Le Pakistan sous influences

27 juin 2009




Sur base d’une série de textes écrits par Abdul Khaliq, porte-parole du CADTM-Pakistan, et Bushra Khaliq, secrétaire générale de la Women Workers Help Line (Ligne d’urgence des Travailleuses), nous vous proposons un tour d’horizon de l’actualité au Pakistan, pour mieux saisir la situation politique, économique et sociale de ce pays.

Sur fond de crise économique, le FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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impose ses conditions

Il y a presque un an, en août 2008, le Pakistan était au bord du défaut de paiement. Les analystes financiers expliquaient la situation comme une conséquence naturelle du soutien du Pakistan à la guerre menée par les États-Unis contre le terrorisme. Le Pakistan désespéré a alors frappé à la porte du FMI. En dépit de la forte opposition, le Pakistan a signé en novembre 2008 un accord Stand By pour un montant de 7,6 milliards de dollar. Parallèlement, les États-Unis réfléchissent à un plan économique commun à l’Afghanistan et au Pakistan et impliquent les deux pays dans la formulation d’une nouvelle stratégie de sécurité pour la région. L’administration américaine a cependant averti que la promesse de 7,5 milliards de dollars en aide civile sur les prochaines années ne se concrétiserait que dans la mesure où le Pakistan aurait véritablement démontré sa volonté d’en finir avec les talibans et d’autres extrémistes violents.
Abdul Khaliq commente les récentes promesses « d’aide » des différents bailleurs de fonds et les conditionnalités Conditionnalités Ensemble des mesures néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui signent un accord, notamment pour obtenir un aménagement du remboursement de leur dette. Ces mesures sont censées favoriser l’« attractivité » du pays pour les investisseurs internationaux mais pénalisent durement les populations. Par extension, ce terme désigne toute condition imposée en vue de l’octroi d’une aide ou d’un prêt. impopulaires attachées au prêt du FMI. A noter que le seul secteur pour lequel le FMI n’a pas demandé la réduction des dépenses est le budget militaire... Lire Le Pakistan n’est pas encore tiré d’affaire

Privatisation des terres agricoles au Pakistan

A l’inverse de certains investisseurs occidentaux conventionnels, inquiets du niveau d’instabilité politique et de la situation de la guerre contre le terrorisme au Pakistan, l’Arabie saoudite et les Émirats Arabes Unis (EAU) ne se montrent aucunement frileux pour mener des projets au Pakistan. Les entreprises arabes se ruent sur l’agrobusiness au Pakistan et s’emparent des rares ressources en eau des régions agricoles. Le gouvernement fédéral vient d’offrir un million d’acres (soit près de 405 000 hectares) de terres agricoles aux monarques arabes, ouvrant ainsi la voie à un nouveau système féodal privatisé.
Abdul Khaliq, dans son article Privatisation des terres agricoles au Pakistan, rend compte des conséquences dramatiques de l’agrobusiness pour le Pakistan et de cette inquiétante « ruée vers l’eau » au Pakistan et à l’échelle mondiale.

Les femmes sont les premières victimes

Avec l’aggravation de la crise dans la vallée de Swat, théâtre de la troisième opération militaire contre les talibans en moins de deux ans, de plus en plus de familles déplacées - plus de 1,5 million de personnes - affluent à Mardan, Swabi, Peshawar et d’autres zones de la Province de la Frontière du Nord-Ouest. Bushra Khaliq a visité trois camps installés dans le district de Mardan pour les populations déplacées de Swat et témoigne des conditions de vie déplorables et éprouvantes, tout particulièrement pour les femmes. Lire Pakistan : témoignages de femmes depuis les camps de déplacés.

Premières victimes des conflits, les femmes subissent également de plein fouet le modèle patriarcal capitalisme. Le 1er mai, elles étaient plus de 500, travaillant principalement dans le secteur informel, la composante de la société la plus exploitée et marginalisée (qui emploie plus de 2 millions de femmes), à manifester à Lahore pour faire valoir leurs droits. Entre autres revendications, elles demandaient la mise en œuvre de lois sur le travail et d’une protection sociale effective dans le secteur informel. Bushra Khaliq, secrétaire générale de la Women Workers Help Line qui menait le cortège, offre un compte-rendu de cette manifestation haute en couleurs. Voir Pakistan : Women workers vow to continue struggle for rights.

