Communiqué de presse

Le CADTM exige l’annulation immédiate de la dette de la République démocratique du Congo et la suppression du Club de Paris

22 octobre 2010 par CADTM


Le Club de Paris repousse à 2011 l’examen de la dette bilatérale de la République démocratique du Congo (RDC) car certains créanciers, composant ce groupe informel de 19 riches pays du Nord, ont « des préoccupations sur la gouvernance économique et sur le climat des affaires en RDC », a indiqué Charles Michel, le Ministre belge de la coopération au développement, le 19 octobre dernier. En cause, certaines décisions de l’État congolais qui portent préjudice aux intérêts économiques de ces créanciers occidentaux dans le secteur des ressources naturelles.



Cette annonce tombe comme un couperet pour le gouvernement congolais qui espérait un allègement de sa dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
envers le Club de Paris Club de Paris Créé en 1956, il s’agit du groupement de 22 États créanciers chargé de gérer les difficultés de remboursement de la dette bilatérale par les PED. Depuis sa création, la présidence est traditionnellement assurée par un·e Français·e. Les États membres du Club de Paris ont rééchelonné la dette de plus de 90 pays en développement. Après avoir détenu jusqu’à 30 % du stock de la dette du Tiers Monde, les membres du Club de Paris en sont aujourd’hui créanciers à hauteur de 10 %. La forte représentation des États membres du Club au sein d’institutions financières (FMI, Banque mondiale, etc.) et groupes informels internationaux (G7, G20, etc.) leur garantit néanmoins une influence considérable lors des négociations.

Les liens entre le Club de Paris et le FMI sont extrêmement étroits ; ils se matérialisent par le statut d’observateur dont jouit le FMI dans les réunions – confidentielles – du Club de Paris. Le FMI joue un rôle clé dans la stratégie de la dette mise en œuvre par le Club de Paris, qui s’en remet à son expertise et son jugement macroéconomiques pour mettre en pratique l’un des principes essentiels du Club de Paris : la conditionnalité. Réciproquement, l’action du Club de Paris préserve le statut de créancier privilégié du FMI et la conduite de ses stratégies d’ajustement dans les pays en voie de développement.

Site officiel : https://www.clubdeparis.fr/
, après le feu vert donné par le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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et la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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en juillet dernier. Après avoir cédé aux multiples exigences de ses bailleurs de fonds occidentaux, la RDC avait, en effet, atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE PPTE
Pays pauvres très endettés
L’initiative PPTE, mise en place en 1996 et renforcée en septembre 1999, est destinée à alléger la dette des pays très pauvres et très endettés, avec le modeste objectif de la rendre juste soutenable.

Elle se déroule en plusieurs étapes particulièrement exigeantes et complexes.

Tout d’abord, le pays doit mener pendant trois ans des politiques économiques approuvées par le FMI et la Banque mondiale, sous forme de programmes d’ajustement structurel. Il continue alors à recevoir l’aide classique de tous les bailleurs de fonds concernés. Pendant ce temps, il doit adopter un document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), parfois juste sous une forme intérimaire. À la fin de ces trois années, arrive le point de décision : le FMI analyse le caractère soutenable ou non de l’endettement du pays candidat. Si la valeur nette du ratio stock de la dette extérieure / exportations est supérieure à 150 % après application des mécanismes traditionnels d’allégement de la dette, le pays peut être déclaré éligible. Cependant, les pays à niveau d’exportations élevé (ratio exportations/PIB supérieur à 30 %) sont pénalisés par le choix de ce critère, et on privilégie alors leurs recettes budgétaires plutôt que leurs exportations. Donc si leur endettement est manifestement très élevé malgré un bon recouvrement de l’impôt (recettes budgétaires supérieures à 15 % du PIB, afin d’éviter tout laxisme dans ce domaine), l’objectif retenu est un ratio valeur nette du stock de la dette / recettes budgétaires supérieur à 250 %. Si le pays est déclaré admissible, il bénéficie de premiers allégements de son service de la dette et doit poursuivre avec les politiques agréées par le FMI et la Banque mondiale. La durée de cette période varie entre un et trois ans, selon la vitesse de mise en œuvre des réformes clés convenues au point de décision. À l’issue, arrive le point d’achèvement. L’allégement de la dette devient alors acquis pour le pays.

