Université d’été du CADTM
3 juillet 2013 par Noémie Candiago
Si la problématique de la dette financière a été l’angle d’attaque historique du CADTM, la crise environnementale et ses liens avec l’économie capitaliste ont rendu nécessaire l’enclenchement d’une réflexion en profondeur sur un autre type de dette, la dette écologique.
Après avoir été un des premiers relais en Europe de ce concept, apparu au début des années 90 en Amérique latine, le CADTM continue de conduire cette réflexion [1] et a proposé dans le cadre de sa troisième Université d’été un ensemble de trois ateliers destiné à améliorer la compréhension de la notion de dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
écologique et à discuter ensemble de ce qu’entraîne sa prise en compte dans nos revendications et nos luttes. Huit intervenant-e-s venu-e-s d’Espagne, de France et de Belgique, issu-e-s des mondes associatif, militant et universitaire, ont exposé leurs perspectives durant près de huit heures d’échanges et de débats. Les participant-e-s se sont montré-e-s enthousiastes et les discussions ont été particulièrement stimulantes.
Des citoyen-ne-s de pays du Sud ont enrichit l’échange de leurs expériences concrètes, entérinant la dénonciation sans appel du modèle extractiviste [2], du mode de production et de consommation insoutenable actuel que le capital international n’a pu (et ne peut) développer que par le pillage de leurs régions et communautés d’existence. La dette financière étant l’outil utilisé pour entériner la logique d’accaparement par dépossession (du travail et de la nature). Côte d’Ivoire, Mexique, Colombie, Équateur, partout les conséquences néfastes des activités des multinationales se font ressentir douloureusement, favorisées par les institutions financières internationales et des gouvernements locaux défaillants, quand ils ne sont pas carrément complices. Toutefois, si les États du Sud portent une part de responsabilité par le biais d’élites corrompues par les sirènes du pouvoir et le mirage du développement, n’oublions pas que les sociétés du Nord et leur empreinte écologique dépassant de trois à huit fois les capacités de régénération de la planète sont un rouage primordial de ce système. Nous avons évidemment rappelé que le propre de cette moyenne est d’effacer les inégalités Nord/Nord et Sud/Sud (n’oublions donc pas non plus que 20 % de la population mondiale concentre 80 % des ressources disponibles). Entre ces deux responsabilités subies, celle des États du Sud et des populations du Nord, les grands coupables sont toutefois bien les firmes multinationales, outils de l’oligarchie, qui tirent les ficelles en toute impunité. Il faut, pour les différents intervenants largement soutenus par la salle, faire cesser cette impunité et poursuivre en justice les dirigeants de ces sociétés qui ne respectent ni les droits humains (et entre autres celui des communautés), et encore moins l’obligation
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
de ne pas créer de dommage à l’environnement (obligation reconnue par le droit international, mais aussi par la plupart des législations des États dont ces entreprises sont originaires).
Au delà de cet impératif de reconnaissance et de début de réparation, on insistera beaucoup au cours des différents échanges sur la nécessité de stopper la contraction de la dette écologique
Dette écologique
La dette écologique est la dette contractée par les pays industrialisés envers les autres pays à cause des spoliations passées et présentes de leurs ressources naturelles, auxquelles s’ajoutent la délocalisation des dégradations et la libre disposition de la planète afin d’y déposer les déchets de l’industrialisation.
La dette écologique trouve son origine à l’époque coloniale et n’a cessé d’augmenter à travers diverses activités :
La « dette du carbone ». C’est la dette accumulée en raison de la pollution atmosphérique disproportionnée due aux grandes émissions de gaz de certains pays industriels, avec, à la clé, la détérioration de la couche d’ozone et l’augmentation de l’effet de serre.
La « biopiraterie ». C’est l’appropriation intellectuelle des connaissances ancestrales sur les semences et sur l’utilisation des plantes médicinales et d’autres végétaux par l’agro-industrie moderne et les laboratoires des pays industrialisés qui, comble de l’usurpation, perçoivent des royalties sur ces connaissances.
