Le CADTM condamne les mesures du G20 sur la dette

16 octobre 2020 par CADTM International


(Crédit : Yakana - Réalisé lors des 8 heures contre la dette illégitime)

En marge des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI qui se tiennent du 12 au 18 octobre, les ministres des Finances du G20 se sont réunis ce mercredi 14 octobre 2020 pour adopter de nouvelles mesures d’allègement de dettes à destination des pays du Sud. Incapable de répondre de manière satisfaisante à l’urgence de la crise, le G20 a décidé de prolonger de 6 mois l’Initiative de suspension de paiement de la dette (ISSD) lancée en avril 2020 sans remettre en question les fondements et les limites de cette initiative.



Face à l’aggravation de la crise de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des pays du Sud consécutive à la dégradation de la situation économique mondiale décuplée par la pandémie de coronavirus, les institutions financières internationales et les principaux créanciers bilatéraux ont instauré au printemps 2020 des financements d’urgence et des mesures d’allègement de dette.

En avril 2020, le G20 G20 Le G20 est une structure informelle créée par le G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) à la fin des années 1990 et réactivée par lui en 2008 en pleine crise financière dans le Nord. Les membres du G20 sont : Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume-Uni, Russie, Turquie, Union européenne (représentée par le pays assurant la présidence de l’UE et la Banque Centrale européenne ; la Commission européenne assiste également aux réunions). L’Espagne est devenue invitée permanente. Des institutions internationales sont également invitées aux réunions : le Fonds monétaire international, la Banque mondiale. Le Conseil de stabilité financière, la BRI et l’OCDE assistent aussi aux réunions. et Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
ont créé l’ISSD [1]. L’opération consistait à reporter le service de la dette Service de la dette Remboursements des intérêts et du capital emprunté. bilatérale de mai à décembre 2020, en l’étalant sur la période allant de 2022 à 2024, ce qui veut dire que les sommes non payées en 2020 s’ajouteront aux sommes à payer. Dès son lancement la mesure est apparue comme inappropriée. Circonscrite à 73 pays, soit un peu plus de la moitié des pays en développement, elle excluait d’emblée des États déjà en défaut de paiement comme le Soudan, l’Argentine ou le Venezuela. L’accord en plus prévoyait que la mesure de report de paiement était conditionnée au remboursement préalable des arriérés de paiement dus au duo Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

Cliquez pour plus de détails.
/FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus de détails.
, doublée de la signature d’un plan d’ajustement structurel Plan d'ajustement structurel En réaction à la crise de la dette, les pays riches ont confié au FMI et à la Banque mondiale la mission d’imposer une discipline financière stricte aux pays surendettés. Les programmes d’ajustement structurel ont pour but premier, selon le discours officiel, de rétablir les équilibres financiers. Pour y parvenir, le FMI et la Banque mondiale imposent l’ouverture de l’économie afin d’y attirer les capitaux. Le but pour les États du Sud qui appliquent les PAS est d’exporter plus et de dépenser moins, via deux séries de mesures. Les mesures de choc sont des mesures à effet immédiat : suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, taux d’intérêt élevés. Les mesures structurelles sont des réformes à plus long terme de l’économie : spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée et fiscalité préservant les revenus du capital. Les conséquences sont dramatiques pour les populations et les pays ayant appliqué ces programmes à la lettre connaissent à la fois des résultats économiques décevants et une misère galopante. sous la tutelle du FMI. Tandis que la dette extérieure publique des pays du Sud s’élève à 3 000 milliards $US, l’ISSD devait dans le meilleur des cas traiter… 20 milliards $US, c’est-à-dire moins de 1 % de la dette publique externe totale.

