Afrique centrale et Afrique de l’Ouest

Le CADTM place l’audit au cœur de son combat

29 octobre 2007 par Victor Nzuzi




Depuis plusieurs années maintenant, l’audit de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
constitue un objectif commun de la plupart des campagnes « dette » du Nord et du Sud. Ce travail nécessite du temps et une forte collaboration nord-sud, mais il commence véritablement à prendre forme et à donner des résultats concrets. Dans cette dynamique, le CADTM passe à la vitesse supérieure. En Afrique centrale et Afrique de l’Ouest, les objectifs sont ambitieux mais très clairs : en réalisant un audit de la dette des pays concernés, il s’agit de pousser les gouvernements à stopper les remboursements et aboutir à une répudiation de cette dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
.

Interview de Victor Nzuzi [1] par Olivier Bonfond

Peux-tu dire quelques mots sur l’audit de la dette en général ?

La chose la plus importante à mes yeux est qu’il faut être bien conscient que l’audit de la dette n’est pas un travail uniquement du CADTM. Il concerne l’ensemble des campagnes « dette » du monde entier et constitue en ce sens un axe de résistance mondiale. Logiquement, comme beaucoup d’autres organisations, l’ensemble du réseau CADTM s’est engagé activement dans cette voie et deux années plus tard, il est très positif de constater que les choses vont dans la bonne direction. Une vraie dynamique est lancée, les collaborations nord-sud mais aussi sud-sud se renforcent, des ouvrages de référence de qualité ont été réalisés [2] et diffusés à l’ensemble des mouvements sociaux qui veulent se lancer dans ce travail.

Il faut également souligner les résultats significatifs obtenus récemment en Equateur, où, grâce à une bonne collaboration nord-sud, le gouvernement norvégien a été poussé à annuler une dette illégitime Dette illégitime C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.

Comment on détermine une dette illégitime ?

4 moyens d’analyse

* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
et à reconnaître sa co-responsabilité dans l’endettement de l’Equateur. Rajoutons que le CADTM joue un rôle important dans la nouvelle commission d’audit mise en place par le nouveau gouvernement équatorien [3]. Ces décisions et actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
constituent des victoires très importantes et doivent encourager les mouvements sociaux africains et du monde entier à continuer le combat pour l’annulation de la dette du Tiers Monde.

Où en est le CADTM en Afrique sur cette question ?

Malgré un contexte social et économique très difficile, et malgré d’énormes difficultés (manque de ressources financières, matérielles, humaines,…), les organisations africaines du réseau CADTM ont réussi, grâce à une grande créativité, à développer de nombreuses actions et à obtenir des résultats significatifs, en particulier en terme de campagne d’information, de sensibilisation, de conscientisation et de mobilisations. Cela, soulignons-le, tout en gardant une grande indépendance politique [4].

Cependant, un « point noir » reste la faiblesse relative de communication et de collaboration entre les organisations d’une même région. Face à une mondialisation Mondialisation (voir aussi Globalisation)
(extrait de F. Chesnais, 1997a)
Jusqu’à une date récente, il paraissait possible d’aborder l’analyse de la mondialisation en considérant celle-ci comme une étape nouvelle du processus d’internationalisation du capital, dont le grand groupe industriel transnational a été à la fois l’expression et l’un des agents les plus actifs.
Aujourd’hui, il n’est manifestement plus possible de s’en tenir là. La « mondialisation de l’économie » (Adda, 1996) ou, plus précisément la « mondialisation du capital » (Chesnais, 1994), doit être comprise comme étant plus - ou même tout autre chose - qu’une phase supplémentaire dans le processus d’internationalisation du capital engagé depuis plus d’un siècle. C’est à un mode de fonctionnement spécifique - et à plusieurs égards important, nouveau - du capitalisme mondial que nous avons affaire, dont il faudrait chercher à comprendre les ressorts et l’orientation, de façon à en faire la caractérisation.

