Le Réseau espagnol des Municipalités contre la Dette illégitime en visite à Bruxelles

29 mars 2017 par Jérôme Duval , Kamilia Sahli


Photo : Jose Huedo

Le 21 mars, se tenait une soirée de présentation du Réseau espagnol des Municipalités contre la dette illégitime et les coupes budgétaires, qui regroupe des activistes et représentants politiques de plus de 140 municipalités espagnoles, au centre culturel galicien La Tentation à Bruxelles. Cette soirée, organisée par un ensemble d’organisations dont le CADTM, ACiDe, Tout Autre Chose, Attac Bruxelles, Periferia, avec la participation de Podemos et Izquierda Unida Belgique a accueilli plus d’une centaine de sympathisants et militants, heureux de pouvoir donner de l’élan à cette initiative au-delà du territoire espagnol. Fanny Thirifays, de l’association Periferia, qui modérait la soirée rappela par ailleurs l’importance des expériences de nos invités et de leur ressentis dans cette lutte, mais également de l’utilité de les partager pour pouvoir s’en inspirer notamment en Belgique et ailleurs.



La nécessaire coordination des nouvelles forces du changement contre l’austérité imposée par la dette

À cette occasion, se sont exprimés l’eurodéputé pour Podemos Miguel Urbán Crespo, le coordinateur du réseau Yago Álvarez, l’adjointe au maire d’Oviedo Ana Taboada, le conseiller des Finances de la la Mairie de Cadix David Navarro et le porte-parole du CADTM International Éric Toussaint, sur la naissance de ce mouvement, lancé par le Manifeste d’Oviedo, que ces derniers appellent à rejoindre et à signer.

L’intervention de Miguel Urbán a permis de revenir sur l’importance de l’audit, considéré comme un outil nécessaire à l’échelle locale – la plus proche des citoyens – car, malgré le fait que la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque africaine de développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds européen de développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
des municipalités espagnoles ne représente que 5 % de la dette publique de l’ensemble des administrations publiques, l’asphyxie due aux coupes budgétaires s’y fait très durement sentir, notamment depuis les lois du ministre des Finances Montoro qui ne font qu’aggraver la situation.

Urbán rappela les limites des actions Action
Actions
Valeur mobilière émise par une société par actions. Ce titre représente une fraction du capital social. Il donne au titulaire (l’actionnaire) le droit notamment de recevoir une part des bénéfices distribués (le dividende) et de participer aux assemblées générales.
institutionnelles et le choix politique auquel les peuples d’Europe font face. En effet, les citoyens européens ont aujourd’hui le choix entre le projet porté par ce réseau et tous ses sympathisants, voulant une Europe différente, multiple, juste et solidaire, et le projet que propose et tentent d’imposer les différents mouvements et partis d’extrême droite en Europe, jouant sur les peurs, les difficultés économiques et la xénophobie – mouvements et partis dont nous regrettons l’ampleur et l’expansion. Par ailleurs, Urbán appela à la désobéissance civile, qui est à présent une nécessité, et à détruire le traité de Maastricht pour construire une nouvelle Europe.

C’est ainsi, en se plaçant contre le néolibéralisme, et en cherchant des alliances car « seul on ne peut pas mais ensemble si », que nos invités appelèrent à en finir avec l’oppression du système de la dette qui est, rappelons-le, un des piliers du capitalisme. Selon eux, nous devons accompagner ces changements et élargir le mouvement à toute personne qui le désire, quelle que soit sa classe sociale.

Par la suite, Yago Álvarez présenta la manière dont le mouvement est né et s’est construit en Espagne. Tout d’abord, en rappelant la force et l’importance des mouvements sociaux dont il est issu puis l’étape des élections où bon nombre d’espagnols firent le choix du changement face, notamment, à l’austérité justifiée par la dette, à la mauvaise situation économique et à la corruption. Dès lors, l’irruption de ces nouvelles « forces du changement » au sein des institutions rappellent que nous sommes en mesure d’inverser la situation. Privilégier le bien-être de la population et redonner à l’amélioration de la vie quotidienne sa prédominance en s’opposant au paiement de la dette – paiement qui, dans le système actuel prévaut sur la justice et la dignité sociale – doivent être au cœur de notre stratégie. En outre, Yago Álvarez souligna également l’importance d’être à l’écoute des citoyens et citoyennes dans chaque municipalités et la nécessité de structurer la communication interne de ce mouvement – une organisation et une stratégie communes permettront ainsi une extension plus rapide et efficace du réseau.

