nous l’avons souligné dès le début de ce texte, les femmes ont été confrontées à une attaque généralisée visant à réduire leur marche vers l’égalité et l’émancipation complète. Le CADTM a consacré de nombreux efforts pour renforcer sa participation au combat féministe à l’échelle internationale. Cela a donné lieu principalement à des initiatives concrètes en Afrique et en Europe.

Dans toutes ses initiatives, le CADTM a essayé de renforcer les convergences entre les différents mouvements qui luttent aux côtés des citoyens/citoyennes et des peuples. C’est dans cet esprit qu’il collabore activement avec les mouvements ATTAC, Via Campesina, Marche mondiale des femmes, ICAN, Jubilé Sud, Latindadd, avec de nombreux syndicats, et bien d’autres. C’est pour cela également qu’il participe activement dans un esprit constructif au Forum social mondial, à l’Altersummit (en Europe), aux différents contre-sommets face aux puissants de la planète… C’est en accord avec cette démarche qu’il appuie et s’insère dans des mouvements tels que les Indignés, Occupy…

Quelques considérations supplémentaires sur la situation économique internationale et les tâches qui en découlent

Augmentation de la dette publique. A quelques exceptions près, la dette publique et privée a augmenté au cours des 5 dernières années. Dans un grand nombre de pays, elle a augmenté de 20 à 30%.

La conjoncture favorable à certains pays en développement peut se retourner. Malgré cette augmentation, dans une série de pays en développement exportateurs de matières premières, au cours des dernières années, le remboursement de la dette externe et interne est apparu comme moins insoutenable qu’auparavant pour trois raisons fondamentales :
1. l’augmentation depuis 2004 des recettes fiscales et des rentrées en devises en conséquence de l’augmentation du prix des matières qu’ils exportent sur le marché mondial ;
2. la baisse des taux d’intérêts décidés par les banques centrales des pays les plus industrialisés ;
3. la Chine, dans sa recherche de matières premières et de marché pour écouler ses marchandises, a ouvert d’abondantes lignes de crédit aux pays d’Afrique, d’Amérique latine et à certains voisins d’Asie.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les prix élevés des matières premières sont fortement influencés par la spéculation internationale. La situation est pourtant très instable. Les prix des matières premières ont baissé de près de 30% entre octobre 2012 et avril 2013. C’est notamment le résultat de la chute de la croissance chinoise (principal importateur de matières premières au niveau mondial). On peut alors raisonnablement se demander si la bulle spéculative sur les matières premières est en train d’éclater. La réponse sera donnée dans les mois qui viennent. Ce qui est certain, c’est qu’une bulle s’est formée et qu’un jour elle éclatera. Quand ? Difficile de le dire.

Depuis 2006, le CADTM a cherché à attirer l’attention des peuples du Sud et des mouvements sociaux sur la nécessité de mettre à profit la conjoncture favorable aux économies exportatrices de matières premières afin de changer de modèle en réduisant progressivement mais sûrement la dépendance à l’égard de l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. et des exportations de matières premières non transformées. Il s’agit aussi d’utiliser la conjoncture relativement favorable dans laquelle se trouvent un certain nombre de pays pour procéder à des audits et mettre fin au paiement de la dette illégitime.
Cela vaut aussi pour d’autres catégories de pays qui, comme la Tunisie et l’Egypte, ont de solides arguments pour répudier la dette contractée par les régimes despotiques de Ben Ali et de Moubarak.

La conjoncture relativement favorable peut se retourner et prendre au dépourvu les pays qui ne s’y sont pas préparés. Redoublons les efforts pour l’audit citoyen de la dette dans les pays en développement, pour agir pour la répudiation de la dette illégitime et pour mettre en place un tout autre modèle économique et social.

Forte augmentation de la dette publique interne. Le CADTM a insisté également sur un autre élément constitutif du « système dette ». La dette publique interne augmente beaucoup plus vite que la dette externe. Dans certains cas, la dette publique interne s’accroît tandis que la dette externe diminue. La dette publique interne des pays émergents Pays émergents Les pays émergents désignent la vingtaine de pays en développement ayant accès aux marchés financiers et parmi lesquels se trouvent les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Ils se caractérisent par un « accroissement significatif de leur revenu par habitant et, de ce fait, leur part dans le revenu mondial est en forte progression ». a plus que quintuplé entre 2000 et 2013. En effet, elle est passée de 1300 milliards de dollars à 6800 milliards de dollars tandis que la dette publique externe augmentait plus lentement passant de 1000 à 1500 milliards de dollars [9]. Il s’agit de s’attaquer à cette nouvelle montagne de dette publique et ne pas écouter les discours rassurants des gouvernements.