Les points d’inflexion par rapport aux évolutions des principales économies, internes ou externes à l’OCDE, exigent d’être abordés comme un tout, en partant de l’hypothèse que vraisemblablement, ils font « système ». Pour ma part, j’estime qu’ils traduisent le fait qu’il y a eu - en se référant à la théorie de l’impérialisme qui fut élaborée au sein de l’aile gauche de la Deuxième Internationale voici bientôt un siècle -, passage dans le cadre du stade impérialiste à une phase différant fortement de celle qui a prédominé entre la fin de Seconde Guerre mondiale et le début des années 80. Je désigne celui-ci pour l’instant (avec l’espoir qu’on m’aidera à en trouver un meilleur au travers de la discussion et au besoin de la polémique) du nom un peu compliqué de « régime d’accumulation mondial à dominante financière ».

La différenciation et la hiérarchisation de l’économie-monde contemporaine de dimension planétaire résultent tant des opérations du capital concentré que des rapports de domination et de dépendance politiques entre États, dont le rôle ne s’est nullement réduit, même si la configuration et les mécanismes de cette domination se sont modifiés. La genèse du régime d’accumulation mondialisé à dominante financière relève autant de la politique que de l’économie. Ce n’est que dans la vulgate néo-libérale que l’État est « extérieur » au « marché ». Le triomphe actuel du « marché » n’aurait pu se faire sans les interventions politiques répétées des instances politiques des États capitalistes les plus puissants (en premier lieu, les membres du G7). Cette liberté que le capital industriel et plus encore le capital financier se valorisant sous la forme argent, ont retrouvée pour se déployer mondialement comme ils n’avaient pu le faire depuis 1914, tient bien sûr aussi de la force qu’il a recouvrée grâce à la longue période d’accumulation ininterrompue des « trente glorieuses » (l’une sinon la plus longue de toute l’histoire du capitalisme). Mais le capital n’aurait pas pu parvenir à ses fins sans le succès de la « révolution conservatrice » de la fin de la décennie 1970.
qui impose au continent africain les mêmes politiques néolibérales destructrices (privatisations, libéralisation, austérité budgétaire), nous devons comprendre le développement, relever les défis et construire des réponses de manière globale. Dans cette perspective, les organisations d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest ont mis en place des mécanismes visant justement à pallier cette « faiblesse » en renforçant les connections et le dialogue entre ces deux sous-régions. Des listes électroniques de discussion sont créées, les échanges d’informations et d’expériences se développent, les rencontres se multiplient, et deux grands séminaires internationaux en Afrique centrale et Afrique de l’Ouest se préparent [5]. Il faut noter que l’audit est au cœur de ce processus et constituera le point focal des deux séminaires.

Quelques mots sur l’état d’avancement et les grands objectifs du séminaire en Afrique centrale ?

Après une première conférence internationale sur la dette illégitime et odieuse de la RDC tenue en avril 2004, les objectifs de ce deuxième séminaire sont nombreux et très ambitieux. L’objectif principal est d’avancer sur l’audit de la dette, mais aussi sur l’audit des ressources naturelles. Il s’agira de faire le point sur l’état d’avancement de ce travail dans chaque pays, de partager les expériences, les forces et les faiblesses, tant au niveau du contenu que des stratégies adoptées. Tout en respectant et intégrant la spécificité de chacun, nous voulons renforcer les liens de solidarités mais aussi avancer vers une analyse globale au niveau de la région. Un des objectifs à moyen à terme pourrait être de réaliser un ouvrage collectif au niveau de la sous-région. Notons qu’il est très important pour nous que ce document ne soit pas destiné avant tout aux « spécialistes » mais constitue un outil pédagogique de sensibilisation et de renforcement des mouvements sociaux.

