Le CADTM Italie se met au travail !

14 juillet 2017 par Chiara Filoni


La première assemblée du CADTM Italie, issue de la convergence de membres des audits locaux de la dette, d’Attac Italie, de Communia, d’associations de la société civile et des représentants de Pax Christi- s’est tenue à Rome le 4 mars 2017.



Lors de cette rencontre plus d’une dizaine de nouvelles associations et collectifs italiens (Articolo 21, une association qui s’occupe de la liberté d’expression, Libera, active dans la lutte contre la mafia, des paysans de Via Campesina et de Sem Terra, Caritas, d’autres associations catholiques et des professeurs d’université) ont déclaré leur intention de collaborer avec le « Centre d’études-action CADTM Italie ».

Ce centre d’études, constitué en association, se fixe l’objectif de fournir des analyses fouillées sur le sujet de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
locale, nationale et européenne, les politiques économiques et monétaires et les alternatives dans ces domaines. Ces analyses seront mises à disposition des différents mouvements sociaux nationaux dans leurs combats de tous les jours, puisque la dette -comme on le sait bien- sert trop souvent de prétexte pour appliquer les mesures d’austérité les plus agressives. D’où le nom Centre d’études orienté vers l'action~!
Certains de ces groupes, comités et associations ont par exemple déjà demandé au CADTM Italie de donner des formations sur la finance publique et la dette ou de collaborer sur des sujets spécifiques. Par exemple, les avocats Raffaele Coppola et Anna Toma poursuivent avec détermination l’activité d’interpellation politique auprès de l’Assemblée générale de l’ONU et de certainEs parlementairEs italienEs pour introduire dans le droit interne et international les principes de la Charte de Goti, une charte élaborée en 1997 par une commission internationale de juristes mandatée par le Vatican qui prône l’annulation des dettes usuraires et la primauté des droits humains sur les droits des créanciers. Ces principes sont tout à fait en ligne avec la doctrine de la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
de Sack et ses développement successif soutenus par le réseau CADTM. 

En tout cas, la volonté du CADTM Italie est celle de faire émerger la problématique de la dette dans le plus grand nombre possible de conflits politiques nationaux, afin d’avoir une contre-analyse critique complète de tous ces conflits face au discours dominant.
Les objectifs qui ressortent de cette rencontre sont au nombre de trois :
- la nécessité de décortiquer la complexité de la thématique de la dette publique à travers des outils informatifs, pédagogiques et les mettre à disposition du public ;
- la nécessité de relancer le processus des audits locaux de la dette ;
- l’urgence de mettre en place un audit populaire de la dette publique italienne, prise en compte de toutes les difficultés liées à ce genre d’initiative.

Le séminaire du 17 juin 2017- qui s’est tenu à Rome- a approfondi certaines des thématiques déjà abordées en mars qui seront objet d’étude et d’analyse de l’association CADTM Italie.
Les interventions se sont articulées en trois phases : une introduction globale sur les politiques européennes et monétaires, une autre sur l’Europe et une dernière sur les alternatives.

La crise économique et financière que nous sommes en train de vivre est alimentée par la dette privée. La dette publique qui en découle n’est pas un élément isolé du contexte économique. Elle est la cause et la conséquence de la réduction des dépenses sociales, de la contraction des investissements et de l’asservissement des populations à la logique néolibérale.
C’est pour cette raison que le travail sur cette thématique est indispensable : la dette devrait être un outil au service des populations et non un instrument de violence contre ces dernières.
Les alternatives souverainistes (retour à la monnaie nationale) et populistes (la sortie de l’euro comme panacée de tous les problèmes) -très à la mode aujourd’hui en Italie- ne sont pas des vraies opportunités mais représentent plutôt des dangers puisque elles n’attaquent pas le problème à la racine et sont souvent mises an avant par des partis et des groupes conservateurs.

