1er mars 2012 par Eric Toussaint , Damien Millet , François Sana
En réaction à la crise grecque et devant le risque que représentait la contagion des crises de la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
souveraine, les États membres de la zone euro, plutôt que de s’attaquer à la racine du problème, ont mis sur pied en urgence en mai 2010 le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Basé au Luxembourg, ce fonds temporaire (il était prévu qu’il prenne fin en juillet 2013) [1] a été conçu pour rassurer les marchés financiers
Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
. Il a pour objectif d’assurer la stabilité financière de la zone euro en fournissant de l’aide d’urgence aux pays de la zone euro en proie à des difficultés financières.
Ainsi, le FESF peut apporter des capitaux frais aux pays qui font appel à lui. Il a également la possibilité d’acheter les nouveaux titres de la dette
Titres de la dette
Les titres de la dette publique sont des emprunts qu’un État effectue pour financer son déficit (la différence entre ses recettes et ses dépenses). Il émet alors différents titres (bons d’état, certificats de trésorerie, bons du trésor, obligations linéaires, notes etc.) sur les marchés financiers – principalement actuellement – qui lui verseront de l’argent en échange d’un remboursement avec intérêts après une période déterminée (pouvant aller de 3 mois à 30 ans).
Il existe un marché primaire et secondaire de la dette publique.
publique émis sur le marché primaire à condition que le pays concerné mette en œuvre un programme d’austérité très strict rappelant le goût amer de la sauce FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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servie aux pays du tiers-monde depuis les années 1980 [2]. Il peut aussi intervenir sur le marché secondaire, ce qui lui permet de soulager les banques possédant des titres de la dette publique de pays « à risque ».
Comment se finance le FESF ? Il émet des obligations
Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
qui sont garanties
Garanties
Acte procurant à un créancier une sûreté en complément de l’engagement du débiteur. On distingue les garanties réelles (droit de rétention, nantissement, gage, hypothèque, privilège) et les garanties personnelles (cautionnement, aval, lettre d’intention, garantie autonome).
par les États membres de la zone euro au prorata de leur participation au capital de la BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
. Sur le papier, sa capacité d’intervention était initialement de 250 milliards d’euros, puis de 440 milliards d’euros, avant d’être portée à 1 000 milliards d’euros le 27 octobre 2011.
Malgré tous ces efforts, les États membres de la zone euro n’ont pas réussi à rassurer les marchés, qui en demandent toujours plus : « Alors qu’il devait être appelé à lever des centaines de milliards d’euros sur les marchés pour faire face à la crise des dettes souveraines, il suscite dorénavant la méfiance des investisseurs. Le FESF a dû s’y prendre à deux fois pour lever 3 milliards d’euros au profit de l’Irlande. Et il a dû servir un taux d’intérêt
Taux d'intérêt
Quand A prête de l’argent à B, B rembourse le montant prêté par A (le capital), mais aussi une somme supplémentaire appelée intérêt, afin que A ait intérêt à effectuer cette opération financière. Le taux d’intérêt plus ou moins élevé sert à déterminer l’importance des intérêts.
Prenons un exemple très simple. Si A emprunte 100 millions de dollars sur 10 ans à un taux d’intérêt fixe de 5 %, il va rembourser la première année un dixième du capital emprunté initialement (10 millions de dollars) et 5 % du capital dû, soit 5 millions de dollars, donc en tout 15 millions de dollars. La seconde année, il rembourse encore un dixième du capital initial, mais les 5 % ne portent plus que sur 90 millions de dollars restants dus, soit 4,5 millions de dollars, donc en tout 14,5 millions de dollars. Et ainsi de suite jusqu’à la dixième année où il rembourse les derniers 10 millions de dollars, et 5 % de ces 10 millions de dollars restants, soit 0,5 millions de dollars, donc en tout 10,5 millions de dollars. Sur 10 ans, le remboursement total s’élèvera à 127,5 millions de dollars. En général, le remboursement du capital ne se fait pas en tranches égales. Les premières années, le remboursement porte surtout sur les intérêts, et la part du capital remboursé croît au fil des ans. Ainsi, en cas d’arrêt des remboursements, le capital restant dû est plus élevé…
Le taux d’intérêt nominal est le taux auquel l’emprunt est contracté. Le taux d’intérêt réel est le taux nominal diminué du taux d’inflation.
en très forte hausse. Le différentiel avec les taux allemands a plus que triplé en cinq mois [3] ! » En réalité, au-delà des effets d’annonce des différents sommets européens, le FESF ne disposait en décembre 2011 que de 20 milliards d’euros qu’il avait péniblement réussi à collecter sur les marchés financiers par le biais de la vente d’obligations [4]. C’est une somme minuscule au regard des besoins.