Les pays du G20 s’inscrivent dans la continuité des mesures du FMI et de la Banque mondiale, quelques financements d’urgence principalement sous forme de prêts, l’application de mesures d’austérité, et un soutien infaillible aux créanciers en refusant l’idée même d’une annulation

Problème supplémentaire, ni la Chine, ni les créanciers privés (banques, fonds d’investissement Fonds d’investissement Les fonds d’investissement (private equity) ont pour objectif d’investir dans des sociétés qu’ils ont sélectionnées selon certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés suivant l’objectif de leur intervention : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (voir infra) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise. , fonds vautours Fonds vautour
Fonds vautours
Fonds d’investissement qui achètent sur le marché secondaire (la brocante de la dette) des titres de dette de pays qui connaissent des difficultés financières. Ils les obtiennent à un montant très inférieur à leur valeur nominale, en les achetant à d’autres investisseurs qui préfèrent s’en débarrasser à moindre coût, quitte à essuyer une perte, de peur que le pays en question se place en défaut de paiement. Les fonds vautours réclament ensuite le paiement intégral de la dette qu’ils viennent d’acquérir, allant jusqu’à attaquer le pays débiteur devant des tribunaux qui privilégient les intérêts des investisseurs, typiquement les tribunaux américains et britanniques.
, …), qui sont les principaux créanciers de ces pays ne sont directement concernés par l’ISSD. Étant seulement invités à rejoindre l’initiative, ni l’un ni l’autre n’ont concédé d’allègement de dettes ou de report de paiement. Plus grave, malgré les déclarations d’intention initiales des créanciers privés réunis au sein de l’IIF (Institute of International Finance) [2], ces derniers ont directement menacé les PED qui participeraient à l’ISSD d’une dégradation de leur note souveraine et d’un recul sévère des investissements directs étrangers.

En conséquence, seuls 46 des pays éligibles ont introduit une demande d’ISSD, pour un report total de … 5 milliards $US [3], soit moins de 2 millièmes (moins de 0,2 %) de la dette publique extérieure totale des pays du Sud. En réalité, « la dette extérieure totale des pays éligibles à l’initiative d’allègement adoptée en avril 2020 par les pays du G-20 (DSSI) a augmenté de 9,5 % par rapport à l’année précédente. Elle a atteint un montant record de 744 milliards de dollars en 2019, et a augmenté deux fois plus vite que celle des autres pays à faible et moyen revenu » [4]. Suite à ce désaveu manifeste, certains attendaient de la réunion du G20 du 14 octobre une refonte complète de l’ISSD répondant enfin à la hauteur des enjeux. Pourtant il n’en sera rien, ou si peu [5]. Primo, une extension de 6 mois, soit un report des paiements pour la période de janvier à juin 2021. Secundo, une extension du délai de remboursement initialement prévu entre 2022 et 2024, et ainsi prolongé jusqu’en 2026. Tertio, l’adoption d’un « cadre commun de traitement de la dette au-delà de l’ISSD », censé garantir la participation des créanciers bilatéraux non-membres du Club de Paris, et des créanciers privés. Sans plus de précision toutefois. Enfin, toujours la même intolérable conditionnalité à souscrire à un « programme d’assistance » du FMI… Sachant d’une part que la Chine considère, assez justement, que le G20 n’est pas un espace approprié pour traiter les renégociations de dette, et d’autre part que les créanciers privés réunis dans l’IIF ont renouvelé, dans une lettre ouverte, leur refus de participer à l’ISSD [6], on se dirige tout droit vers un nouveau fiasco.

Au final, les pays du G20 s’inscrivent dans la continuité des mesures du FMI et de la Banque mondiale, quelques financements d’urgence principalement sous forme de prêts, l’application de mesures d’austérité, et un soutien infaillible aux créanciers en refusant l’idée même d’une annulation.