Le coût de cette initiative est estimé par le FMI en 2019 à 76,2 milliards de dollars, soit environ 2,54 % de la dette extérieure publique du Tiers Monde actuelle. Les PPTE sont au nombre de 39 seulement, dont 33 en Afrique subsaharienne, auxquels il convient d’ajouter l’Afghanistan, la Bolivie, le Guyana, Haïti, le Honduras et le Nicaragua. Au 31 mars 2006, 29 pays avaient atteint le point de décision, et seulement 18 étaient parvenus au point d’achèvement. Au 30 juin 2020, 36 pays ont atteint le point d’achèvement. La Somalie a atteint le point de décision en 2020. L’Érythrée et le Soudan n’ont pas encore atteint le point de décision.

Alors qu’elle devait régler définitivement le problème de la dette de ces 39 pays, cette initiative a tourné au fiasco : leur dette extérieure publique est passée de 126 à 133 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,5 % entre 1996 et 2003.

Devant ce constat, le sommet du G8 de 2005 a décidé un allégement supplémentaire, appelée IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale), concernant une partie de la dette multilatérale des pays parvenus au point de décision, c’est-à-dire des pays ayant soumis leur économie aux volontés des créanciers. Les 43,3 milliards de dollars annulés via l’IADM pèsent bien peu au regard de la dette extérieure publique de 209,8 milliards de dollars ces 39 pays au 31 décembre 2018.
(Pays Pauvres Très Endettés), qui donne droit à des allègements de dette.

Pour le CADTM, ce report n’est pas surprenant. Fin 2009, le Club de Paris avait déjà fait chanter la RDC en s’opposant à un prêt du FMI, suite à la décision des autorités de Kinshasa de résilier le contrat minier KMT (Kingamyambo Musonoi Tailings) conclu avec l’entreprise canadienne First Quantum, dans lequel la Banque mondiale est également actionnaire. Cette nouvelle décision du Club de Paris prouve donc une fois de plus que cette instance illégitime est au service des intérêts des entreprises occidentales implantées dans les pays du Sud, bien loin du développement des populations locales.

C’est pourquoi le CADTM réclame l’annulation immédiate de la dette congolaise ainsi que la suppression du Club de Paris, qui utilise l’arme de la dette et le « climat des affaires » comme conditionnalité pour sauvegarder les intérêts économiques de leur entreprises en RDC, notamment dans le secteur minier face à la Chine. Ce concept fourre-tout de « climat des affaires » est aujourd’hui, de fait, une conditionnalité à part entière qui vise à entraver l’action Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
étatique dans les domaines où les créanciers du Nord ont d’important intérêts économiques. En interdisant à la RDC de revoir les contrats miniers avec les transnationales occidentales, le Club de Paris viole de façon manifeste la souveraineté de l’Etat congolais sur ses ressouces naturelles, prévue à l’article 9 de sa Constitution.

Pour le CADTM :

 - la RDC a intérêt à répudier l’intégralité de sa dette pour s’affranchir de la tutelle des Insititutions financières internationales, d’autant qu’il s’agit d’une dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
, nulle en droit international. En effet, cette dette qui s’élève encore aujourd’hui à près de 3 milliards de dollars est un boulet légué par le dictateur Mobutu avec la complicité du Club de Paris, du FMI et de la Banque mondiale, comme l’a souligné Yvonne Ngoyi (membre du réseau CADTM et de la Marche mondiale des femmes), lors de la clôture de la 3e action internationale de la Marche Mondiale des Femmes à Bukavu (13-17 octobre 2010). Cette dette doit donc être annulée totalement et sans conditions, selon la doctrine formulée par le juriste Alexander Sack en 1927 [1] .

 - les pays du Sud ont intérêt à créer un front uni contre le paiement de la dette, à l’instar du Club de Paris qui fait bloc contre les pays débiteurs pris individuellement lors de l’examen de leurs dettes.

 - la Belgique doit immédiatement mettre en œuvre la résolution adoptée par son Sénat le 29 mars 2007 qui demande notamment au gouvernement belge de suspendre immédiatement le remboursement des dettes des pays du Sud et de mettre en place un audit de ces dettes.

Contacts presse :

 - Renaud Vivien, juriste au CADTM Belgique : 0032 497 04 79 99 ; renaud chez cadtm.org

 - Victor Nzuzi, NAD Kinshasa (membre du reseau CADTM), 00243 998 277 907 ; victor_nzuzi2000 chez yahoo.fr

 - Damien Millet, porte-parole du CADTM France, 00 33 6 60 54 27 13 ; France chez cadtm.org


Notes

[1Alexander Sack, Les Effets des Transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, 1927 : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour les besoins et dans les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, etc., cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier (…). Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation ; c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée, par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir. »

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