Ana Taboada a ensuite pris la parole pour nous livrer son ressenti et sa vision du mouvement, rappelant qu’il s’agit d’une initiative citoyenne et non politique et la nécessité de travailler à partir des demandes et réflexions populaires. Celle-ci revint aussi sur les conséquences de la bulle immobilière en Espagne, la crise et les politiques d’austérité qui s’en sont suivi ainsi que sur la gestion désastreuse des municipalités souvent mêlée à une corruption endémique, notamment à Oviedo, entre entreprises privées et représentants politiques locaux. La population ne mérite pas de payer cette dette injuste, a t-elle poursuivi. Enfin, elle réaffirma l’importance du travail en réseau et de sa présentation au niveau européen [1].

David Navarro a, quant à lui, mis l’accent sur les dépenses astronomiques injustifiées qui ne profitent qu’à un petit groupe de personnes, à des intérêts privés, en citant notamment l’exemple des 144 millions d’euros déboursés par le gouvernement antérieur du PP à Cadix pour la publicité, ou encore la baisse des services sociaux à cause de la loi du ministre des Finances Montoro qui impose la priorité au paiement de la dette [2], la construction récente d’un pont énorme et onéreux alors qu’il en existait déjà un autre, etc. C’est donc bien l’argent public servant à construire ces méga-infrastructures, qui est dilapidé et la population trompée, a-t-il affirmé. Par ailleurs, il a rappelé que nous sommes tous concernés car tous soumis aux mêmes normes et lois européennes qui violent toute souveraineté populaire et dont l’esprit est repris à travers les lois Montoro. Cependant, nous sommes déjà en train de désobéir au système, grâce au pouvoir populaire, a-t-il ajouté.

De gauche à droite : David Navarro, Ana Taboada et Yago Álvarez. Photo : Jose Huedo


« C’est une aberration ! »

Les intervenants, répondant aux questions de Fanny Thirifays, soulignèrent l’importance du travail de pédagogie en toute transparence afin que tout le monde puisse comprendre ce qu’il se passe en termes de budget et à quoi sert notre argent ainsi collecté. Ana Taboada illustra son propos avec l’exemple de la Villa Magdalena, la bibliothèque sans doute la plus chère du monde, construite sous mandat du PP et qui a coûté plus de 60 millions d’euros aux habitants d’Oviedo suite à une ruineuse expropriation qui a bénéficiée à la famille de l’ex-ministre du PP et ancien directeur du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 190 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

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, Rodrigo Rato.

La thématique de la dette étant parfois complexe, il est crucial de passer par une transcription de ces sommes colossales en coûts « concrets » et compréhensibles, en traduisant les informations par des phrases comme « Le sauvetage des banques nous a coûté tant d’hôpitaux, de frais de santé, d’écoles ». La clarification des dépenses qui ont été faites – ou non, en termes social notamment – permettra ainsi une prise de conscience et pourront s’en suivre des discussions avec la population ainsi qu’un changement dans les rapports de force. Par ailleurs, des outils tel que le Manuel d’audit citoyen municipal de Yago Álvarez [3] expliquant comment fonctionne un budget ou comment réaliser un audit citoyen et quelles actions peuvent être menées sont essentiels pour tous les citoyens mais aussi au sein des administrations, car il s’est avéré que beaucoup de fonctionnaires manquent de connaissances et de compréhension de ces mécanismes.

Par la suite, l’échange avec le public a permis de revenir sur la situation de la Belgique et de sa dette illégitime, sur la thématique du logement (des expulsions et loyers abusifs) [4], sur la question de la corruption et celle de la participation des citoyens et citoyennes dans les processus de changement.

Enfin, Éric Toussaint conclut cette présentation du Réseau en saluant cette initiative inédite en Europe et plus largement. Ce réseau, hérité des mouvements sociaux et du 15M des Indignés, est un exemple à suivre et nécessaire pour refonder une Europe des peuples. Le rôle de ces municipalités rebelles est fondamental et il est vital que ce type d’initiative se reproduise en Europe pour ne pas les isoler.


Notes

[1Voir le communiqué de presse : http://www.cadtm.org/Le-Reseau-espagnol-des

[2Voir Ludovic Lamant, En Espagne, les « mairies indignées » en bataille contre la « dette illégitime » : « Ce texte, de 2013, limite les marges de manœuvre budgétaire des villes. Au nom de la discipline, il oblige en particulier les mairies à rembourser, avant toute chose, les intérêts de leur dette. »

[3(en espagnol) Yago Álvarez, « Descifra Tu Deuda. Guía de auditoría ciudadana municipal. http://www.cadtm.org/Descifra-Tu-Deuda-Guia-de

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

Kamilia Sahli

Stagiaire au CADTM Belgique.

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