Pourtant des solutions existent. Depuis le début de la crise Covid, aux États-Unis et dans l’Union européenne, les banques centrales ont débloqué plus de 5 000 milliards $US en quelques semaines. Par ailleurs, au moins trois arguments de droit international peuvent être invoqués pour justifier des annulations ou des répudiations de dette, à savoir : le cas de force majeure, l’état de nécessité et le changement fondamental de circonstances. Enfin, si réelle volonté politique il y avait, les États réunis au sein du G20, du Club de Paris et des institutions multilatérales (BM/FMI) pourraient au minimum soutenir publiquement tout pays qui déciderait de procéder à une suspension voire à une répudiation de sa dette, et ainsi obliger les créanciers réfractaires à s’assoir autour de la table de négociation.

Pour le CADTM, il n’y a rien à attendre des institutions financières internationales et des dites grandes puissances. Le CADTM est convaincu qu’il est nécessaire de constituer un front des pays du Sud contre le paiement des dettes illégitimes

Pour le CADTM, il n’y a rien à attendre des institutions financières internationales et des dites grandes puissances. Le CADTM est convaincu qu’il est nécessaire de constituer un front des pays du Sud contre le paiement des dettes illégitimes. C’est déjà ce que proposait il y a 33 ans, Thomas Sankara, le jeune président du Burkina Faso. C’est aussi ce que proposait à la même époque Cuba et Fidel Castro. Pour que cela se produise, il faut une prise de conscience au niveau des peuples et de puissantes mobilisations. Le CADTM se réjouit qu’une grande coalition mondiale de mouvements de lutte contre les dettes illégitimes se soit constituée avec plus de 550 organisations présentes dans 90 pays pour souscrire une déclaration commune et agir ensemble dans le cadre de la semaine d’action mondiale pour l’annulation de la dette.

Ce n’est qu’un début, continuons le combat.


Traduction en arabe : http://arabic.cadtm.org/2020/10/17/%d8%a8%d9%8a%d8%a7%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%b4%d8%a8%d9%83%d8%a9-%d8%a7%d9%84%d8%af%d9%88%d9%84%d9%8a%d8%a9-%d9%84%d9%84%d8%ac%d9%86%d8%a9-%d9%85%d9%86-%d8%a3%d8%ac%d9%84-%d8%a5%d9%84%d8%ba%d8%a7%d8%a1/


Notes

[1Club de Paris, « Suspension du service de la dette pour les pays les plus pauvres - ADDENDUM (*) », 15 avril 2020. Disponible à : https://clubdeparis.org/fr/communications/communique-presse/suspension-du-service-dette-pays-plus-pauvres-addendum-15-04-2020

[2Club de Paris, « Collaboration entre le Club de Paris et l’IIF pour soutenir l’ISSD », 30 avril 2020. Disponible à : https://clubdeparis.org/fr/communications/communique-presse/collaboration-entre-club-paris-iif-soutenir-issd-30-04-2020

[3Banque mondiale, Covid-19 : Initiative de suspension du service de la dette. Disponible à : https://www.banquemondiale.org/fr/topic/debt/brief/covid-19-debt-service-suspension-initiative

[4Moutiou Adjibi Nourou, « La Chine détient désormais 63 % de la dette due aux pays du G-20 », Agence Ecofin, 15 octobre 2020. Disponible à : https://www.agenceecofin.com/economie/1510-81350-la-chine-detient-desormais-63-de-la-dette-des-pays-pauvres-envers-les-membres-du-g-20

[5Club de Paris, « Extension de l’ISSD et cadre commun pour les traitements de dette », 14 octobre 2020. Disponible à : https://clubdeparis.org/fr/communications/communique-presse/extension-issd-cadre-commun-traitements-dette-14-10-2020

[6IIF, « IIF Letter to G20 Regarding The Debt Service Suspension Initiative », 22 septembre 2020. Disponible à : https://www.iif.com/Portals/0/Files/content/Regulatory/IIF%20Letter%20to%20G20%20on%20DSSI%20Sept%202020.pdf

Autres articles en français de CADTM International (115)

0 | 10 | 20 | 30 | 40 | 50 | 60 | 70 | 80 | ... | 110