La dernière phase de la discussion s’est focalisée donc sur quelques alternatives concrètes pour sortir du système dette :

1. l’abolition des dettes illégitimes nationales. Pour ce faire, le CADTM Italie contribuera à la constitution d’une coordination des groupes d’audit déjà existants dans différentes villes italiennes. Par la suite, un travail de synthèse sera indispensable pour que ce savoir-faire soit utile pour des nouvelles réalités intéressées dans la dynamique de l’audit ;
2. le refus du TSCG TSCG Le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (ou « Pacte Budgétaire » européen) est un traité qui impose une discipline budgétaire toute particulière aux États membres de l’Union européenne qui l’ont signé (à l’exception de la Croatie, la République tchèque et le Royaume-Uni) et qui est entré en vigueur pour les pays qui l’avaient déjà ratifié au 01 janvier 2013.
Son article 3 concerne la fameuse « règle d’or » - que les États doivent introduire de manière contraignante et permanente dans leurs droits nationaux - imposant un déficit structurel de 0,5% (et non plus de 3%). De même, le pacte autorise un endettement public de maximum 60% du PIB qui doit être réduit d’1/20e par an le cas échéant.
Enfin, l’assistance financière prévue par le Mécanisme européen de stabilité (le MES) est conditionnée à la ratification de ce TSCG (rebaptisé « Tous Saignés Comme des Grecs » ou encore Traité de l’austérité).
et d’autres traités européens nous obligeant à poursuivre des objectifs de rigueur macroéconomique et à appliquer des mesures d’austérité ;
3. le désarmement des marchés ;
4. l’interdiction des dérivés Dérivés
Dérivé
Dérivé de crédit : Produit financier dont le sous-jacent est une créance* ou un titre représentatif d’une créance (obligation). Le but du dérivé de crédit est de transférer les risques relatifs au crédit, sans transférer l’actif lui-même, dans un but de couverture. Une des formes les plus courantes de dérivé de crédit est le Credit Default Swap.
financiers ;
5. la socialisation du système bancaire ;
6. l’interdiction de la socialisation des pertes des entreprises privées ;
7. la revendication, la défense et la promotion des biens communs naturels (eau, air etc.), sociaux (protection sociale, éducation) et économiques (redistribution des ressources) ;
8. la réappropriation des municipalités par les citoyen-ne-s.

Conscientiser la population italienne autour de la problématique de la dette qui est un rapport de force entre dominéEs et dominantEs est ce que le CADTM Italie a pour objectif ultime. Pour cela, il faudra savoir capter l’intérêt des citoyens et des citoyennes vers le système bancaire, les dérivés financiers, la dette des collectivités locales, Equitalia [1], les expériences de réappropriation du travail et d’autogestion, la lutte des paysan-ne-s contre leurs dettes privées. CertainEs économistes et juristes de réputation internationale, comme Fabio Marcelli, se sont également mis à disposition pour commencer ce travail important au côté du CADTM Italie. La bataille est longue mais elle ne sera pas vaine !

Entre temps, deux rendez-vous importants sont déjà sur le tapis :

1. la rencontre des groupes d’audit de la dette locale que le CADTM Italie coorganise à Parme avec la Commission d’audit de Parme pour fin octobre 2017 pour relancer la coordination entre les différents audits locaux ;
2. une conférence internationale prévue pour fin janvier 2018 à Pescara où le CADTM Italie espère pouvoir lancer la Commission nationale pour la vérité sur la dette italienne !

Deux occasions pour souligner la dimension locale, nationale et internationale de la dette publique et associer différentEs acteurs et actrices dans des actions communes !

Merci à Éric Toussaint pour sa relecture.


Notes

[1Equitalia est une société publique italienne, dont le Trésor public italien détient 51% du capital et l’INPS 49% (retraites, invalidité et maladie). La société fondée en 2007 est chargée de percevoir les impôts et taxes en Italie, à l’exception de la Sicile.

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