Apprendre de l’expérience des peuples du Sud. Dans les pays du Nord, les recettes appliquées dans les pays du tiers-monde pendant 30 ans sont mises en œuvre à large échelle. Il convient de tirer les leçons des combats menés par les peuples du Sud.

Le FMI, la Banque mondiale et les autres créanciers veulent généraliser à l’échelle planétaire leur offensive. Comme vient de le démontrer une étude indépendante [10] basée sur des centaines de rapports établis par le FMI pour fixer des objectifs à ses pays membres, il ne fait aucun doute que le Fonds veut étendre et approfondir l’offensive contre les droits économiques et sociaux des peuples au cours des trois prochaines années. Il n’y a aucune illusion à se faire sur un possible abandon des politiques d’austérité prônée par le FMI.

Désobéir face aux créanciers

Il est possible et nécessaire de désobéir aux institutions financières internationales et à la Troïka Troïka Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté. , de refuser les diktats des créanciers privés afin de retrouver une marge de manœuvre pour améliorer la situation des pays et de leur population. La fermeté paie ! Plusieurs exemples concrets de pays qui ont osé défier leurs créanciers le démontrent.

L’Argentine et la suspension du remboursement de la dette
Après trois années de récession Récession Croissance négative de l’activité économique dans un pays ou une branche pendant au moins deux trimestres consécutifs. économique (1999-2001) et dans le contexte d’une rébellion populaire massive qui a fait tomber le président De La Rua, l’Argentine a décidé de suspendre, fin décembre 2001, le paiement d’une grande partie de sa dette extérieure publique pour un montant d’environ 90 milliards de dollars.

Une partie des sommes dégagées ont été réinvesties dans les secteurs sociaux, notamment dans des indemnités versées aux chômeurs organisés dans le mouvement des piqueteros. Certains affirment qu’en réalité la récupération économique de l’Argentine à partir de 2003-2004 est uniquement due à l’augmentation du prix de ses produits d’exportation (soja, minerais…). C’est faux car si l’Argentine n’avait pas suspendu le paiement de sa dette à partir de fin 2001, les recettes publiques générées par les exportations auraient été englouties par le remboursement de la dette. Le gouvernement n’aurait pas eu le moyen de relancer l’activité économique. Par ailleurs, grâce à la suspension de paiement des 90 milliards de dettes commerciales qui a duré jusqu’en mars 2005, l’Argentine a pu imposer à ses créanciers une réduction de la moitié de ce montant. Le CADTM ainsi que de nombreux mouvements sociaux et partis de la gauche argentine proposaient à l’époque d’aller plus loin vers l’annulation totale de la dette illégitime, non seulement à l’égard des créanciers privés mais également envers le FMI et d’autres créanciers publics. Le gouvernement argentin a refusé de suivre cette voie.

Il est important d’ajouter que l’Argentine est en suspension totale de paiement de sa dette de 6,5 milliards de dollars envers le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
depuis 2001. On peut donc constater que depuis 12 ans déjà, ce pays tient tête au Club de Paris. Malgré les 44 procès devant la Banque mondiale auxquels l’Argentine doit faire face et malgré les menaces récentes de se faire expulser du FMI, Buenos Aires continue. Depuis 2001, l’Argentine n’emprunte plus sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
et pourtant le pays continue de fonctionner !

Pour autant, il est important de ne pas se méprendre sur l’expérience argentine, il faut éviter d’en faire un modèle, il est nécessaire d’adopter un point de vue clairement critique. Le gouvernement argentin a œuvré pour maintenir le pays dans un cadre capitaliste, aucune réforme structurelle n’a été entreprise, la croissance économique argentine est largement fondée sur l’exportation de produits primaires (soja transgénique de surcroît, et minerais). Il s’agit d’un modèle extractiviste-exportateur. Néanmoins, ce que l’Argentine a fait démontre qu’on peut parfaitement désobéir aux créanciers. Sous d’autres cieux, un authentique gouvernement de gauche pourrait s’appuyer sur ce précédent pour aller beaucoup plus loin.

