Chronique de RIO +20 (3)

Le Choix du cœur

19 juin 2012 par Samir Abi




La journée mémorable du 15 juin a marqué le début d’un dilemme matinal pour certains acteurs de la société civile accrédités à Rio + 20. En effet, en ce premier jour du Sommet des Peuples, la question était de savoir s’il fallait commencer par le sommet officiel ou par le Sommet des Peuples. L’expérience douloureuse, au premier jour, des deux heures de bus séparant le centre de conférence de Rio et l’« Attero de Flamengo » a dissuadé les plus résistants qui avaient espéré faire chaque jour la navette entre le lieu de négociations et celui des conférences. Le lendemain, les uns s’étaient décidés, ils passeraient alternativement une journée à l’est (Attero de Flamengo) et une journée à l’ouest (Centre de conférence). Les autres s’étaient résignés à faire un choix entre les deux événements. Les cœurs avaient tranché.

Comment rester indifférent à cette ambiance de carnaval authentiquement brésilien qui règne sur l’« Attero de Flamengo ». Parc de loisirs bordant la baie de Guanabara, l’Attero est un espace où les carioacas des quartiers de Botafogo, Flamengo, Gloria et Catete viennent se promener, notamment le week-end. Depuis le 15, et toute cette semaine encore, ils ont le choix d’assister à des centaines de tables rondes et conférences plénières, de flâner entre les étalages de l’espace réservé à l’économie sociale solidaire, d’admirer « les territoires du futur », espaces réservés à de multiples innovations éco technologiques ou encore d’aller regarder les activités des populations indigènes.

Ce week-end, nous avons été frappés de voir des familles entières venir participer à des ateliers. Des jeunes accompagnés de leurs parents ou de leurs grands-parents, et parfois des deux. Discuter avec ces différentes générations est un plaisir, et on profite de la maîtrise de l’anglais des jeunes pour expliquer aux vieux. On tombe également sur de très belles découvertes : cette grand-mère de 68 ans, originaire de l’Etat « Minas Gerais » au nord du Brésil, qui m’a surpris par la qualité de son anglais que sa petite fille lui a enseigné ces dernières années. Le savoir n’a pas d’âge et pas de limite, le pays de Paulo Freire le prouve.

A l’Aterro, diverses méthodes d’éducation populaire sont mises en œuvre pour faire comprendre et dénoncer l’économie verte et les fausses solutions proposées aux négociations du sommet officiel sensées parvenir à une nouvelle définition de principe pour atteindre un développement durable devant aboutir à l’élimination de la pauvreté. Vingt ans après Rio 92, on peut s’accorder à dire que la société civile a développé bon nombre d’outils pédagogiques sur la question.

Autres temps forts des activités au Sommet des Peuples, le partage d’expérience sur les luttes pour la défense des biens communs : la terre, l’eau, les forêts… La marchandisation de la nature à travers les privatisations et autres propositions de partenariat public/privé pour la gestion des biens communs qui ont mené à de nombreuses luttes des peuples au Sud depuis 1992 et que le sommet officiel évite d’aborder trouvent tout l’espace nécessaire au Sommet des Peuples. La lutte des Déguerpis et du Mouvement des Sans Voix au Mali contre l’extractivisme Extractivisme Modèle de développement basé sur l’exploitation des ressources naturelles, humaines et financières, guidé par la croyance en une nécessaire croissance économique. et l’accaparement des terres résonne avec celle des femmes pour l’eau et la terre en Inde et la lutte actuelle des indigènes au Brésil pour la préservation des lois concernant la forêt équatoriale et les forêts riveraines des fleuves qui sont aujourd’hui menacées. Des alliances voient ainsi le jour pour éviter aux peuples du Sud unis d’être vaincus dans les années à venir.

On ne peut finir ce tour du Sommet des Peuples sans évoquer le « Caminho das Artes », le chemin des arts avec son défilé de groupes culturels brésiliens. Les groupes de Samba avec leur « Panderos » et leur « Cuica », les groupes de capoeira avec leur « Berimbau », les Indigènes avec leurs sifflets et autres castagnettes, les militantes de la Marche Mondiale des Femmes ou encore les jeunes jouant du tambour sur des bicyclettes… Pas une heure ne passe sans que les dizaines de milliers de participants au Sommet des Peuples n’entendent les chants brésiliens rappelant les années de lutte contre toute forme d’oppression vécues par ces différents groupes depuis cinq cent ans. A Sommet des Peuples correspond culture des peuples, pour que la durabilité ne soit pas seulement économique mais que les générations futures aient également le droit d’apprécier la belle diversité culturelle, héritage de milliers d’années d’histoire humaine plus que jamais menacée de disparition.


Samir Abi

ATTAC-CADTM Togo

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