Les « passifs environnementaux ». C’est la dette due au titre de l’exploitation sous-rémunérée des ressources naturelles, grevant de surcroît les possibilités de développement des peuples lésés : pétrole, minéraux, ressources forestières, marines et génétiques.
L’exportation vers les pays les plus pauvres de produits dangereux fabriqués dans les pays industriels.
Dette écologique et dette extérieure sont indissociables. L’obligation de payer la dette extérieure et ses intérêts impose aux pays débiteurs de réaliser un excédent monétaire. Cet excédent provient pour une part d’une amélioration effective de la productivité et, pour une autre part, de l’appauvrissement des populations de ces pays et de l’abus de la nature. La détérioration des termes de l’échange accentue le processus : les pays les plus endettés exportent de plus en plus pour obtenir les mêmes maigres recettes tout en aggravant mécaniquement la pression sur les ressources naturelles.
, de renverser nos logiques de gestion des ressources naturelles si l’on veut réellement sortir de la croissance insoutenable, qui détruit nos sociétés au Sud comme au Nord. Nos sociétés modernes, droguées à la surproduction et au gaspillage, enfermées dans des logiques circulaires d’endettement et d’exploitation des ressources, humaines et naturelles, vont devoir apprendre à se désintoxiquer de la croissance économique telle qu’elle se réalise aujourd’hui. Le cloisonnement entre les sphères artificiellement autonomes du « social », de « l’économique » et de « l’environnemental » devra tomber si l’on espère construire un modèle de société juste et viable. Les mentalités vont devoir évoluer, ainsi que notre rapport à l’écosystème, afin que l’économie (re)devienne un outil permettant de répondre aux besoins fondamentaux et à l’émancipation des peuples.
Pour cela, la question du pouvoir a été posée et a représenté un des apports les plus importants de ce parcours. La voie de l’autonomie des communautés, d’un recentrage sur la gestion autonome, locale, directe, des ressources naturelles semble être prônée par l’ensemble des participant-e-s. Les discussions sur la question du chemin, de la réappropriation des moyens de production et de tous les communs, témoignent d’une avancée sur la manière de concevoir la lutte et la construction écologique. Nos ressources communes doivent être gérées en commun, et nous devons arrêter d’attendre des grandes entreprises et des élites politiques qu’elles exploitent avec bienveillance nos ressources pour satisfaire équitablement nos besoins. C’est à cet égard qu’on en appelle à recouvrer une souveraineté économique réelle, notamment via la souveraineté alimentaire, pour que les paysans ne subissent plus la concurrence déloyale de grands groupes agro-industriels et qu’il leur soit permis de nourrir leur communauté avec des produits de qualité, dans le respect de leur dignité et de l’environnement, pour le bien de tous. C’est aussi dans cette perspective que des représentants du courant de la Décroissance avaient été invités à faire part de leur analyse et à présenter des pistes de solutions pour repenser notre vivre-ensemble.
La grande conclusion de ces débats est cet appel à la réappropriation de nos ressources, laquelle ne passera que par une réappropriation de la Politique et un investissement de tout un chacun dans la vie de la Cité. La troisième Université d’été, sous le thème « Enraciner les résistances, brancher les luttes », constituait un forum idéal, à la fois pour poursuivre la sensibilisation d’un public inquiet de la dégradation continue de nos écosystèmes et de notre qualité de vie, pour lui donner des outils de compréhension sur les causes de cette dégradation, mais aussi pour permettre aux différents acteurs de se rencontrer et d’échanger sur les solutions à apporter à cette économie mortifère, pour ensemble organiser un front d’opposition uni contre ceux qui détruisent la planète et l’humanité. Le succès des ateliers démontre que la transition est d’ores et déjà en marche.
[1] Il sortira d’ailleurs prochainement un ouvrage collectif sur le sujet.
[2] Nicolas Sersiron, du CADTM France, va bientôt sortir un ouvrage intitulé « La Saignée » sur dette et extractivisme.
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