Équateur : audit et suspension
Sept mois après avoir été élu, le président équatorien Rafael Correa a décidé en juillet 2007 de faire procéder à un audit de la dette du pays, et des conditions dans lesquelles elle s’était constituée. A cette fin, une commission d’audit de la dette composée de 18 experts, dont le CADTM faisait partie, a été mise en place à partir de juillet 2007. Après 14 mois de travail, un rapport a été remis. Il montrait notamment que de nombreux prêts avaient été accordés en violation des règles élémentaires. En novembre 2008, le nouveau pouvoir, prenant appui sur ce rapport, a décidé de suspendre le remboursement de la dette constituée de titres de la dette Titres de la dette Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
venant à échéance les uns en 2012, les autres en 2030. Finalement, le gouvernement de ce petit pays est sorti vainqueur d’une épreuve de force avec les banquiers nord-américains détenteurs des titres de la dette équatorienne. Il a racheté pour moins de 1 milliard de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. Le trésor public équatorien a ainsi économisé environ 2,2 milliards de dollars de stock de dette auxquels il faut ajouter les 200 millions de dollars d’intérêts par an pour la période 2008-2030. Cela a permis de dégager de nouveaux moyens financiers permettant au gouvernement d’augmenter les dépenses sociales dans la santé, l’éducation, l’aide sociale et dans le développement d’infrastructures de communication. Il a également intégré dans sa Constitution l’interdiction de transformer des dettes privées en dettes publiques et l’interdiction de contracter des dettes illégitimes [11].

Il faut ajouter que l’Équateur ne reconnaît plus la compétence du tribunal de la Banque mondiale. Il a refusé de signer un traité de libre échange avec l’Union européenne et avec les États-Unis. Le président équatorien a annoncé son intention de lancer un audit sur les traités bilatéraux d’investissement. Enfin, les autorités de Quito ont mis fin à la présence de l’armée des États-Unis sur le territoire équatorien.
Dans le cas de l’Équateur, il faut également se garder d’ériger en modèle l’expérience en cours. Un regard critique est indispensable. Il n’en demeure pas moins que l’expérience équatorienne en termes d’audit et de suspension unilatérale du remboursement de la dette démontre qu’il est parfaitement possible de désobéir aux créanciers et d’en tirer avantage pour améliorer les dépenses publiques dans des domaines comme l’éducation et la santé publique.

L’Islande : le refus de payer la dette réclamée par le Royaume-Uni et les Pays-Bas
Suite à l’effondrement du système bancaire en 2008, l’Islande a refusé d’indemniser les ressortissants des Pays-Bas et du Royaume-Uni qui avaient placé des fonds dans des filiales de banques islandaises privées qui venaient de s’effondrer, pour un total de 3,9 milliards d’euros. Les autorités britanniques et hollandaises ont alors indemnisé leurs ressortissants et ont exigé de l’Islande qu’elle les rembourse. Sous la pression populaire (manifestations, occupations de places, référendums), les autorités de Reykjavik ont refusé. Cela a eu pour conséquence l’inscription de l’Islande sur la liste des organisations terroristes, le gel des avoirs islandais au Royaume-Uni et le dépôt d’une plainte de Londres et de La Haye contre Reykjavik auprès de la Cour de l’Association européenne de libre échange (AELE) [12]. Par ailleurs, l’Islande a bloqué totalement les sorties de capitaux du pays. Finalement, elle s’en tire beaucoup mieux que d’autres pays d’Europe qui ont accepté les exigences des créanciers. Ici encore, évitons de faire de l’Islande un modèle, mais tirons des enseignements de son expérience.

Ces exemples nous démontrent que désobéir aux créanciers n’est pas une catastrophe et n’entraîne en aucun cas l’effondrement du pays.
Soulignons également que ces expériences ont été précédées ou réalisées dans un contexte de mobilisations populaires faisant pression sur le gouvernement. D’où l’importance de toucher l’ensemble de la population au travers des moyens de vulgarisation de cette question parfois complexe. Le travail d’audit est donc un vrai travail de prise de conscience. Il s’agit de rendre visible l’illégitimité de la dette auprès de la majorité de la population.

Conclusion : l’annulation de la dette illégitime n’est pas une fin en soi

Enfin en guise de conclusion, nous reproduisons la partie 3 de la charte politique du CADTM :

« 3 - Pour le CADTM, l’annulation de la dette ne constitue pas une fin en soi. Il s’agit d’une condition nécessaire, mais non suffisante, pour garantir la satisfaction des droits humains. Il faut donc nécessairement aller au-delà de l’annulation de la dette publique si l’humanité souhaite la réalisation de la justice sociale respectueuse de l’environnement. La dette fait partie d’un système qu’il s’agit de combattre dans son ensemble. Simultanément à l’annulation de dette, il est indispensable de mettre en pratique d’autres alternatives radicales parmi lesquelles :

