28 mars 2015 par Salaheddine Lemaizi
Eric Toussaint, Renaud Vivien et Marie-Christine Vergiat
Le 27 mars s’est tenu le Forum Parlementaire Mondial (FPM) à Tunis. Cet événement ouvert à tous les parlementaires qui partagent la charte de Porto-Alegre, et aux participants au FSM a démarré ses activités avec une session sur le thème « Contrer ensemble la dette, instrument de domination des peuples »
Dans un amphithéâtre rempli par 200 participants, Gabi Zimmer, président du groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) et Hamma Hamami, président du Front populaire de Tunisie, co-organisateurs de cette manifestation ont donné le ton des débats. Hamami n’a pas hésité à qualifier « la dette
Dette
Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
d’arme de destruction des peuples ». Il rappelle que « la Tunisie emprunte actuellement pour rembourser les dettes de Ben Ali ». Le leader politique tunisien exige des parlementaires européens présents de faire pression sur l’Union européenne pour annuler la dette de la Tunisie : « Si vous êtes vraiment solidaires avec la Tunisie face au terrorisme : annulez la dette », interpelle-t-il les parlementaires présents dans la salle. Le Front Populaire a interpellé les autorités européennes sur ce sujet par le passé. Le réseau CADTM international ainsi que le collectif ACET (Auditons les créances
Créances
Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur).
envers la Tunisie) font des démarches similaires depuis 2012.
Le poids de la dette tunisienne entrave la possibilité d’atteindre les objectifs de la révolution de janvier 2011. « La dette tunisienne ne représente rien pour ses créanciers mais pour le Tunisien ce sont des sommes astronomiques. 41 milliards de dinars (19,3 milliards d’euros) ont été empruntés par Ben Ali sur les vingt-cinq ans ». La Tunisie a déjà remboursé 48 milliards de dinars (22,7 milliards d’euros) de dettes. Pour ces raisons, le Front Populaire exige « l’annulation de la dette de Ben Ali ». Elle est une dette odieuse
Dette odieuse
Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.
Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).
Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.
Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».
Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »
Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
et/ou illégitime. Et Hamami de conclure sous le mot d’ordre : « Nous vaincrons en Tunisie contre la tyrannie, la dictature et l’obscurantisme ».
Perte de souveraineté
Après cette ouverture politique, le FPM a donné la parole aux députés mais aussi aux représentants des mouvements sociaux et organisations actives dans la lutte contre le « système dette ». Un premier panel a été consacré à la dette comme instrument de transfert des richesses du Sud au Nord, il a été modéré par Fathi Chamkhi (député tunisien, Front populaire).
D’entrée de jeu, le député grec Vassilis Chatzilabrou (Syriza) explique le vrai rôle de ce système : « Pour pouvoir payer la dette, il faudrait déjà être en mesure de créer de la richesse, mais ce n’est pas ce qui intéresse nos bailleurs. Ils ont fait chuter notre PIB
PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
de 30%, la dette est passé de 125% du PIB à 178%, ils ont provoqué une catastrophe sociale, et sont très contents de leur politique, car leur but est de garder la Grèce sous leur contrôle. »
Le député Miguel Urban (PODEMOS- député GUE) appelle à un soutien à Syriza pour affronter le chantage de la dette. « Ce gouvernement doit être défendu. Il faut un comité de défense du gouvernement grec, pour soutenir l’audit de la dette », souhaite-t-il.
Chamkhi, député tunisien, affirme pour sa part que « la dette est un outil de pillage mais aussi de domination politique. Par cette dette, ils s’approprient notre souveraineté ». Ainsi, c’est la Commission européenne qui décide à la place des Tunisiens comme le montre la composition et le mandat du dernier gouvernement, composé de « technocrates ».
En Grèce, l’ajustement passe au Nord
Eric Toussaint (porte-parole du réseau CADTM) a tenu à rappeler que la lutte contre « le système dette » a une histoire. « Thomas Sankara et Fidel Castro ont appelé dès les année 80 à constituer un front uni pour le non-paiement de la dette. Après que les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe de l’Est ont été soumis à des programmes d’ajustement structurel suite à la crise de la dette, aujourd’hui, l’épicentre de cette crise est en Europe », observe l’auteur de Bancocratie. Et d’ajouter : « Il faut un combat commun. Tunis est le symbole de la dette odieuse et illégitime contractée par Ben Ali soutenu par les créanciers français (Lagarde, ministre des Finances), le FMI
FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.
À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).
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(DSK, président du FMI à l’époque) ».
