Le Brésil résiste : Non à l’accord UE-Mercosur (communiqué collectif)

31 mai par Collectif , France Amérique latine


Suite à l’élection de Lula à la présidence du Brésil, l’accord de libre-échange UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) est revenu sur la table des négociations. Cet accord, s’il est conclu, créera l’une des plus grandes zones de libre-échange de la planète. Ensemble, les deux blocs représentent environ 25 % de l’économie mondiale et un marché de 780 millions de personnes.



L’Accord UE-Mercosur Mercosur Le Mercosur est une zone régionale de coopération économique du Cône Sud (marché du Cône Sud) qui rassemble le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, en plus de deux pays associés, le Chili et la Bolivie. sera à l’ordre du jour du prochain sommet des chef.fes d’États et de Gouvernements de l’Union Européenne et de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC), les 17 et 18 juillet à Bruxelles.

Nous exprimons notre rejet de l’accord UE-Mercosur, qui ne fait qu’intensifier une mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
qui détruit l’environnement et met en concurrence les peuples.

L’accord UE-Mercosur tend à favoriser et à renforcer un retour à la primarisation de l’économie sud-américaine, en privilégiant l’accroissement des exportations de produits agricoles (viande, soja, sucre, etc.) et de produits issus d’industries extractives. Parallèlement, l’UE pourrait voir un incrément de ses exportations des biens de production durable, tels les machines-outils, mais aussi des produits chimiques (dont des pesticides interdits en UE). En 2019, le Brésil était le deuxième plus gros acheteur de pesticides interdits en Europe qui empoisonnent les gens et les sols de ses citoyen.nes et, in fine, les consommateurs et consommatrices européen.nes.

Le schéma d’échanges qui en découle représente une forme de néo-colonialisme (échange de matières premières contre des produits manufacturés). L’accord va favoriser l’agro-business au détriment de la protection de l’environnement et de l’agriculture familiale paysanne. À titre d’exemple, la superficie utilisée pour la seule culture du soja dans le Mercosur en 2019, équivaut aujourd’hui à la taille de la France, troisième plus grand pays du continent européen. Or, cette superficie s’étend et s’étendra nettement plus vite si l’accord est signé. Au Brésil, il faudra encore davantage déforester, déplacer des peuples autochtones de leurs territoires pour étendre les zones de culture et répondre aux quotas d’exportation. Tout en n’apportant aucune garantie de sécurité alimentaire pour les populations les plus démunies, cet accord empirerait une situation déjà très délicate à laquelle Jair Bolsonaro, président de 2018 à 2022, a sciemment contribué en encourageant les atteintes aux droits fondamentaux, à la démocratie et à l’environnement.

Lire aussi : Solidarité, égalité, coopération et commerce soutenable : une alternative à l’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur

Parallèlement, de par la conclusion de cet accord, les conflits d’usage et pour l’accès à la terre en Amérique latine vont aller croissant, toujours au détriment de l’agriculture familiale paysanne et des Sans Terre. L’heure n’est plus à une mondialisation qui fait de l’intérêt des multinationales un objectif supérieur à la protection de la planète, aux droits sociaux et aux droits des populations. La voix des peuples impactés par cet accord doit être écoutée et nous dénonçons toute manœuvre stratégique pour contourner le contrôle démocratique sur cet accord.

Nous rejetons aussi le tour de passe-passe de la Commission européenne proposant un « protocole additionnel » censé ajouter des engagements des pays du Mercosur, notamment du Brésil, en matière de lutte contre la déforestation et contre le dérèglement climatique. En fin de compte, il laisse totalement inchangé le volet agricole et ne vise aucunement à rediscuter le contenu de l’accord. Il est clairement destiné à contrer les critiques légitimes des citoyen·nes, parlementaires, universitaires et chercheurs·euses qui s’y opposent.

Avec le collectif national Stop CETA-Mercosur, notre Coalition appelle ses partenaires en France et au Brésil, à unir leurs efforts des deux côtés de l’Atlantique, à se mobiliser pour bloquer le projet d’accord. Nous considérons qu’il y a bien mieux à proposer qu’un accroissement des échanges commerciaux comme une fin en soi. L’approfondissement des rapports entre l’UE et les pays du Mercosur doit passer par davantage de coopération, de solidarité et de responsabilité commune pour les enjeux environnementaux et démocratiques !

Organisations signataires : Autres Brésils, Comité des amis du MST et de l’ENEF, Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques (CSIA-Nitassinan), CRID, France Amérique Latine, Internet Sans Frontières – Brésil (ISF-Br), Réseau Européen pour la démocratie (RED.Br)


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