Ce séminaire se tiendra fin novembre à Kinshasa et impliquera prioritairement les organisations membres du réseau CADTM en Afrique centrale (Kinshasa, Lubumbashi, Brazzaville, Pointe-Noire et Luanda). Pour nous, travailler à renforcer les liens entre les mouvements sociaux de cette région est pertinent à plusieurs niveaux. En effet, la République démocratique du Congo, le Congo Brazzaville et l’Angola ont une histoire et une culture commune, mais aussi un passé récent identique à différents niveaux : dettes odieuses, guerres liées à l’exploitation des minerais (pétrole, diamant, cobalt, coltan) ; destruction des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles…) ; précarisation des populations rurales…

Mais nous n’avons pas oublié d’impliquer également des organisations du réseau CADTM en Afrique de l’Ouest ainsi qu’au Maghreb, de manière à rester dans une vraie dynamique continentale. En plus de cela, nous avons réalisé un gros travail pour élargir l’implication des organisations congolaises dans ce processus. Dès le départ, ce n’est pas le NAD/CADTM mais bien la Plate-forme dette et développement (PDD) (voir pages suivantes) qui a pris en main l’organisation de cette activité. Par ailleurs, le Forum social congolais a été un moment fort pour intégrer d’autres mouvements sociaux, a priori non impliqués dans la question de la dette. Nous avons notamment réussi à ce que bon nombre de mouvements sociaux congolais signent une pétition pour l’audit de la dette de la RDC [6], ce qui représente pour nous une preuve que la coordination du travail sur la question de la dette odieuse et illégitime congolaise va dans la bonne direction. Précisons que cette pétition pourrait faire du bruit et ne pas plaire à tout le monde, en particulier à certains dirigeants de l’époque de Mobutu, de retour dans les institutions politiques.

Nous avons également fourni un effort pour impliquer d’autres campagnes « Dette » du Nord. Il faut être conscient que beaucoup de pays sont impliqués dans l’endettement des pays de la sous-région (Suisse, Allemagne, France, Italie, Belgique… ) et que les organisations dans ces pays (EURODAD, CNCD, SLUG, JUBILE SUD, ODG Espagne, Plate-forme Dette et Développement en France, Campagne italienne sur la dette, campagne suisse…) peuvent nous apporter des appuis de divers ordres (documents, pressions sur les gouvernements) pour propulser la dynamique et relancer le débat sur la responsabilité des créanciers dans l’endettement des pays du Sud.

Nous allons également réaliser un travail de sensibilisation et de formation envers les parlementaires de la région. Les expériences récentes montrent que l’intégration des parlementaires est fondamentale à plusieurs niveaux, notamment pour récolter des informations mais aussi pour susciter des débats publics et plus globalement, pour construire un mouvement social africain fort, solidaire et capable d’intervenir sur les décisions politiques.

Enfin, il faut être conscient que cet objectif d’audit s’inscrit dans une perspective à moyen terme. En ce sens, ce séminaire n’est pas une fin en soi mais doit constituer un moteur et un tremplin pour faire progresser durablement les collaborations et déterminer des stratégies à adopter pour l’avenir. Nous continuons la lutte.


Notes

[1Coordinateur du NAD-RDC et de la Plate Forme Dette et Développement RDC ( PDD)

[2Voir le manuel : « Menons l’enquête sur la dette - Manuel pour des audits de la dette du Tiers monde » http://www.cadtm.org/article.php3?id_article=2299 ou encore la brochure « A qui profitent toutes les richesses du Congo ? Pour un audit de la dette congolaise. » http://www.cadtm.org/texte.php3?id_article=2599

[3Pour plus d’infos, voir http://www.cadtm.org/spip.php?article2667

[4La « récupération » des organisations par la Banque mondiale ou autre tenant du néolibéralisme constitue un phénomène très préoccupant pour l’avenir du mouvement social africain

[5Le séminaire pour l’Afrique centrale se tiendra du 21 au 27 novembre à Kinshasa en RDC) et le séminaire pour l’Afrique de l’ouest aura lieu en décembre à Abidjan en Côte d’Ivoire.

[6Cette pétition a été lancée le 9 mai 2007 et a été déposée aux autorités le 25 mai. Selon la constitution de la RDC, les autorités doivent répondre dans les trois mois suivants.

Victor Nzuzi

NAD UNIKIN Kinshasa RDCongo

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