Pour le CADTM, le Pakistan doit suspendre immédiatement le remboursement de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
pour faire face à la crise

Il y a presque un an, en août 2008, le Pakistan était au bord du défaut de paiement. Ses réserves de change, fondant rapidement au rythme de 250 à 330 millions de dollars chaque semaine, atteignaient un plancher de 4 milliards de dollars, soit à peine de quoi couvrir un mois d’importations. La dette et les obligations Obligations
Obligation
Part d’un emprunt émis par une société ou une collectivité publique. Le détenteur de l’obligation, l’obligataire, a droit à un intérêt et au remboursement du montant souscrit. L’obligation est souvent l’objet de négociations sur le marché secondaire.
pakistanaises avaient dépassé le seuil des 45 milliards d’euros, la roupie pakistanaise s’était dépréciée de 23% et le déficit commercial se creusait à un rythme inquiétant. Pour faire face à cette situation, le Pakistan désespéré a frappé à la porte du FMI, et en dépit de la forte opposition, il a signé en novembre 2008 un accord Stand By pour un montant de 7,6 milliards de dollars. Or, recourir au « pompier-pyromane » de l’économie mondiale ne sortira pas le pays du marasme dans lequel il se trouve plongé. Si elle risque de plonger davantage le pays dans la spirale infernale de la dette, cette « solution » contraint en outre le gouvernement du PPP (Parti du Peuple Pakistanais), avec à sa tête Asif Ali Zardari, à appliquer les mêmes recettes frelatées qui ont conduit immanquablement à l’impasse actuelle.

L’accord Stand By demande par exemple la fin des subsides pour le combustible et l’électricité, des exemptions en matière d’impôts sur le revenu et de taxes agricoles, la poursuite des
privatisations et des coupes dans les dépenses sociales. Le seul secteur pour lequel le FMI n’a pas demandé la réduction des dépenses est le budget militaire... Le gouvernement pakistanais s’est exécuté : outre la privatisation d’unités industrielles, le Pakistan a mis en vente un million d’hectares de terres arables ; il a supprimé les subsides pour le combustible et augmenté les tarifs de l’électricité, ce qui a provoqué de vives protestations. Pour tenir ses engagements de réduction du déficit budgétaire, le gouvernement a mis fin à environ 125 projets du Programme de développement du secteur public1 et en a postposé 432 autres. Les dépenses dans le secteur de l’éducation supérieure ont été réduites de 73% tandis que l’imposition de charges fiscales supplémentaires dans l’agriculture pourrait bien ruiner ce secteur.

Le recours à l’endettement et l’application des mesures néolibérales, imposées à l’échelle planétaire depuis plus de 30 ans et qui ont largement témoigné de leur échec en terme de développement humain, sont l’exact opposé d’une véritable politique destinée à faire face à la crise en défendant l’intérêt de ceux qui en sont victimes.
Le CADTM appelle le gouvernement pakistanais à cesser de se soumettre aux injonctions pernicieuses du FMI et à prendre des mesures urgentes, telle que la suspension unilatérale du remboursement de la dette, odieuse et largement immorale, afin de donner la priorité aux besoins humains fondamentaux de sa population.

Le CADTM tient à rappeler que l’ancien régime du Général Pérez Musharraf était un allié stratégique des Etats-Unis dans la région, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les principaux bailleurs de fonds n’ont jamais hésité à prêter à la dictature pakistanaise de Musharraf les fonds nécessaires pour mener sa politique. A l’automne 2001, les Etats-Unis avaient demandé l’aide du Pakistan dans la guerre qu’ils avaient déclenchée en Afghanistan. Musharraf avait alors accepté que son pays serve de base arrière aux troupes militaires des Etats-Unis et de leurs alliés, mais il avait négocié en échange une réduction substantielle de sa dette. Dès décembre 2001, les pays riches réunis au sein du Club de Paris2 s’étaient empressés de la lui accorder. Le régime de Musharraf a ensuite continué d’endetter le Pakistan, avec le soutien actif Actif
Actifs
En général, le terme « actif » fait référence à un bien qui possède une valeur réalisable, ou qui peut générer des revenus. Dans le cas contraire, on parle de « passif », c’est-à-dire la partie du bilan composé des ressources dont dispose une entreprise (les capitaux propres apportés par les associés, les provisions pour risques et charges ainsi que les dettes).
de la Banque mondiale Banque mondiale
BM
La Banque mondiale regroupe deux organisations, la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’AID (Association internationale de développement). La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies.

En 2022, 189 pays en sont membres.

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et des grandes puissances. Les prêts accordés n’ont aucune légitimité, ils ont servi à renforcer la tyrannie de Musharraf et n’ont amélioré en rien les conditions de vie des citoyens pakistanais. La dette contractée par ce régime despotique est odieuse. Pour le CADTM, les créanciers qui ont prêté à Musharraf l’ont fait en connaissance de cause et, dans ces conditions, il est inadmissible que le peuple pakistanais soit contraint de rembourser à l’avenir la dette odieuse Dette odieuse Selon la doctrine, pour qu’une dette soit odieuse, et donc nulle, elle doit remplir deux conditions :
1) Elle doit avoir été contractée contre les intérêts de la Nation, ou contre les intérêts du Peuple, ou contre les intérêts de l’État.
2) Les créanciers ne peuvent pas démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette avait été contractée contre les intérêts de la Nation.