  • Éliminer la faim, la pauvreté et les inégalités.
  • Garantir l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la vie.
  • Porter l’aide publique au développement, exclusivement sous la forme de dons et sans aucune conditionnalité, à 1% du revenu national brut des pays les plus industrialisés en la rebaptisant « Contribution de réparation et de solidarité », en excluant dans le calcul de celle-ci les annulations de dette et les montants ne servant pas les intérêts des populations du Sud.
  • Mettre en place une mobilisation de ressources non génératrices d’endettement.
  • Mettre en place des alternatives qui libèrent l’humanité de toutes les formes d’oppression : oppression sociale, oppression patriarcale, oppression néocoloniale, oppression raciale, oppression de caste, oppression politique, oppression culturelle, sexuelle et religieuse.
  • Mettre en place une politique environnementale ambitieuse qui vise à restabiliser le climat.
  • Assurer la souveraineté économique, politique et alimentaire des peuples.
  • Interdire le brevetage du vivant
  • Démilitariser intégralement la planète.
  • Garantir le droit de circulation et d’établissement des personnes.
  • Affirmer la supériorité des droits humains sur le droit commercial et imposer aux gouvernements, aux institutions financières internationales et aux entreprises le respect de différents instruments internationaux tels que la Déclaration universelle des droits humains (DUDH, 1948), la Convention sur les droits politique de la femme (1952), le Pacte international sur les Droits économiques sociaux et culturels (PIDESC, 1966), le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP, 1966), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, 1981), la Déclaration sur le droit au développement (DDD, 1986), la Convention relative aux droits des travailleurs migrants et de leurs familles (1990), la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme (1998) et la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (2007).
  • Assurer la souveraineté des peuples sur leur vie et leur avenir, ce qui implique notamment de mettre dans le domaine public les ressources naturelles, les résultats de la Recherche et Développement, les autres biens communs de l’humanité et les secteurs stratégiques de l’économie.
  • Sortir du système capitaliste basé sur la recherche du profit privé maximum, la croissance et l’individualisme afin de construire une société où ce sont les nécessités sociales et environnementales qui sont au cœur des choix politiques. »

Éric Toussaint est président du CADTM Belgique et membre du secrétariat international du réseau mondial CADTM. 

Notes

[3En Afrique, au sud du Sahara, ont eu lieu des mobilisations étudiantes au Burkina Faso en mars-avril 2011, au Togo en mai-juin 2011 et au Sénégal un mouvement intitulé Y’en a marre contre l’autoritarisme du président Wade en juin 2011. Elles se référaient explicitement au printemps arabe en cours. Au Sénégal, le Forum social mondial réuni en février 2011, dix ans après sa création, a connu un succès important sous le signe du soulèvement en cours en Tunisie et en Egypte (voir Olivier Bonfond, http://www.cadtm.org/FSM-Dakar-2011-Succes-populaire-et).

[4Voir Franck Gaudichaud, « Quand le néolibéralisme triomphant se fissure. Chili : réflexions sur le réveil des mouvements sociaux et le « Mai chilien », http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article23403

[5Voir le communiqué de presse : « Le Réseau CADTM Afrique condamne l’intervention militaire de la France et de ses alliés au Mali » http://cadtm.org/Le-Reseau-CADTM-Afrique-condamne-l.

[6Voir : Pauline Imbach, « Tunis : Un front commun d’organisations politiques contre la dette est né », http://cadtm.org/Tunis-Un-front-commun-d,8959 publié le 25 mars 2013.

[7Voir Marie Dufaux et Eric Toussaint : « Il faut désobéir aux créanciers et refuser de rembourser des dettes illégitimes ! », http://cadtm.org/Eric-Toussaint-a-Tunis-Il-faut.

[8Voir le texte du manifeste : http://cadtm.org/Mediterranee-Manifeste-du-front.

[9Source : JP Morgan cité par The Economist, « Sovereign debt markets : An illusory haven”, 20 avril 2013, p. 63.

[10Isabel Ortiz et Matthew Cummins, “A Review of Public Expenditures and Adjustment Measures in 181 Countries”, http://cadtm.org/The-Age-of-Austerity.

[11Voir Eric Toussaint, « La Constitution équatorienne : un modèle en matière d’endettement public », http://cadtm.org/La-constitution-equatorienne-un , publié le 27 décembre 2010.

[12La Cour de l’Association européenne de libre échange (AELE), qui n’a pourtant rien d’une association altermondialiste, a donné raison à l’Islande il y a deux mois. Voir CADTM, « Le tribunal de l’AELE rejette les réclamations « Icesave » contre l’Islande et ses habitants », http://cadtm.org/Le-tribunal-de-l-AELE-rejette-les , publié le 29 janvier 2013.

Eric Toussaint

Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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