Aussi, alors que le FESF avait pour mission de venir en aide à la fois aux États les plus endettés de la zone euro et aux banques privées au bord de l’abîme, il risque d’aggraver davantage l’endettement de l’Europe (particulièrement si les garanties des États membres de l’eurozone entrent en jeu) contribuant ainsi à l’éclatement de la zone euro. La Commission européenne, complètement dépassée par les événements et confrontée à l’échec du FESF, a d’ailleurs demandé début novembre 2011 une accélération des travaux visant au renforcement de la capacité d’intervention de ce fonds mais cela n’a servi à rien. Dès le mois suivant, le Conseil européen décidait d’anticiper d’un an l’entrée en fonction du successeur du FESF, le Mécanisme européen de stabilité (MES) [5], qui sera quant à lui une véritable institution financière internationale dont l’enveloppe devrait être fixée à 500 milliards d’euros, y compris les 250 du FESF. Abondé en partie par les États, le MES sera en fait un instrument permanent de transfert des richesses des peuples vers les banques. En effet, le cadre légal du MES assujettit les peuples à être garants et cautions des dettes auprès des banques.
Pour créer le MES, le Conseil européen de mars 2011 a modifié l’article 136 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne en y ajoutant : « Les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi, au titre du mécanisme, de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité [6]. »
L’article 9 du Traité instituant le MES précise que « Les membres du MES s’engagent de manière irrévocable et inconditionnelle à verser sur demande les fonds demandés par le directeur général en vertu du présent paragraphe dans les sept jours suivant la réception de ladite demande [7] ». Les articles 27 et 30 octroient la personnalité juridique au MES, qui pourra engager des poursuites judiciaires (par exemple, envers un État qui ne lui verse pas la somme exigée), mais jouira (ainsi que les membres de la direction et du personnel) de l’immunité diplomatique. De plus, les documents du MES ne seront pas disponibles pour le grand public : « les archives du MES et tous les documents qui lui appartiennent ou qu’il détient sont inviolables » (article 27).
D’après l’accord de décembre 2011, le MES sera géré suivant la règle de la majorité qualifiée : une décision devra recueillir au moins 85 % des droits de vote pour être valide, alors que l’unanimité était prévue auparavant. Cela confère un droit de veto de fait à trois pays qui ont plus de 15 % des voix : Allemagne (27,1 %), France (20,4 %) et Italie (17,9 %). Un des autres pays ne pourra pas seul s’opposer à une décision du MES, comme ce fut le cas à l’automne 2011 pour la Finlande ou la Slovaquie.
En somme, voilà une institution qui sera permanente, antidémocratique, inattaquable sur le plan juridique, occulte, et qui pourra exiger de n’importe quel pays de la zone euro, dans un délai d’une semaine, des milliards d’euros « de manière irrévocable et inconditionnelle » ! Autant de signes qui ne trompent pas : l’Europe de la finance utilise la crise et la question de la dette publique pour prendre les pleins pouvoirs. L’austérité pour les peuples est son credo.
Damien Millet (professeur de mathématique, porte-parole du CADTM France), François Sana (économiste), Eric Toussaint (docteur en sciences politiques, président du CADTM Belgique, membre du Conseil scientifique d’ATTAC France). Damien Millet et Eric Toussaint ont dirigé le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011, qui a reçu le Prix du livre politique à la Foire du livre politique de Liège en 2011.
Dernier livre en date : Damien Millet et Éric Toussaint, AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012.
[1] Le Conseil européen de décembre 2011 a avancé son remplacement par le MES d’un an, en juillet 2012.
[2] Damien Millet et Éric Toussaint, 60 Questions 60 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, Bruxelles-Genève, CADTM-Syllepse, 2008.
[3] Marianne, 12-18 novembre 2011.
[4] Pierre-Henri Thomas, « L’Europe ne sort pas son Bazooka », Le Soir, 10-11 décembre 2011.
[5] Voir le site http://www.interpellation-mes.be
[6] http://www.european-council.europa.eu/home-page/highlights/ready-to-stabilise-the-whole-eurozone.aspx?lang=fr
[7] Pour le texte du traité en anglais, voir http://consilium.europa.eu/media/1216793/esm%20treaty%20en.pdf
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France.
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
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professeur de mathématiques en classes préparatoires scientifiques à Orléans, porte-parole du CADTM France (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde), auteur de L’Afrique sans dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec Frédéric Chauvreau des bandes dessinées Dette odieuse (CADTM-Syllepse, 2006) et Le système Dette (CADTM-Syllepse, 2009), co-auteur avec Eric Toussaint du livre Les tsunamis de la dette (CADTM-Syllepse, 2005), co-auteur avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (L’esprit frappeur, 2004).
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