Le cas grec offre une illustration dramatique de l’application de ces politiques. La BCE
BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
, la Commission européenne, le FMI qui forment la Troïka
Troïka
Troïka : FMI, Commission européenne et Banque centrale européenne qui, ensemble, imposent au travers des prêts des mesures d’austérité aux pays en difficulté.
, soutenue par l’Allemagne et la France ont fait subir à la Grèce un régime d’austérité brutal et injuste.
Selon une étude qui vient d’être publiée en Allemagne, le revenu des 20 % des plus pauvres a diminué de 46 % en 5 ans. La charge d’impôt a augmenté de 336% depuis 2010 sur la population. « Depuis le 25 janvier, le peuple grec a donné un signal clair : Il veut se débarrasser de la politique d’austérité, précise Toussaint. Maintenant, il faut transformer ce vote en une véritable victoire. Il ne sera pas possible pour le gouvernement de tenir sa promesse électorale s’il ne combat pas les créanciers ». Pour ce dernier, la Grèce est en quelque sorte le 1er tour des élections en Espagne qui se dérouleront à la fin de l’année. Toussaint appelle à « un front international de toutes les gauches pour combattre le paiement de la dette illégitime
Dette illégitime
C’est une dette contractée par les autorités publiques afin de favoriser les intérêts d’une minorité privilégiée.
Comment on détermine une dette illégitime ?
4 moyens d’analyse
* La destination des fonds :
l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
* Les circonstances du contrat :
rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, peuple pas d’accord.
* Les termes du contrat :
termes abusifs, taux usuraires...
* La conduite des créanciers :
connaissance des créanciers de l’illégitimité du prêt.
».
Commission d’audit en Grèce !
Maria Elena Saludas (ATTAC-CADTM Argentine) plaide pour l’union des mouvements sociaux pour annuler la dette et la protéger les biens communs. « Nous devons interpeller les instances officielles de nos pays sur cette question ». Solange Koné (Forum National sur la Dette et la Pauvreté - FNDP, Côté d’Ivoire) appelle à « l’annulation pure et simple de la dette des pays affectés par Ebola ». Pour y arriver, elle exige le soutien des parlementaires des trois continents présent car dans ce combat la solidarité est indispensable.
Lors de ce premier panel, plusieurs initiatives pour mettre fin au « système dette » de façon globale ou dans le cadre d’audit de la dette de certains pays ont été mises en avant. Un projet de loi est en préparation en Suisse pour faciliter la restitution des fonds de Ben Ali, bloqués par la Suisse, à l’Etat tunisien. Pour y arriver, un parlementaire helvétique invite les autres pays à « augmenter la pression sur la Suisse pour que la restitution aille plus vite. Les vrais propriétaires sont les peuples tunisiens »
En Grèce, une commission d’audit de la dette grecque vient d’être créée. Ses travaux commenceront en avril2. Cette initiative historique a été accueillie par des applaudissements dans la salle. Pour rappel, l’Équateur du président Raphael Correa avait initié un travail similaire. L’audit réalisé avait conclu à l’illégitimité de la dette et avait abouti à la suspension d’une partie de la dette et un refus de payer une part de celle-ci. C’est une victoire claire et nette contre les créanciers. Dans le cas grec, la commission d’audit servira à donner des arguments aux autorités grecques mais aussi aux peuples des autres pays pour l’annulation des dettes illégitimes.
En fin de ce premier panel, une motion a été adoptée par les participants à ce Forum, ci-dessous son texte : « Le Forum Parlementaire Mondial réuni à Tunis dans le cadre du Forum Social Mondial de 2015 déclare que la question de la dette est utilisée comme outil de domination sur les peuples par les forces du capital. Les problèmes actuels que rencontre la transition démocratique en Tunisie face à la dette en sont la preuve concrète. Il soutient les demandes de constitution de comités d’audit sur la dette avec participation citoyenne, y compris les femmes, comme le processus qui a commencé au parlement grec et qui devrait être élargi à d’autres pays. Il demande une évaluation de la dette coloniale dans les pays anciennement colonisés, et la rétrocession rapide des avoirs des dictateurs placés dans les banques du Nord et autres. Il soutient l’appel des Nations-unies pour l’annulation de la dette des pays touchés par le virus Ebola. Le Forum Parlementaire Mondial refuse l’application des politiques d’austérité qui étranglent les peuples, et se répercutent notamment sur l’emploi des jeunes et rendent les femmes encore plus vulnérables. » |
Secrétaire général d’ATTAC CADTM Maroc et Comité des études et de plaidoyer du CADTM Afrique.
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