Il faut souligner que selon la doctrine de la dette odieuse, la nature du régime ou du gouvernement qui la contracte n’est pas particulièrement importante, puisque ce qui compte, c’est l’utilisation qui est faite de cette dette. Si un gouvernement démocratique s’endette contre l’intérêt de la population, cette dette peut être qualifiée d’odieuse, si elle remplit également la deuxième condition. Par conséquent, contrairement à une version erronée de cette doctrine, la dette odieuse ne concerne pas seulement les régimes dictatoriaux.
(voir : Eric Toussaint, « La Dette odieuse selon Alexander Sack et selon le CADTM » ).

Le père de la doctrine de la dette odieuse, Alexander Nahum Sack, dit clairement que les dettes odieuses peuvent être attribuées à un gouvernement régulier. Sack considère qu’une dette régulièrement contractée par un gouvernement régulier peut être considérée comme incontestablement odieuse... si les deux critères ci-dessus sont remplis.

Il ajoute : « Ces deux points établis, c’est aux créanciers que reviendrait la charge de prouver que les fonds produits par lesdits emprunts avaient été en fait utilisés non pour des besoins odieux, nuisibles à la population de tout ou partie de l’État, mais pour des besoins généraux ou spéciaux de cet État, qui n’offrent pas un caractère odieux ».

Sack a défini un gouvernement régulier comme suit :
« On doit considérer comme gouvernement régulier le pouvoir suprême qui existe effectivement dans les limites d’un territoire déterminé. Que ce pouvoir soit monarchique (absolu ou limité) ou républicain ; qu’il procède de la « grâce de Dieu » ou de la « volonté du peuple » ; qu’il exprime la « volonté du peuple » ou non, du peuple entier ou seulement d’une partie de celui-ci ; qu’il ait été établi légalement ou non, etc., tout cela n’a pas d’importance pour le problème qui nous occupe. »

Donc, il n’y a pas de doute à avoir sur la position de Sack, tous les gouvernements réguliers, qu’ils soient despotiques ou démocratiques, sous différentes variantes, sont susceptibles de contracter des dettes odieuses.
contractée par Musharraf. Dans ces conditions, son annulation pure et simple est une exigence minimale.

En outre, le combat contre la paupérisation et contre la montée de l’extrémisme religieux ne peuvent l’emporter que si les problèmes fondamentaux des classes ouvrières, paysannes, et des femmes, dans les domaines social, politique et économique sont résolus.

- Le CADTM soutient la revendication d’un programme de réforme agraire radical, la redistribution des terres aux mains des forces armées (les ’Fermes militaires’, l’Army Welfare Trust et la Corporation des Semences du Pendjab) qui contrôlent près de 30.000 hectares de terrains très fertiles que les paysans et leurs familles cultivent depuis plus d’un siècle, et une réduction radicale du budget de l’armée au profit des dépenses sociales.

- Le CADTM appelle le Pakistan - et tous les pays du Sud - à enclencher une autre logique économique, respectueuse des droits humains fondamentaux et de l’environnement, à l’opposé de la logique néolibérale imposée aux forceps par l’intermédiaire d’une dette odieuse dont il faut revendiquer l’abolition immédiate. Le CADTM est en faveur d’un programme de réforme complet, légal et constitutionnel, qui inclut la convocation d’une assemblée pour rédiger une nouvelle constitution laïque, qui respecte les minorités et les femmes.

- Le CADTM demande la fin de l’occupation de l’Afghanistan par les forces étasuniennes et de l’Otan OTAN
Organisation du traité de l’Atlantique Nord
Elle assure aux Européens la protection militaire des États-Unis en cas d’agression, mais elle offre surtout aux États-Unis la suprématie sur le bloc occidental. Les pays d’Europe occidentale ont accepté d’intégrer leurs forces armées à un système de défense placé sous commandement américain, reconnaissant de ce fait la prépondérance des États-Unis. Fondée en 1949 à Washington et passée au second plan depuis la fin de la guerre froide, l’OTAN comprenait 19 membres en 2002 : la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, auxquels se sont ajoutés la Grèce et la Turquie en 1952, la République fédérale d’Allemagne en 1955 (remplacée par l’Allemagne unifiée en 1990), l’Espagne en 1982, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque en 1999.
, ainsi que leur retrait des autres parties du monde.

- Le CADTM apporte son soutien aux luttes populaires contre la poursuite des politiques néolibérales et pour le départ des forces militaires étrangères. Le CADTM soutient la lutte des forces sociales et politiques qui s’opposent au fondamentalisme religieux. Le CADTM soutien les luttes des femmes pour leur émancipation.